Cette année marquera le retour de la statue de «La Marseillaise» au jardin du Pin. Elle sera inaugurée le 14 juillet, à son emplacement d’origine. Une copie conforme à l’originale a en effet été fondue dans un atelier de Mérignac le 15 décembre dernier, et il reste encore du travail sur ce bronze imposant – dont l’opération de patine, qui lui donnera sa couleur définitive.
Pour rappel, cette statue a connu un triste sort, comme le souligne un document de la Fondation du patrimoine : «Initialement commandée par l’Etat au sculpteur Ernest Dagonet (1856-1926) pour orner les jardins du Luxembourg à Paris, «La Marseillaise» a été attribuée à la ville d’Agen, grâce à l’appui de Joseph Chaumié, en 1903 et installée dans le square du XIV Juillet (NDLR : au Pin). Cette statue a été incontestablement la plus belle des statues de bronze qu’ait eu la ville d’Agen. Elle représente une jeune femme en mouvement qui entonne avec son tambour le chant patriotique.»
Allégorie de notre hymne national, elle n’a pourtant suscité aucune émotion lorsque les autorités de Vichy l’ont déboulonné en 1942, comme des milliers de statues en France à cette douloureuse époque. Il s’agit en effet d’envoyer les métaux précieux, dont le bronze, en Allemagne, pour alimenter la machine de guerre nazie.
La statue sacrifiée est un dommage de guerre et sera oubliée. On retrouve seulement sa trace sur des cartes postales anciennes et dans la mémoire des plus anciens Agenais.
Mais l’histoire resurgit en 2015. On se rend alors compte qu’une statue identique se trouve dans un jardin à Riom (ville de l’Allier, qui connut le fameux procès de 1941). Une cité proche de Vichy, et paradoxalement la statue de la Marseillaise n’y fut pas déboulonnée. Des recherches sont entreprises, on l’on va même jusqu’au retrouver le moule en plâtre d’origine grâce auquel Dagonet avait fondu les deux statues, d’Agen et de Riom. Ce moule se trouve à Châlons-en-Champane (dans la Marne), mais s’avérera finalement inexploitable.
Car Agen veut retrouver sa statue. L’idée de faire une copie de l’exemplaire de Riom fait son chemin chez les élus, et le projet est porté par le conseil de quartier (lire par ailleurs) ; finalement, un appel d’offres est lancé en mars 2017 et sera remporté par la Fonderie des cyclopes, de Mérignac.
Une statue jumelle à Riom La PME girondine cogérée par Nicolas Durand et Frédéric Michel, fait référence dans la fonderie d’art. Depuis vingt ans, elle travaille au profit des artistes professionnels, des particuliers et des collectivités territoriales. Ici le bronze on connaît, Vulcain et Héphaïstos n’ont qu’à bien se tenir. Dans l’entrée de l’atelier, un diplôme d’excellence signé par Emmanuel Macron souligne aussi la reconnaissance jupitérienne.
«Le moule de Châlons-en-Champagne étant inexploitable, il fallait en refaire un nouveau, explique les deux associés. Nous nous sommes donc rendus à Riom pour réaliser un moule et un élastomère en silicone sur cette statue. Il s’agit d’une opération assez rare, mais nous sommes rompus à ce type de chantier. Nous avons réalisé cette empreinte en septembre 2017, que l’on pourrait décrire comme un grand puzzle en 3d composé d’une vingtaine de pièces.»
Le moule est alors remonté dans l’atelier de Mérignac, et permettra la réalisation d’une réplique en cire de la statue, à l’échelle 1. Cette «fausse» Marseillaise sera ensuite enrobée dans une sorte de sarcophage en plâtre, qui sera ensuite chauffé pour que la cire disparaisse. On obtient alors le moule définitif, dans lequel quelque 350 kg de métal en fusion seront coulés. L’opération, très délicate et dangereuse (le liquide est alors porté à 1 200°C), a été réalisée le 15 décembre dernier. Le moule sera ensuite brisé à coups de masse : «La Marseillaise» d’Agen renaît de ses cendres. Mais l’aventure n’est pas finie pour autant. Il reste encore du travail sur cette œuvre de 2,5 m de haut sur 1,20 m de large. Des défauts qu’il faut faire disparaître, avant que les élus viennent voir sur place, cette fin février. Ils découvriront avec émotion un visage aux trains fins, et à la détermination toute républicaine. Un bronze un brin doré qu’il faudra ensuite «sublimer» par la patine.
Emballée façon Christo__ La Marseillaise retrouverait-elle sa couleur d’origine ? Mais quelle couleur, puisque les seules photos de l’œuvre prises à Agen sont en noir et blanc. On imagine un bronze verdâtre, c’est-à-dire celle d’une oxydation naturelle lorsqu’une statue vit sous le vent et à la pluie. Un vert antique foncé pourrait avoir la préférence des élus, mais sûrement pas un vert-de-gris…
La statue sera ensuite transportée à Agen, montée un mois avant son inauguration et emballé façon Cristo. Et le 14 juillet sera LE grand jour.
«Nous sommes très fiers d’avoir contribué à cette renaissance, ajoutent les deux fondeurs d’art. D’abord parce que c’est un travail très académique, nous suivons le chemin tracé par Dagonet et en cela nous sommes aussi de ses héritiers. Le monument est exceptionnel par son histoire, par l’émotion qu’il va susciter chez les Agenais. Cette statue sera vue par des milliers de personnes, elle va aussi faire partie de la vie des gens. En cela nous avons une sacrée responsabilité ! Le poinçon de notre Fonderie des cyclopes y restera pour toujours.» Un œil unique qui veillera sur le destin – désormais paisible – de la jeune femme au tambour.
Elle avait été attribuée à la ville d’Agen en 1903 350 kg de métal en fusion, un liquide porté à 1 200°C