H2 Green Steel va construire la première aciérie (verte) en Europe depuis 50 ans
La start-up suédoise vient de lever 1,5 milliard d’euros en capital. Elle prévoit de démarrer sa production fin 2025, espérant livrer dans un premier temps 2,5 millions de tonnes d’acier décarboné par an, avant de passer à 5 millions. Le modèle économique se confirme.
Par Anne Feitz
L’acier « vert » devient réalité. En levant 1,5 milliard d’euros de fonds propres il y a quelques jours, la start-up suédoise H2 Green Steel crédibilise l’objectif annoncé depuis sa naissance en 2021 : devenir le premier producteur d’acier 100 % décarboné à l’échelle industrielle.
De nombreux projets sont déjà dans les tuyaux, qui cherchent à réduire l’impact d’une industrie particulièrement néfaste pour le climat : émettant environ 2 tonnes de CO2 par tonne d’acier produite, la sidérurgie représente entre 7 % et 9 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone. La plupart de ces projets sont menés par des grands groupes du secteur, aux côtés de quelques start-up – dont H2 Green Steel ou la française GravitHy.
« Pole position »
Avec cette levée de fonds, la start-up suédoise semble s’assurer une pole position, devant le projet Hybrit de grands groupes suédois (SSAB, LKAB et Vattenfall), qui a pourtant déjà produit de l’acier vert sur un site pilote. Si tout se passe comme prévu, la jeune société démarrera sa production fin 2025, espérant livrer dans un premier temps 2,5 millions de tonnes par an, avant de grimper à 5 millions en 2030. A titre de comparaison, Hybrit prévoit de démarrer son démonstrateur en 2026.
« Il y a un modèle économique très solide pour l’acier décarboné, ce qui nous a permis de convaincre des investisseurs », se félicite Henrik Henriksson, l’ex-PDG de Scania devenu directeur général de H2 Green Steel, dans un entretien aux « Echos »
Soutenue dès l’origine par le fonds Vargas, également actionnaire originel du fabricant de batteries Northvolt, la société avait déjà convaincu des grandes familles (Agnelli, Wallenberg), des groupes industriels (Mercedes, Schaeffler) ou des fonds (Altor, GIC et Just Climate) de la suivre dans l’aventure.
On n’avait pas construit de nouvelle aciérie en Europe depuis 50 ans !
Ces investisseurs historiques sont aujourd’hui rejoints par le fonds tricolore Hy24 , dédié à l’industrie de l’hydrogène, qui a codirigé ce nouveau placement privé auprès de nouveaux venus (Andra AP fonden et Temasek). Cette levée de fonds propres permet aussi à H2 Green Steel de sécuriser 3,5 milliards d’euros de dettes, notamment auprès de Société Générale et BNP Paribas – et de financer son investissement, estimé à 5 milliards d’euros.
Technologies éprouvées
« On n’avait pas construit de nouvelle aciérie en Europe depuis 50 ans ! », s’enthousiasme Pierre-Etienne Franc, l’ex-Monsieur Hydrogène d’Air Liquide, aujourd’hui PDG de Hy24. « En allant plus vite que les autres, H2 Green Steel va disrupter le marché, nous en sommes convaincus. Le fait qu’ils partent de rien est à nos yeux un atout : ils peuvent se permettre de prendre des risques qu’un grand groupe ne prendrait pas. »
De fait, l’aventure ne sera pas sans défis – même si H2 Green Steel a sécurisé les principaux jalons de son avenir. La société, qui a déjà terrassé le terrain de sa future usine à Boden, dans l’extrême nord de la Suède, mise sur la technologie de la réduction directe du minerai de fer (DRI, pour « Direct reduction iron »), à base d’hydrogène : elle consiste à extraire l’oxygène du minerai de fer, non pas avec du charbon comme dans un haut-fourneau, mais en injectant de l’hydrogène.
Cet hydrogène sera lui-même produit par électrolyse de l’eau, en utilisant l’électricité hydraulique locale, elle-même décarbonée. Et l’éponge de fer quasiment pure, ainsi obtenue grâce à la réduction directe, sera fondue dans un four électrique pour obtenir de l’acier.
Si H2 Green Steel fait la course en tête, c’est parce que, contrairement à d’autres projets, il ne passera pas par la case pilote, ni démonstrateur. « Les technologies utilisées sont déjà éprouvées, le seul risque est celui du passage à grande échelle », affirme Henrik Henriksson. H2 Green Steel a déjà choisi ses fournisseurs d’électrolyseurs, d’unités de DRI ou de fours électriques.
Electricité décarbonée compétitive
La société bénéficiera aussi du coût extrêmement compétitif de l’électricité décarbonée disponible dans le nord de la Suède (entre 25 et 35 euros/MWh). Et elle a sécurisé 40 % de ses immenses besoins (10 TWh par an), via des Power Purchase Agreements (PPA), avec les fournisseurs locaux Fortum et Statkraft. « Nous aurions pu sécuriser 100 % mais nous préférons garder une certaine souplesse », assure Henrik Henriksson.
Enfin, malgré un surcoût estimé entre 20 et 25 % pour l’acier vert qu’il produira, H2 Green Steel a déjà signé de nombreux contrats avec de futurs clients , beaucoup issus de l’automobile (BMW, Mercedes, Scania, ZF, Schaeffler). « Nous avons prévendu 50 % de notre production future via des contrats de cinq ou sept ans. Il y a une forte demande de la part d’industriels engagés à réduire leurs émissions, à plus ou moins longue échéance », poursuit le dirigeant.
Ce surcoût va, en outre, se réduire lorsque la réforme européenne du marché carbone, en supprimant les allocations gratuites de CO2, renchérira le prix de l’acier carboné sur le Vieux Continent. Un marché auquel H2 Green Steel et ses investisseurs croient en tout cas dur comme fer, au point de prévoir déjà une seconde usine au Portugal, en partenariat avec Iberdrola pour les électrolyseurs. Un projet à 2,3 milliards d’euros.