L’innovation peut augmenter la productivité et aider à conquérir de nouveaux marchés. Elle peut aussi se révéler être un argument de taille au moment d’attirer la main-d’œuvre, de la fidéliser et de la faire évoluer au sein de l’entreprise. C’est particulièrement vrai dans le secteur manufacturier en région. Survol.

DIDIER BERTCOLLABORATION SPÉCIALE

L’innovation a pu autrefois être perçue comme un moyen de réduire le nombre de travailleurs, la masse salariale et d’augmenter la productivité de l’entreprise. Mais avec la pénurie de main-d’œuvre, les entreprises ont de plus en plus à concilier la recherche de performance, de productivité et d’attractivité de la main-d’œuvre.

Chez Fonderie Poitras, l’innovation et l’attraction de la main-d’œuvre vont de pair. L’entreprise de 150 employés située à L’Islet, dans Chaudière-Appalaches, doit être à la fois compétitive sur un marché très concurrentiel et capable d’attirer et de fidéliser le personnel dont elle a besoin pour affronter ses rivaux internationaux.

L’entreprise vend en Ontario et aux États-Unis des pièces de transmission pour les véhicules. Depuis deux ans, elle fournit également des composants de véhicules électriques, ce qui l’a conduite à adapter une partie de sa production.

Dans cette industrie à grands volumes, les objectifs de qualité sont élevés, ce qui réclame l’utilisation de nombreuses technologies. La finition des pièces, autrefois faite à la main, est aujourd’hui réalisée par cinq cellules robotisées. Des caméras et des lasers ont remplacé le contrôle visuel humain pour inspecter les pièces. « Toutes les technologies qui se sont ajoutées n’ont pas enlevé d’emplois », précise Jean-Philippe Thibaudeau, directeur des opérations. Au contraire, « comme entreprise située en région, avoir de la main-d’œuvre est un défi. Nous avons fait plusieurs missions à l’étranger pour recruter ».

PHOTO FOURNIE PAR FONDERIE POITRAS

Les cellules robotisées bouleversent l’image traditionnelle de la fonderie.

De ce point de vue, Fonderie Poitras s’appuie sur ses innovations pour changer l’image du travail en fonderie. « On peut penser que c’est bruyant et poussiéreux, mais ce n’est plus ça », souligne Jean-Philippe Thibaudeau. L’entreprise organise des visites destinées aux recrues potentielles. « À la fin de la visite, les gens sont souvent surpris par le niveau technologique », souligne-t-il.

L’entreprise travaille présentement sur un projet pour implanter un robot équipé d’un système de vision, capable d’aller chercher des pièces de six livres qui sont emmêlées dans un panier. Ce projet permettrait de libérer un poste et de faire évoluer un employé à l’interne pour qu’il apporte une plus grande valeur ajoutée, tout en diminuant la charge physique de son travail.

En innovant, nous voulons rendre le travail plus accessible.

Jean-Philippe Thibaudeau, directeur des opérations chez Fonderie Poitras

Cette recherche simultanée de productivité et d’attraction de la main-d’œuvre par l’innovation ne fait pas figure d’exception. Les efforts en innovation augmentent la productivité pour 68 % des chefs d’entreprise et attirent la main-d’œuvre pour 65 % d’entre eux, ce qui en fait les deux principaux impacts de l’innovation dans les entreprises québécoises, indique le Baromètre de l’innovation, un sondage mené par le Conseil de l’innovation du Québec en janvier dernier.

Innover pour recruter, recruter pour innover

« Les innovations permettent de remplacer ou de pourvoir des postes vacants par de la robotisation, permettant à l’entreprise de continuer à produire », explique Loïck-Alexandre Gautier, directeur principal de l’Institut de l’innovation au Conseil de l’innovation. « L’intégration de nouvelles technologies permet aussi de recruter plus facilement. »

D’ailleurs, pour innover, encore faut-il disposer de la main-d’œuvre qualifiée qui permet de le faire, pointe M. Gautier. Le principal obstacle au développement des innovations dans les entreprises québécoises est justement la disponibilité de main-d’œuvre qualifiée : trois chefs d’entreprise sur dix (31 %) citent cet enjeu, indique le Baromètre de l’innovation. C’est même une entreprise sur deux qui est confrontée à cet obstacle dans les entreprises de 250 employés ou plus.

PHOTO DE FONDERIE POITRAS

Fonderie Poitras s’appuie sur ses innovations pour changer l’image du travail en fonderie.

L’innovation est une réponse pragmatique à l’enjeu du manque de personnel, indique Laurent Simon, directeur du département d’entrepreneuriat et innovation à HEC Montréal. « La pénurie de main-d’œuvre force à innover, parce qu’on est obligé de penser autrement ce que l’on faisait sans trop réfléchir auparavant », explique-t-il.

Les nouveaux entrants sur le marché du travail contribuent à accentuer cette tendance. « Il est clair que nous avons une génération qui va trouver plus stimulant le travail, s’il comporte une dimension d’innovation, de réflexion, d’amélioration, mais aussi de limitation des impacts environnementaux et sociaux. Ces facteurs peuvent attirer du monde ! », souligne Laurent Simon.

Cependant, les organisations doivent se garder de se présenter comme innovatrices si ce n’est pas le cas. « Le grand piège serait de parler d’innovation de façon générique, met en garde M. Simon. Il ne s’agit pas juste de déclarer qu’on est innovant. L’innovation n’est pas l’aboutissement d’une démarche, elle est la démarche elle-même. »

Et le contrecoup pourrait être sévère pour une organisation qui se dirait innovante. « Les employés ne sont pas naïfs, prévient Laurent Simon. Sur un marché de l’emploi où les employés tiennent le gros bout du bâton, ils vont vers les organisations qui se révèlent être les plus authentiques. »