Quelques cygnes majestueux volent au-dessus du lac d’Annecy, avec en arrière-plan les sommets du parc naturel régional du massif des Bauges. A quelques kilomètres des Alpes françaises, les salariés de la fonderie de cloches Paccard, dans le village de Sevrier (Haute-Savoie), s’activent depuis l’aube. Là, plusieurs ouvriers se mettent, à un rythme qu’ils connaissent par cœur, à couler du bronze en fusion, un alliage de cuivre et d’étain, qui servira ensuite à remplir le moule des futures cloches.
Des flammes s’échappent du four dans une chaleur étouffante. Chacun porte une combinaison en coton tissé d’aluminium pour se protéger en cas d’éclaboussures. Perché à plusieurs mètres sur un escabeau, David Ughetto, 50 ans, verse délicatement le métal en fusion à 1 200 degrés. Ce maître fondeur qui cumule trente ans d’expérience préside à toutes les étapes de fabrication.
Deux tatouages sur son bras gauche représentent une cloche et la cathédrale de Rouen, dont il a participé à la restauration du carillon en 2014. “J’ai mon métier gravé dans ma peau”plaisante-t-il fièrement, louant le “côté mystérieux du métal qui scintille lorsqu’on le coule”.
Le bourdonnement des machines ne s’arrête jamais. Le bronze en fusion est coulé dans des moules à cloches de différentes tailles : telles des poupées gigognes, elles sont alignées sur d’immenses étagères en acier, où elles attendent plusieurs heures avant d’être démoulées.
Des décors sont ensuite réalisés à la cire, représentant des puissances célestes, des saints ou des paysages de montagne. Ces cloches peuvent peser jusqu’à plusieurs dizaines de tonnes – la World Peace Bell, la plus grande cloche de vol au monde, coulée par la fonderie Paccard pour la Millennium Monument Company à Newport, Kentucky (États-Unis), pèse autant. plus de 33 tonnes (42 tonnes, joug et vantail compris).
Une saga familiale (et royaliste)
Depuis sept générations, la famille Paccard fabrique les plus anciennes cloches de France, avec un savoir-faire unique. Le début de cette saga familiale remonte à 1796. En pleine période révolutionnaire, alors que les cloches étaient réquisitionnées et refondues par les Républicains pour fabriquer des armes, la famille Paccard de l’époque, royaliste et anti-révolutionnaire, vit dans la fabrique de cloches une résistance de forme.
Près d’un siècle plus tard, en 1891, la famille s’illustre avec la fabrication de la plus grosse cloche de France, la Savoyarde, classé monument historique, qui trône toujours au milieu de la basilique du Sacré-Cœur à Paris. En bronze, il pèse plus de 19 tonnes, 3 mètres de diamètre et 9 mètres de circonférence. A l’époque, c’était l’initiative de l’archevêque de Chambéry, Mgr Leuillieux [1823-1893]qu’il a été coulé, destiné au monument parisien.