Voitures : les méga-presses de fonderie de Tesla vont-elles créer de giga-problèmes à la réparation ?
En toute discrétion, d’immenses machines bouleversent l’industrie automobile. Il s’agit des “méga-presses” de fonderie (aussi appelées giga-presses) : des appareils capables de mouler des morceaux de carrosserie plus grands, afin de réduire le nombre de pièces métalliques dans le squelette des voitures. Tesla a joué les pionniers en introduisant cette technologie dans ses usines. Inspirés par l’entreprise américaine, de plus en plus de constructeurs s’en emparent, à l’image de Hyundai, Toyota et Volvo. Le hic, pour les automobilistes ? Les véhicules fabriqués avec des giga-presses seraient plus difficiles et plus chers à réparer.
La sonnette d’alarme a été tirée début octobre par la Fédération de la distribution automobile (FEDA). L’organisation alerte les pouvoirs publics sur le risque de “réparations bien plus coûteuses à terme”. Ce n’est pas tout : une voiture plus complexe à entretenir générerait aussi des frais d’assurance plus élevés, redoute la FEDA.
À quoi servent les giga-presses de Tesla ?
Pour comprendre ces inquiétudes, il faut revenir au boucan des usines automobiles. Pour une voiture traditionnelle, les morceaux de tôle se comptent en centaines et les points de soudure en milliers. Dans des ateliers ultra-automatisés où fusent les étincelles, les pièces métalliques sont assemblées par des machines. Ce ballet robotique est certes beau à contempler, mais tout cela coûte des sous. Les méga-presses pourraient changer la donne : en fabriquant des pièces métalliques plus grandes, les constructeurs pourraient réduire le nombre d’assemblages nécessaires à la réalisation d’une carrosserie, et donc sabrer les coûts liés aux robots de soudure.
Les méga-presses font d’ailleurs partie des piliers de la performance de Tesla. Elles ont permis de remplacer des dizaines et des dizaines de pièces par des ensembles plus grands. Pour le patron de l’entreprise, Elon Musk, cette méthode “réduit le poids, simplifie grandement la fabrication, augmente la tenue de route et diminue les bruits de roulement”. On retrouve cette innovation à bord de la Model 3, de la Model Y et aussi du futur Cybertruck. Et la marque américaine cherche à repousser les limites de cette technologie pour lancer un véhicule d’entrée de gamme, souvent surnommé “Model 2” ou “Model A”. Tout aussi désireux de diminuer leurs coûts de production sur les voitures électriques, d’autres constructeurs ont d’ores et déjà annoncé des investissements pour expérimenter ou utiliser des presses de fonderie géantes. Parmi eux, Ford, Hyundai, Toyota, Volvo ou encore la marque chinoise Zeekr. Autant dire que cette nouvelle architecture de voiture pourrait concerner de plus en plus d’automobilistes.
“Une aberration pour le pouvoir d’achat”
Utilisées depuis 2020 chez Tesla, les méga-presses demeurent une tendance récente. Difficile de dire à quel point elles permettent de réduire le prix des voitures neuves à l’achat, même si Tesla multiplie les remises sur ses berlines. En revanche, de façon plus évidente, les méga-presses font peser un risque sur la réparabilité des voitures.
“Là où il suffit aujourd’hui de remplacer un seul composant, c’est un bloc entier qu’il faudra changer !”, alerte la FEDA. “C’est une technologie qui va permettre aux constructeurs de réaliser beaucoup plus de marges mais c’est une aberration pour le pouvoir d’achat des ménages français, alors que la réparation est déjà un de leurs plus gros postes de dépenses”, rappelle Mathieu Séguran, délégué général de la FEDA, interviewé par Capital. “Dans le cas d’un choc à grande vitesse, de toute façon, la voiture est bonne pour la casse. Mais pour les chocs à basse vitesse, il y a une vraie question sur la réparabilité”, observe plus prudemment Éric Espérance, associé chez Roland Berger.
À combien s’élèvent ces risques de surcoût ? Des assureurs mutualistes ont réalisé une étude comparative sur une réparation typique. À savoir une voiture emboutie à l’arrière nécessitant la réparation du dessous de caisse arrière (une partie fabriquée à l’aide des méga-presses chez Tesla). Sur une voiture traditionnelle, l’opération coûte 12.150 euros pour 6,5 jours de travaux. Mais dans le cas d’un véhicule utilisant une “méga-pièce”, la facture gonfle à 15.400 euros pour 11 jours de travail. Soit un surcoût de 27 %, selon cette étude obtenue par la FEDA.
Un dérapage vers des voitures jetables ?
Mathieu Séguran s’inquiète aussi des batteries structurelles utilisées par Tesla : avec cette architecture innovante, les cellules de la batterie font partie intégrante du châssis de la voiture, à la différence des voitures électriques conventionnelles, où les batteries sont installées à l’intérieur d’un gros boîtier. “Si un choc abîme ne serait-ce que trois ou quatre cellules dans une batterie qui en compte plusieurs milliers, la voiture ne sera pas réparable. Elle va partir à la casse”, détaille-t-il.
Le délégué général de la FEDA dénonce un dérapage vers des “voitures jetables” alors que Tesla travaille à fabriquer d’un seul tenant des éléments de voiture de plus en plus grands. “À partir du moment où votre véhicule n’est plus réparable, il est évident que les primes d’assurance vont fortement augmenter”, prévient Mathieu Séguran. Il faut ajouter à cela des conséquences néfastes pour le climat, si la durée de vie des voitures venait à diminuer.
Mais les assureurs, justement, pourraient faire office de contre-pouvoir, selon l’expert de Roland Berger, Éric Espérance. “Les assureurs imposent déjà aux constructeurs automobiles des critères de réparabilité dans la conception des carrosseries. L’avis de l’assureur, et plus particulièrement le coût de la réparabilité, sont pris en compte dans la définition de l’architecture des voitures”, détaille-t-il. La FEDA et des sociétés d’assurance doivent se réunir avec le gouvernement fin octobre, pour évoquer le sujet des méga-presses.
Il n’est toutefois pas certain que tous les constructeurs investissent dans cette technologie. “L’équation économique n’est pas simple”, reconnaît Éric Espérance. “Les moules des giga-presses s’abîment petit à petit à l’utilisation, donc ils ont une durée de vie limitée. Or, un moule de giga-presse, c’est un objet qui peut peser 100 tonnes et c’est très cher à usiner”, développe l’expert. Il faut ajouter à cela des défis techniques importants pour fondre des éléments métalliques aussi grands. Les groupes français Stellantis et Renault n’ont pas encore annoncé d’investissements dans ce domaine. Vont-ils s’en mordre les doigts ? Si Tesla tient ses promesses, en réduisant le prix de ses voitures grâce aux presses de fonderie géantes, la marque américaine pourrait grignoter encore davantage de parts de marché aux constructeurs historiques.