Comment passer d’une perspective de fonderie haut de gamme à un redressement judiciaire (1). L’imbroglio économique de l’ancienne Française de roues.

Le délégué syndical Anthony Babarczi devant le site de Diors. Photo PB
Par Pierre Belsoeur

Le dépôt de bilan fait partie de l’ADN du dernier fabricant de roues en aluminium français. Cela ne rassure pas vraiment les 166 survivants des près de 400 salariés qui travaillaient autrefois à ce qui s’appelait encore La Française des Roues. Mais là où la situation bat tous les records de « foutage de gueule » c’est lorsque l’on constate que le déménagement d’une usine sidérurgique peut être stoppé au milieu du gué, comme la vie d’un magasin de fringues dont les créateurs n’avaient pas anticipé l’évolution du marché.

Voici un an on annonçait le déménagement d’Imprériales Wheels de Diors au Poinçonnet où des chaînes de montage révolutionnaires leur permettraient d’avoir un rapport qualité prix qui ferait baver tous les constructeurs automobiles. Désormais la perspective basse est de voir disparaître purement et simplement les jantes alu du paysage indrien… et donc de France. Sidérant alors qu’on ne parle plus que de réindustrialisation.

La faute à qui ? « A l’Etat et aux donneurs d’ordre », estime le groupe communiste du conseil régional. Lequel conseil a injecté 5M€ dans l’entreprise voici deux ans, lors du précédent dépôt de bilan. « La faute en partie à l’augmentation du prix de l’énergie, pense Anthony Babarczi, délégué syndical CGT de l’entreprise. Renault et Stellantis ne prennent pas en compte ce coût supplémentaire dans le prix d’achat des jantes, si bien que nous perdons 40 à 50 euros par jante (la capacité de production de l’usine est de 20 000 jantes par jour). Ils se rabattent sur le Maroc où le gouvernement compense ce renchérissement ».

Le problématique site du Poinçonnet. Photo PB

Une ligne au lieu de huit

On pourrait penser que c’est un mauvais moment à passer. La direction elle-même prévoyait, après une année 2024 déficitaire, un retour aux bénéfices dès 2025. Seulement, la nouvelle usine qui devait accueillir huit chaînes de fabrication automatisées, n’en compte qu’une à ce jour. « Et encore, précise Anthony Babarczi, il lui manque un élément. Et avec les autres machines on n’a pas de quoi construire une deuxième chaîne ». Selon la direction pourtant 35% des machines auraient été payées, ce qui n’a pas empêché les constructeurs d’en rapatrier plusieurs déjà arrivées sur le site. La confiance règne !

« Ils ne jouent pas le jeu »

Conseiller régional communiste de l’Indre, Dominique Boué partage les inquiétudes des travailleurs d’Impériales Wheels. « Sur une échelle de 1 à 10 je dirais que j’évalue à 4 les chances de survie de l’entreprise. Stellantis ne s’engage plus en matière de commandes. L’Etat n’a pas versé la totalité des 50 millions promis, parce qu’il est en désaccord avec Emile Di Serio, le patron de Saint Jean Industries. Cela a précipité le problème de trésorerie. Désormais il faut que le gouvernement se positionne pour savoir s’il veut sauver l’entreprise. Il est anormal qu’une entreprise comme Stellantis, dans laquelle de l’argent public a été investi au moment où elle allait mal, n’utilise pas une toute petite partie de ses énormes bénéfices pour permettre à son fournisseur de jantes de passer un cap difficile. Linamar peut sans doute accorder un délai à Impériales Wheels pour évacuer le site de Diors, à condition que St. Jean ou un repreneur décide de poursuivre l’aventure ».

Reste à savoir si le fondeur rhodanien fera profiter les repreneurs du fameux procédé Cobapress dont il est l’inventeur, qui permet d’optimiser l’opération de fonderie.

(1) Le tribunal de commerce de Villefranche-sur-Saône a placé l’entreprise en redressement judiciaire le 22 février, et accordé une poursuite d’activité de six mois et une période d’observation de deux mois avant un nouveau point sur la trésorerie.

Historique : de F2R à Impériale Wheels

En 2010 à Diors, aux portes de Châteauroux, la fonderie spécialisée dans la fabrique de jantes alu F2R, se détache de sa maison mère Montupet (reprise, elle, par le groupe Canadien Linamar en 2016 qui continue de fabriquer notamment des culasses pour la plupart des constructeurs européens). Elle devient la propriété du groupe indien Deltronix. Les débuts sont éblouissants avec une progression du CA de 48%, saluée par les revues économiques. En 2012 l’installation d’un nouveau four de fusion laisse entrevoir un avenir joyeux.

Hélas rien ne va plus en 2014. L’entreprise est placée en redressement judiciaire, des transferts de fonds « étonnants » ont provoqué la nomination d’un administrateur provisoire. Le premier sauveur a pour nom Thierry Morin, ancien Pdg de Valéo, grand nom des équipementiers automobiles. De près de 382 salariés (permanents et intérimaires) les effectifs tombent à 270 personnes environ.

L’usine s’appelle successivement AR industrie, puis Liberty Wheels.
En 2021 l’entreprise connaît son quatrième redressement judiciaire depuis 2010. Elle s’appelle alors Alvance Wheels. Elle est rachetée par Saint-Jean Industrie, dirigée par Emile di Serio. Le nouveau propriétaire ne conserve que 168 salariés dans ce qui s’appelle désormais Impériales Wheels. Il promet la mise en place d’un système de production révolutionnaire sur un nouveau site, au Poinçonnet.

L’Etat (40M€) et la Région (5M€) ont mis la main au portefeuille pour convaincre l’industriel de sauver la dernière fonderie de jantes en aluminium de France. En février 2024, Impériales Wheels est placée en redressement judiciaire, le montage des nouvelles chaînes est stoppé, le personnel accumule les jours de chômage technique et doit évacuer le 15 juin ses locaux de Diors, repris par Linamar.