à propos de la fermeture de Bourgogne Fonderie /
Lorsque la personne mandatée par les créanciers de Bourgogne Fonderie est venue signifier la liquidation judiciaire de l’entreprise, elle aperçut une jeune femme au milieu des cols bleus. Interpellée, celle-ci ne fit pas mystère de ses nom et qualité: Claire Jachymiak, photographe. Il n’en fallait pas plus pour être déclarée persona non grata : la scène se déroulerait à l’abri des regards. Autre verdict : aucune image n’était permise, comme s’il convenait d’ajouter à la peine capitale de la faillite le voile de l’ignorance. En France, aujourd’hui, on vit et on meurt invisible
Dans un pays où semble s’imposer une économie de l’immatériel, on en oublie que l’écran plat avec lequel on travaille est un produit industriel et qu’il faut encore des usines et des hommes pour le fabriquer. Cependant, la désindustrialisation bat son plein et des centaines de milliers d’emplois ont disparu depuis dix ans. L’impuissance des politiques est telle qu’ils semblent avoir fait le deuil des populations sinistrées. Après les paysans, les ouvriers seront comptés à pertes et profits de la société post-industrielle: «Frères, il faut mourir.»
Des «think tanks» se chargent d’en donner la traduction politique aux partis qui se recommandaient encore hier du peuple: barre toute vers les couches moyennes. Par là, ils condamnent les invisibles au «malvote», poussés à la dernière extrémité: plus de quarante pour cent des ouvriers se prononcent dans les sondages pour Marine Le Pen. Stupéfiant retournement de situation: le prolétariat élevé à la dignité de classe élue, celle que Marx et les partis qu’il avait inspirés avaient rendu visible a troqué la révolution contre la réaction. Classe devenue maudite, privée d’avenir, d’autant plus que les impératifs écologiques la rendent infréquentable. En désespoir de cause, la mise en danger de la démocratie semble être pour de nombreux laissés-pour-compte le seul moyen de se faire entendre des élus de la République.
Circonstance aggravante, mais qui ajoute au tableau de la crise sociale et politique, Bourgogne Fonderie est sise dans une discrète bourgade de la Côte d’or, Châtillon-surSeine, loin des métropoles urbaines dont les turbulences ont la faveur des médias. Aussi, l’événement n’a-t-il eu qu’un retentissement local: Le Bien public a porté la nouvelle, dans son édition locale, justement. Les invisibles appartiennent à la périphérie, ce hors-champ des sociétés urbaines, relégués loin du centre qui assure le monopole du visible.
Pourtant, la métallurgie a contribué à la richesse de cette région rurale avec la révolution industrielle. Spécialisée dans le moulage de pièces mécaniques en fonte, Bourgogne Fonderie, dont l’origine remonte au XIX ème siècle, a fini par succomber à la concurrence après une existence chaotique depuis le début des années 80, de dépôts de bilan en rachats et plans sociaux. Didier Demizet, le directeur technique, avoue que la rationalité économique purement comptable ignore les hommes.
Quant à Patrick Maillard, chef d’atelier, il constate avec amertume : «Aujourd’hui encore, comme par le passé, la guerre nous a rattrapés, elle-ci est économique. Il n’y pas de destructions physiques de villes, d’entreprises, mais d’âmes humaines… Un four de plus s’éteint en France dans la plus grande indifférence.»
Que le reportage, qui a fixé dans l’urgence les derniers instants de la fonderie, répare ce tort, on en conviendra. L’attention au réel de la photographie qui retient ce qui est digne d’être montré est évidemment un geste moral, contre la cécité et l’oubli. Dans le monde tellurique d’une fonderie, où l’on a encore affaire aux forces élémentaires (la terre, le feu), vivent des hommes qui s’efforcent de les dompter. Ils ne sont pas encore ces purs esprits tels que pourrait le suggérer faussement l’économie de la connaissance. Ils ont un corps qui affronte la matière. Le montrer pourrait se réduire à un hommage posthume, si cela ne soulevait pas une question d’actualité quand la réussite économique de l’Allemagne semble y répondre par la vitalité de son industrie.
L’image vaut également pour l’émotion qu’elle suscite. Au delà de la beauté plastique qui serait une insulte au drame humain si elle prévalait, des visages s’imposent avec leur humanité, in extremis. Quelques jours après le reportage, le mercredi 30 novembre 2011, cinquante emplois sont sacrifiés.
Et derrière l’anonymat de la formule, il y a aussi des noms ou plutôt des prénoms: Eric, Patrice, Jean-Pierre ou Tintin… car, comme le dit Patrick Maillard, porte-parole des invisibles, «chacun s’appelle par son prénom ou son surnom, et par le nom quand on est fâché !». La fraternité pour eux n’est pas un vain mot, ce lien vital que la dureté du travail tisse entre les hommes de même condition. Toutes ces personnes n’occupent pas un emploi, terme bien neutre, mais exercent un métier, souvent transmis de génération en génération : fondeur, noyauteur, décocheur, ébarbeur.
