C’est à Montluçon, sous-préfecture de l’Allier, qu’un des éléments décisifs sur les champs de bataille est actuellement assemblé. Installé au milieu des cultures et des élevages, Safran Electronics & Defense est le premier employeur du département, avec 1.623 salariés, dont plus de 450 sont arrivés depuis deux ans. Dans ses usines modernisées, la branche défense du motoriste d’avions Safran investit, monte en cadence (+65 %) et capitalise sur l’un de ses bijoux technologiques.

Dans les années 1930, la Sagem, alors Société d’application générale en électronique et mécanique, inventait une nouvelle technologie de positionnement : le gyroscope. C’était alors pour le compte de la Marine française, qui se plaignait des effets perturbateurs sur ses boussoles du passage des coques en bois aux coques en acier. Le début d’une longue histoire, qui permet aujourd’hui à la filiale de Safran de devenir l’un des principaux équipementiers mondiaux de défense.

Car depuis Montluçon, Safran domine le marché mondial de la navigation inertielle, devenu un « must have » en vertu des leçons tirées du champ de bataille ukrainien, où les progrès du brouillage des signaux GPS rendent peu à peu inopérantes les armes les plus classiques, comme les bombes guidées par GPS JDAM de Boeing, utilisées au début du conflit, ou le drone turc TB2, désormais hors jeu.

Même les drones Shahed d’origine iranienne produits en Russie perdent de leur efficacité à cause des nouvelles techniques de brouillage, selon les militaires. Safran Electronics & Defense, qui développe son savoir-faire dans la navigation inertielle depuis des décennies au service de la dissuasion nucléaire française, voit s’ouvrir un boulevard de croissance.

La perle du gyroscope à résonance hémisphérique

La fabrication de centrales de navigation inertielle, qui permettent à n’importe quelle plateforme (sous-marins, avions, bombes, satellites) de calculer en continu sa position et son orientation sur la base de sa position initiale, n’est en effet pas à la portée du premier concurrent. C’est un véritable travail d’horlogerie, effectuée avec minutie dans 6.000 mètres carrés de salles blanches, qui ne supportent pas la moindre poussière.

« Par le passé, nos gyroscopes mécaniques comptaient 500 pièces et avaient la taille d’une boîte à chaussure, puis nous sommes passés au gyrolasers de la taille d’un petit carnet et maintenant aux gyroscopes à résonances hémisphérique, la centrale inertielle la plus précise et la plus compacte du monde », s’enthousiasme Jean-Noël Mahieu, directeur des opérations de Safran Electronics & Defense. « Sa taille ne dépasse pas celle d’une capsule de café. Des automates effectuent des millions de manipulations pour travailler le verre et les miroirs dans des salles – on travaille au nanomètre près [un milliardième de mètre, NDLR] », explique le responsable.

Et de signaler que la DARPA, l’agence technologique du Pentagone aux Etats-Unis, vient de classer Safran comme le meilleur fabricant mondial pour les technologies d’inertie, devant ses concurrents américains Honeywell et Northrop Grumman.

Multiplication par quatre des bombes AASM

Avec la hausse des dépenses militaires, la demande de gyroscopes explose. Montluçon a multiplié par deux sa production en deux ans, à 27.000 gyroscopes. La qualité d’un grand nombre d’armes françaises est en partie redevable de cette technologie, qui accompagne la conduite de tir des canons Caesar et surtout les bombes AASM (pour Armement air-sol modulaire), assemblées à Montluçon.

De 2022 à 2024, la production de cette arme de référence de l’avion de chasse Rafale a été multipliée par quatre, et les dirigeants estiment qu’ils peuvent encore doubler la production ! Cette année, un millier d’exemplaires devraient sortir des usines, où des corps de bombe de 250 kg ou 1.000 kg de charges explosives, sont complétés à l’avant par un kit de guidage et à l’arrière d’un kit de propulsion, ce qui transforme la bombe en une arme guidée « d’une précision métrique »

En quelques semaines, la bombe a été adaptée aux avions russes Mig 29 et Sukhoi 35 de l’aviation ukrainienne ainsi qu’aux Mirage 2000 livrés par la France à l’Ukraine, et a acquis chez les soldats ukrainiens une très forte renommée, en atteignant ses cibles.

L’AASM, moins coûteux qu’un missile, offre le bon compromis coût/efficacité.

Franck Saudo, président de Safran Electronics & Defense

« L’AASM, moins coûteux qu’un missile, offre le bon compromis coût/efficacité », plaide le président de Safran Electronics & Defense, Franck Saudo, qui souligne que le groupe est à l’aube d’un développement très important grâce au bond des dépenses de défense des pays de l’Otan. En coopération avec MBDA, Safran étudie, par exemple, une version à longue portée de l’AASM en version sol-sol pour doter l’armée de terre de frappes à longue portée.

Doubler le chiffre d’affaires

« La transparence du champ de bataille qu’on observe en Ukraine tire à la hausse tous nos équipements », déclare le président, dans la navigation, mais aussi l’optronique portable et embarquée, les drones tactiques ( Patroller et Lanner), ou les armes : bombes guidées et munitions téléopérées.

La société a enregistré une croissance de son chiffre d’affaires de 46 % depuis deux ans et table sur 3,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires cette année, avant l’intégration de Collins, dont les deux tiers dans la défense et l’espace. Elle doit conclure le rachat des activités d’actionnement d’avions de Collins, ce qui ajoutera 1,5 milliard d’activités dans les commandes de vol pour le civil et le militaire, et a repris l’an dernier Preligens dans l’IA de défense. « La souveraineté est au coeur de notre mission et nous devrions atteindre 7 milliards de chiffre d’affaires d’ici à 2030 », prévoit Franck Saudo.