À l’usine Aluminium Sabart, à Tarascon-sur-Ariège, six femmes ont fait tomber les barrières d’un univers longtemps réservé aux hommes. Entre la chaleur des fours et la gestion des expéditions, elles ont troqué leurs anciens métiers pour des postes à responsabilités. Depuis août 2024, Gabriela, ancienne aide soignante, est devenue la première femme fondeuse de l’usine.
« Je me souviens de la première fois que j’ai vu Monsieur Cavinato (le directeur, NDLR). On s’est présentés et très vite il m’a dit : « Si moi je peux le faire, vous pouvez le faire ! « , raconte Gabriela Cerqueira, un sourire aux lèvres, son accent portugais trahissant ses origines.
À 36 ans, cette ancienne aide-soignante de l’Adapei 09 a troqué sa blouse blanche pour une combinaison argentée en aluminium, que les vingt-quatre salariés de l’usine surnomment affectueusement « la tenue cosmonaute « .
En effet, depuis le mois d’août, Gabriela est devenue la première femme fondeuse de l’usine Aluminium Sabart, située à Tarascon-sur-Ariège. Fondée en 1929 par Pechiney, cette fonderie fabrique des alliages d’aluminium de haute qualité destinés à de grands noms de l’aéronautique comme Airbus, Boeing Défense et Dassault Aviation. La majorité de la production est exportée sous forme de billettes d’aluminium pesant de 80 kg à huit tonnes, selon les besoins des constructeurs.
Depuis plusieurs semaines, Gabriela apprend à maîtriser toutes les étapes de fabrication, de la préparation de l’alliage à la conception du moule, en passant par la coulée pour façonner des billettes de six mètres maximum, puis le refroidissement et le démoulage. Tout part ensuite chez des forgerons. « C’est comme une recette de cuisine », glisse-telle. L’apprentie évolue aujourd’hui aux côtés de six autres fondeurs, exclusivement des hommes.
« Je ne quitterais cette entreprise pour rien au monde »
Loin de se sentir intimidée, cette dernière trouve dans cet environnement masculin une motivation supplémentaire pour se surpasser. Le défi le plus redoutable ? Racler manuellement l’un des fours, où la température peut atteindre 800 degrés, pour enlever les résidus avant qu’ils ne gonflent et explosent, tel du pop-corn… Une tâche particulièrement physique.
Si son ancien métier d’aide-soignante auprès de personnes en situation de handicap la passionnait, la jeune femme admet qu’elle en avait assez « du manque de soutien de sa direction », de « l’absence de cohésion au sein de l’équipe » et surtout, « du manque de cadre ». « À l’usine Sabart, j’ai trouvé une nouvelle forme de reconnaissance et un environnement où je me sens enfin à ma place. Et je m’en sors plutôt bien ! », dit-elle en riant.
La trentenaire n’est d’ailleurs pas la seule femme à tracer son chemin dans cet univers industriel. Elle peut compter sur le soutien de six autres « Drôles de dames » comme elles se surnomment. Parmi elles, Carine Brelaud, 49 ans, occupe depuis octobre 2022 un poste crucial : responsable CCV (coulée continue verticale) à l’atelier fonderie où se trouve Gabriela.
Et là aussi c’est une première. L’ancienne coiffeuse devenue salariée dans le textile à Lavelanet puis femme de ménage dans des Airbnb et chez des personnes âgées a finalement atterri à ce poste après avoir démontré qu’elle en était capable auprès du directeur Thierry Cavinato.
« Au début, je n’étais pas rassurée, confie-t-elle. Avec tous ces boutons auxquels je ne connaissais rien, je me suis dit que je n’allais pas y arriver. Mais je me suis battue et aujourd’hui, je ne quitterais cette entreprise pour rien au monde. » Elle est désormais fière de contribuer à une production de 600 tonnes par an.
De son côté, Stéphanie Gigot, 43 ans, est arrivée à reculons dans l’usine en tant que femme de ménage. Une expérience qu’elle évoque sans cacher une certaine pointe de déception. « J’ai d’abord travaillé dans l’agriculture, puis j’ai été auxiliaire de vie avant de me retrouver à faire le ménage ici pour, au départ, une quinzaine de jours, souligne-t-elle avec une moue. Honnêtement, j’étais dégoûtée de faire le ménage pour des hommes dans une usine ! »
Effrayée également par l’allure de la fonderie restée dans son jus, elle est malgré tout rapidement tombée amoureuse de son histoire. Une usine au flanc de la montagne où des milliers de personnes s’y sont croisées au plus fort de son activité dans les années 1950. « Les bâtiments en portent encore la mémoire », souligne-t-elle. Même des résistants de la Seconde Guerre mondiale s’y faufilaient pour rejoindre la montagne.
« Je fais partie des meubles »
Motivée, Stéphanie a fini par obtenir un contrat en tant que secrétaire comptable, et après un an et demi de formation, a été embauchée en janvier 2021 comme responsable des relations, expéditions et de la facturation. Son ascension n’a cependant pas été exempte de remarques sexistes de la part d’anciens salariés mécontents à l’idée d’être « commandés par des femmes ». « On est là parce qu’on est toujours en train de se dépasser, de prouver qu’on peut le faire », appuie-t-elle.
Fruit de ce long travail, aujourd’hui, ces six femmes occupent tous les postes à responsabilités de l’usine. Et l’une d’elles depuis maintenant 23 ans. Pour Laurence Rouzaud, responsable des ressources humaines, l’usine Sabart est une affaire de famille, son père y ayant travaillé avant elle.
« Je fais partie des meubles », plaisante-t-elle tout en se remémorant les moments difficiles, comme en 2017, lorsque l’usine a failli disparaître à cause d’une liquidation judiciaire. Le sauvetage in extremis par le groupe chinois Hangzhou Jinjiang – à quinze jours de la liquidation – a permis à l’usine de poursuivre son activité, mais le plan social de 2021 a entraîné six licenciements visant principalement des chefs de poste.
Désormais, la polyvalence est devenue le maître-mot de l’usine. « Ici, tout le monde a besoin des autres et personne ne se sent supérieur », explique Laurence. Grâce à une demande croissante, en particulier dans les secteurs de l’armement et de la marine, Aluminium Sabart voit son activité augmenter chaque année. Avec les répercussions de la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, l’entreprise va peut-être prochainement conquérir un nouveau marché, celui du nucléaire.
» Alors, quand certains Tarasconnais s’étonnent que l’entreprise existe toujours, pensant que tout avait été rasé en 2003, ça nous fait bondir ! « , lâche Stéphanie en riant.
» Alors, quand certains Tarasconnais s’étonnent que l’entreprise existe toujours, pensant que tout avait été rasé en 2003, ça nous fait bondir ! « , lâche Stéphanie en riant.