Un «métier d’Homme» ajoute Patrick Maillard. en précisant la majuscule pour marquer la dignité de ceux qui, non seulement, participent à la richesse nationale, mais le font à leurs risques et périls: «lorsque ça pète sur la ferraille du moule, c’est la gerbe d’étincelles ou de gouttes de métal liquide qui va nous tomber dessus, on ne sait où, c’est la loi de la gravité qui s’exerce…». Au savoir-faire appris sur le tas et souvent polyvalent, s’ajoute le courage. Une vue superficielle ne comprendra pas que des hommes soient autant attachés à leur labeur, bien éloigné des exigences actuelles de confort et de sécurité : un «sale boulot» comme tous ces métiers manuels aujourd’hui dévalorisés.
Pourtant, ils ne se plaignent pas, fait remarquer l’épouse d’un fondeur. Cela n’empêche pas les coups de gueule lorsque le travail dépasse les bornes. On ose à peine prononcer le mot grandiose d’héroïsme qui, cependant, explique leur fierté et l’amour sans servilité d’une tâche qui les grandit. Aussi bien, l’histoire est authentique, quand un homme du sous-sol chargé de déblayer les déchets de la fonderie a vu sonner l’heure de la retraite, il est reparti chez lui, le jour même, avec sa pelle.
l’image vaut également pour l’émotion qu’elle suscite. Au delà de la beauté plastique qui serait une insulte au drame humain si elle prévalait, des visages s’imposent avec leur humanité, in extremis. Quelques jours après le reportage, le mercredi 30 novembre 2011, cinquante emplois sont sacrifiés. Et derrière l’anonymat de la formule, il y a aussi des noms ou plutôt des prénoms: Eric, Patrice, Jean-Pierre ou Tintin… car, comme le dit Patrick Maillard, porte-parole des invisibles, «chacun s’appelle par son prénom ou son surnom, et par le nom quand on est fâché !».
La fraternité pour eux n’est pas un vain mot, ce lien vital que la dureté du travail tisse entre les hommes de même condition. Toutes ces personnes n’occupent pas un emploi, terme bien neutre, mais exercent un métier, souvent transmis de génération en génération : fondeur, noyauteur, décocheur, ébarbeur. Un «métier d’Homme» ajoute Patrick Maillard. en précisant la majuscule pour marquer la dignité de ceux qui, non seulement, participent à la richesse nationale, mais le font à leurs risques et périls: «lorsque ça pète sur la ferraille du moule, c’est la gerbe d’étincelles ou de gouttes de métal liquide qui va nous tomber dessus, on ne sait où, c’est la loi de la gravité qui s’exerce…».
Au savoir-faire appris sur le tas et souvent polyvalent, s’ajoute le courage. Une vue superficielle ne comprendra pas que des hommes soient autant attachés à leur labeur, bien éloigné des exigences actuelles de confort et de sécurité : un «sale boulot» comme tous ces métiers manuels aujourd’hui dévalorisés. Pourtant, ils ne se plaignent pas, fait remarquer l’épouse d’un fondeur. Cela n’empêche pas les coups de gueule lorsque le travail dépasse les bornes. On ose à peine prononcer le mot grandiose d’héroïsme qui, cependant, explique leur fierté et l’amour sans servilité d’une tâche qui les grandit.
Aussi bien, l’histoire est authentique, quand un homme du sous-sol chargé de déblayer les déchets de la fonderie a vu sonner l’heure de la retraite, il est reparti chez lui, le jour même, avec sa pelle
Claire JACHYMIAK est photographe indépendante et vit à Alise-Sainte-Reine (Côte d’Or). Elle fait ses débuts en photographie à New-York en 1993 et suit un cours au Centre International de la Photographie (ICP) avant d’intégrer l’École Supérieure des Arts Appliqués DUPÉRRÉ à Paris de 1994 à 1999. Elle s’installe comme photographe indépendante en 2007 répondant à des commandes corporate et institutionnelles. Son projet personnel intitulé «Les Invisibles» est finaliste du concours de SOPHOT (site dédié à la photographie sociale et environnementale), une sélection de photos est exposée à la Galerie Fait & Cause (Paris) en juillet 2012. Deux photos de ce reportage sont éditées dans le Journal Le Monde du 29 août 2013 accompagnant un article de Dominique Gallois «C’en est fini des pneus qui brûlent» et du mardi 28 janvier 2014 accompagnant un article De.C. «Les usines françaises malades du sous-investissement». Deux autres projets personnels sont en cours: Turkish Delight ou la vie de la famille Cambaz, qui traite de l’immigration en milieu rural et L’orchestre à l’école où les élèves d’une ZEP jouent en orchestre en apprenant la musique par l’oralité et par mimétisme. J’ai commencé la photo un peu par hasard, pour tuer l’ennui. Au départ comme tout le monde je prenais tout et n’importe quoi sans aucune démarche. Puis en 2008 j’ai commencé à me déguiser avec un masque d’âne et à me mettre en scène dans des situations un peu absurdes et poétiques. J’avais pris cette habitude de me prendre en grand angle et de composer avec beaucoup d’équilibre. On retrouve tout ça aujourd’hui dans mon travail de grands espaces avec un ou deux sujets isolés. Je crois que je ne photographie que ce que je suis et ce que je vis, je me considère comme un funambule des trottoirs, j’erre et j’observe les gens. J’ai gagné quelques concours, dernièrement j’ai été lauréat du concours “Huis clos, le couple” pour le festival Map Toulouse en partenariat avec compétence photo”.