C’était le seul repreneur depuis le retrait du canadien Linamar. Troisième producteur chinois d’aluminium, ce groupe de 20.000 salariés s’était engagé à investir 42,5 millions d’euros pour moderniser les usines vieillissantes et à ne supprimer que 20 des 432 emplois de Jinjiang SAM – son nouveau nom – et 30 des 195 emplois de FVM.
Hangzhou Jinjiang n’était pas inconnu en Occitanie : il avait repris en juillet 2017 Sabart Aero Tech (32 salariés) en Ariège, une ancienne usine Pechiney qui fabrique des billettes d’alliage d’aluminium. « Notre stratégie est de réaliser une intégration verticale en faisant l’extraction, la production d’aluminium pur, l’alliage à Sabart, le forgeage et le matriçage », expliquait alors Yun Xu, président de Jinjiang Industries Europe (JIE), filiale du groupe.
A 90 % pour Renault
Mais à Viviez, le soulagement de la reprise a vite laissé place à l’inquiétude. « Le repreneur s’était fait fort d’agrandir le bâtiment et d’acheter des machines, mais les investissements promis ne sont jamais arrivés, déplore Sébastien Lallier. Ils ont acheté des machines aux enchères d’une fonderie aux Pays-Bas, dont un four de fusion. Mais l’adapter à nos besoins aurait coûté plus cher qu’un four neuf ! On attendait que les appareils tombent en panne pour les réparer. »
Pourtant, il y a urgence. L’usine aveyronnaise, qui fabrique des carters d’embrayage, des supports de moteur et des actionneurs d’essuie-glace, travaille à 90 % pour Renault. Lors de la reprise, le constructeur s’est engagé à lui acheter pour 85 millions d’euros de pièces par an jusqu’en 2025. Il lui a commandé des nouveaux carters pour les voitures hybrides et électriques, et l’entreprise doit acheter des machines pour les produire.
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Mais son chiffre d’affaires (50 millions d’euros sur les huit premiers mois de 2018) diminue avec la chute des ventes de voitures diesel après le « dieselgate ». En juin 2019, JIE annonce la suppression de 120 emplois chez FVM. La situation se tend aussi à Jinjiang SAM. Thierry Cavinato, le bras droit de Yun Xu, organise un référendum sur le passage à 4 équipes en travaillant le week-end et la délocalisation de l’usinage chez Bosch à Rodez… 80 % des salariés refusent. « Furieux, M. Cavinato organise une assemblée générale en juillet, alors qu’il fait 45 °C dans les ateliers, pour nous dire que nous n’avions rien compris », raconte Ghislaine Gistau, de la CGT. Pendant l’AG, les délégués reçoivent une convocation à un comité social et économique (CSE) extraordinaire sur l’instauration du chômage partiel. « Imaginez notre incompréhension : il faut travailler plus et faire du chômage partiel ! » ajoute la syndicaliste.
Blocage du site
Le 20 septembre, l’annonce d’un CSE sur la suppression de 250 emplois entraîne le blocage de l’usine. C’est la consternation dans l’Aveyron car l’usine Bosch, l’autre grande unité industrielle du département, a déjà réduit son activité avec la chute du diesel. Le 26 septembre, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, venu à Rodez discuter de la diversification de « la Bosch », organise une réunion avec les dirigeants de Jinjiang SAM et des représentants de Renault. Yun Xu se plaint d’une baisse de 30 % des commandes et le constructeur reproche les retards de fabrication… A la sortie, JIE s’engage à investir et Renault envoie des techniciens pour superviser la production.
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Mais le répit est de courte durée. Jinjiang SAM est placé en redressement judiciaire le 10 décembre. Le lendemain, les salariés empêchent les dirigeants de quitter l’usine. Quand ceux-ci parviennent à partir après une médiation, des ouvriers enlèvent le drapeau chinois du site et le jettent sur la voiture de Yun Xu… A la demande du personnel et des pouvoirs publics, le tribunal de commerce dessaisit le groupe de la gestion le 7 janvier et nomme un manager de transition en plus des deux administrateurs judiciaires.
Après cet échec, le maire de Viviez, Jean-Louis Denoit (PS), est inquiet. « On se retrouve dans la situation où tout le monde ne croit plus trop à un repreneur, dit-il. C’est dramatique car c’est la plus grosse usine de ce bassin sinistré et les 385 salariés maintiennent l’hôpital, les écoles et les commerces. »