Rouyn-Noranda n’est pas une fonderie
Quand je discute de ma ville natale avec mes amis non témiscabitibiens, et de mon désir de retourner y vivre, je récolte immanquablement des railleries sur la qualité de l’air, sur le cancer ou sur mon espérance de vie. « Est-ce que ma voiture va rouiller si je l’amène chez toi ? », m’a-t-on lancé récemment. « À quel pourcentage te considères-tu comme contaminée en arsenic ? » « Les lacs ne doivent pas être baignables chez vous ! »
Je ne blâme personne ; ils ne connaissent de ma région que tout le drame causé par la Fonderie Horne. Mais je ressens tout de même un ras-le-bol grandissant en constatant l’image générale reçue du coin de pays que j’aime tant, et le manque de perspective flagrant lié à cet enjeu.
Loin de moi l’idée de dénigrer les brillants reportages des journalistes ou de défendre ceux qui polluent mon air. Toutefois, il s’est écoulé plus d’un an depuis la diffusion des (terribles) données du rapport de l’étude de biosurveillance menée à l’automne 2019 par la Santé publique qui ont ramené le dossier sous les projecteurs.
Je suis consciente de la nécessité d’exposer le sujet dans les médias si l’on souhaite connaître une amélioration, évidemment. Malgré tout, j’ai envie que l’on parle de Rouyn-Noranda pour ce que la ville est vraiment – au-delà de sa fonderie.
Rouyn-Noranda mérite d’être dans nos écrans parce que c’est un centre culturel audacieux qui subsiste à sept heures de route de la métropole. Dans une ville « au milieu de nulle part », une pluralité de festivals connaît un succès considérable année après année. Même Sean Paul est passé par la capitale du cuivre en 2022 !
Des institutions culturelles trônent entre les mouches et les épinettes : le Petit Théâtre, l’Agora des arts, le Théâtre du cuivre, l’Abstracto, le Cabaret de la dernière chance, la liste est longue. Des artistes talentueux s’épanouissent sous le ciel rouynorandien et s’inspirent de la richesse de notre histoire.
Impossible de ne pas mentionner des noms remarquables, dont Anodajay, Richard Desjardins, Zach Zoya, Sophie Dupuis et Jocelyne Saucier. Et la relève taille sa place avec autant d’ambition : des jeunes comme Molly Bertrand et William B. Daigle saisissent la beauté du terroir et continuent de faire de notre ville la mine d’art qu’elle est.
Rouyn-Noranda, c’est une terre d’immigration ouverte depuis des dizaines d’années aux différences. Entre l’arrivée de mes grands-parents espagnols en 1950 et l’accueil que plusieurs Rouynorandiens ont réservé à des Ukrainiens l’an dernier, l’esprit de communauté se respire à des kilomètres à la ronde – bien plus que l’arsenic, à mon avis. Avant de nous demander de fuir cette multinationale qui nous empoisonne, et de nous juger pour nos contradictions, je vous conseille de vous attarder à la force de nos amitiés et de nos familles… Notre sentiment d’appartenance est grand et n’est pas né de la veille.
Rouyn-Noranda, c’est aussi un territoire ancestral anichinabé, où l’on cohabite avec des membres des Premiers Peuples qui se tiennent fièrement debout. Sept communautés algonquines se situent sur le territoire délimité par l’Abitibi-Témiscamingue. Leurs initiatives, leurs projets et leur résilience sont inspirants. Par exemple, l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, dont le campus principal se situe à Rouyn-Noranda, a créé la première École d’études autochtones au Québec. Des chargés de cours autochtones et non autochtones s’y côtoient pour faire avancer la recherche et le partage de connaissance sur les Premières Nations.
Les gens de chez moi aiment la forêt, les lacs – vous saviez qu’il y a plus de 20 000 lacs dans la région ? –, la faune et la neige. On est libre et on n’en manque pas, d’air pur.
Je parle de mon sentiment d’appartenance pour ma ville chérie, mais mes mots valent pour l’Abitibi-Témiscamingue au grand complet, de Senneterre à Normétal. Je dirais même qu’ils valent pour toute la province ; ce n’est pas normal que le Québec ait seulement découvert Lebel-sur-Quévillon sur une trame rougeâtre, alors que la ville était enfumée par le brasier.
Dans le même ordre d’idées, j’adorerais en apprendre plus sur Saint-André-de-Kamouraska, Saint-Félicien, Manawan, Saint-Donat, Puvirnituq ou Cacouna dans les médias. On s’emmure dans des préjugés au sein d’une même province, on fait preuve de snobisme au lieu d’ouverture d’esprit. Pour renverser la tendance, il est impératif de connaître ce qui se passe chez nos voisins. Et dans mon livre à moi, cela passe d’abord par les histoires simples du quotidien – avant les grandes catastrophes.
Les réalités des petites localités sont-elles moins importantes que celles des grands centres ? Certes, elles touchent proportionnellement moins d’individus ; mais il s’agit de préoccupations de Québécois qui méritent une voix au même titre que les Montréalais.
La diversité en information doit aussi passer par une diversité d’histoires, qui se déroulent parfois à l’est de la 25, à l’ouest de la 15, au nord de la 40 et au sud de La Ronde. Alors que j’ai l’impression de connaître le REM comme s’il desservait mon territoire, que savez-vous des réalités des agriculteurs qui vous nourrissent à partir de l’Abitibi-Témiscamingue ?
Alors oui, continuez de vous intéresser à notre fonderie, mais je vous en prie, lâchez les discours dramatisants et les commentaires condescendants. Je vous encourage à traverser le parc de La Vérendrye au moins une fois avant de porter des jugements, pour comprendre l’ampleur de la forêt qui nous entoure, surtout quand on la compare à la petitesse des cheminées de la Horne.
Et j’espère qu’arrivés à Rouyn-Noranda, vous comprendrez de quoi on vit : de mines et de cuivre, d’art et de musique, de chasse et de pêche, de neige et d’étoiles. Rouyn-Noranda n’est pas une fonderie.