La mémoire du père de la célèbre tour de fer est honorée tout au long de l’année 2023 à l’occasion du centenaire de sa mort. L’occasion de découvrir toutes les facettes de ce prolifique ingénieur-entrepreneur ainsi que ses autres réalisations en France et ailleurs.
Il n’a jamais cessé d’entreprendre. Même si la mémoire collective ne garde de lui aujourd’hui que le nom d’une tour de fer de 330 mètres de haut, symbole de la ville de Paris, Gustave Eiffel a été tout au long de sa vie un ingénieur et un inventeur de génie. Des édifices bâtis sur toute la planète à ses découvertes en matière météorologique et aéronautique, son oeuvre est foisonnante et reste encore largement méconnue.
« C’est un vrai startuppeur, il a tout le temps des idées astucieuses et il prend des risques ! », s’enthousiasme Myriam Larnaudie-Eiffel, descendante du célèbre inventeur et chargée de l’Association des descendants de Gustave Eiffel (ADGE). Gustave Eiffel est mort en 1923, à l’âge, très rare à l‘époque, de 91 ans. À l’occasion du centenaire de sa mort, l’association a décidé de faire l’inventaire de son oeuvre. Un travail de titan : « nous avons répertorié 500 ouvrages dans plus de 30 pays sur les cinq continents, mais on sait qu’il y en a entre 700 et 800 autres », raconte Myriam Larnaudie-Eiffel.
Car ce style Eiffel si particulier de structures en acier lourdes et aériennes à la fois, se décline en une multitude d’oeuvres symbole d’une époque, marquée par une économie de récession postguerre de 1870 mais aussi par le développement du rail et de l’industrie, car il faut construire et reconstruire vite et à moindre coût. Gustave Eiffel va surfer sur la vague de la construction métallique naissante en ne cessant de l’améliorer et de la développer.
Des ponts en kit
Diplômé de l’Ecole centrale en 1855, année de la première exposition universelle présentée à Paris, le jeune Gustave Eiffel commence sa carrière chez un ingénieur-constructeur de matériel de chemin de fer, Charles Nepveu. Dès 1857, à 27 ans, il décroche son premier contrat d’envergure : la construction d’un pont de chemin de fer à Bordeaux. L’édifice, aujourd’hui connu sous le nom de « passerelle Eiffel », long de 504 mètres et haut de 6,35 mètres sera réalisé en moins de trois ans. Une prouesse à l’époque. Et à 30 ans, il décide de créer sa propre société : Eiffel et Cie, spécialisée dans les charpentes métalliques.
Eiffel et Cie installe ses ateliers à Levallois-Perret, à l’ouest de Paris. C’est de là que Gustave Eiffel va bâtir sa renommée qui culminera avec la construction de la tour Eiffel à l’occasion de l’Exposition universelle en 1889. Aujourd’hui connu et reconnu dans le monde entier, le monument est le plus visité au monde avec 6,2 millions de visiteurs en 2022 et réalise un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros selon la Société d’exploitation de la Tour Eiffel.
A l’avant-garde de son époque
Des idées avant-gardistes, Eiffel en a eu tout au long de sa vie. Ainsi pour se démarquer de la concurrence, l’ingénieur va inventer et développer des ponts… en kits : un pont portatif en acier envoyé au client qui se charge d’assembler le produit. Il en vend partout. Dès 1867, il remporte ses premiers succès, comme les viaducs de Rouzat et de Neuvial, dans l’Allier pour la compagnie des chemins de fer d’Orléans, mais aussi en 1868, on le sait peut-être moins, le théâtre Les Folies aujourd’hui plus connu sous le nom de Paradis Latin. Et l’habile entrepreneur se tourne aussi très vite à l’international.
Eiffel exporte les structures élaborées dans ses ateliers ce qui explique qu’encore aujourd’hui on en retrouve les traces partout, ou presque : du viaduc Maria Pia sur le Douro au Portugal jusqu’à la Statue de la Liberté, dont il a construit la structure intérieure, du viaduc de Garabit en France qui enjambe à 835 mètres d’altitude la vallée de la Truyère dans le Cantal jusqu’à la gare de Budapest en Hongrie, de la cathédrale d’Arica au Chili jusqu’au pont d’Ungheni en Roumanie, des écluses du canal de Panama, jusqu’au pont de Trang Tien qui enjambe la rivière des fleurs à Hue au Vietnam.
Un capitaine d’industrie prospère
A chaque chantier, une innovation, comme ce montage en porte à faux inventé pour le pont Maria Pia où chacune des parties construites sur les rives du Douro va servir d’appui pour assembler les suivantes et permettant à ses viaducs de s’élancer haut sur des distances de plus en plus longues. Pour l’observatoire de Nice, il crée même un système hydraulique jugé trop novateur à l’époque dont il devra garantir le bon fonctionnement pendant dix ans. Encore aujourd’hui, on peut admirer le dôme amovible de 22 mètres de diamètre flottant dans une cuve remplie de solution aqueuse pour faciliter son ouverture.
La renommée de l’ingénieur entrepreneur s’envole. Gustave Eiffel devient un véritable capitaine d’industrie prospère en phase avec cette fin de XIX siècle dynamique : des ponts et viaducs, des appareils de levage et des grues, des phares, comme celui de San Nicolas à Manille aux Philippines ou des usines à gaz (des vraies) en France à Clichy, Boulogne, Poissy… mais aussi à La Paz en Bolivie ou à Tacna au Pérou.
Précurseur en marketing
Mais si la réussite de l’ingénieur doit beaucoup à son génie inventif, elle tient aussi beaucoup à son talent de chef d’entreprise capable de s’associer avec les bons partenaires, de trouver les bons appuis politiques. Précurseur aussi en matière de marketing, Gustave Eiffel va se servir de la presse pour diffuser son savoir-faire et accroître sa notoriété. Quand les autorités renâclent à la construction de sa tour il fait par exemple « fuiter » les plans. Il va aussi franciser définitivement son nom. Son aïeul, Alexandre Boenickhausen avait pris le nom d’Eiffel en souvenir de la région allemande, l’Eifel, dont il était originaire. Sur les documents administratifs, les deux patronymes coexistent. Gustave va faire retirer ce nom à « consonance allemande qui inspire des doutes sur sa nationalité française et ce simple doute est de nature à (lui) causer, soit individuellement, soit commercialement, le plus grand préjudice », écrit-il dans sa demande.
Eiffel se démarque aussi au sein de ses ateliers et chantiers par un suivi social et une attention particulière aux accidents du travail alors qu’ils sont excessivement nombreux à l’époque. La légende veut même que, jeune ingénieur lors de la construction du pont de Bordeaux, il se jetât à l’eau pour sauver un ouvrier tombé dans la Garonne et qui manquait de se noyer.
Scandale de Panama
Laminé par le scandale de Panama, qui lui vaudra une condamnation pour abus de confiance, avant d’être réhabilité en 1893, Gustave Eiffel décide d’abandonner ses ateliers mais pas ses inventions. Il conservera malgré tout un véritable esprit scientifique et une curiosité au progrès de son époque. Passionné d’aviation, il se retranche dans ses laboratoires pour mener des recherches en aéronautique et en aérodynamique. A 70 ans, il devient un pionnier de la météorologie et de l’aéronautique. Il installe une soufflerie au pied de la tour qu’il déplace ensuite à Paris rue Boileau, où elle fonctionne toujours. De là, il développera les premières lois physiques de l’aéronautique tout juste naissante, qui lui vaudront plusieurs prix scientifiques.
Il consacrera aussi les dernières années de sa vie à se servir de sa tour comme laboratoire, pour la sauver de la destruction. Il contribuera ainsi à faire avancer la technologie de la télégraphie sans fil, de la radio, de la météorologie, de l’aérologie, et pour finir, de l’aéronautique. Ami de Gaumont, il s’intéresse au cinéma tout juste balbutiant mais aussi à la radio en permettant par exemple à l’autorité militaire d’installer une antenne à partir du 3e étage de la tour qui porte son nom.
« Gustave Eiffel fait rayonner l’image de la France dans le monde entier parce qu’il n’a eu de cesse d’innover. Il incarne la France industrielle et aura été un dirigeant aux idées sociales avancées », avance Myriam Larnaudie-Eiffel, qui plaide pour une panthéonisation de son illustre ancêtre.
Une année de célébration
Plusieurs manifestations sont prévues tout au long de l’année 2023 comme une exposition itinérante labellisée Unesco en France et à l’étranger (Bordeaux, Nice, Dijon, Chinon, Saint-Flour-Garabit, Budapest, ou encore Washington et New York…) ou aussi une expérience de réalité virtuelle à 360° dans la Tour Eiffel. Des mises en lumière d’ouvrage en France et à l’étranger mais aussi des colloques, débats et conférences rythmeront l’année 2023. Ce programme sera complété par de nombreuses autres manifestations notamment au Musée d’Orsay, à la Cité de l’Architecture, au Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget.
Valérie de Senneville