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jeudi 03 Août, 2023
Catégorie : Selon la presse

D’Henri IV à la semaine de quatre jours,

D’Henri IV à la semaine de quatre jours, la grande histoire des Fonderies de Sougland

Par Gautier DEMOUVEAUX.

Cet été, l’édition du Soir vous emmène à la découverte des plus anciennes entreprises de France et leur histoire souvent méconnue. Pour ce quatrième épisode, rendez-vous dans le nord de l’Aisne aux Fonderies de Sougland, où l’on travaille le métal depuis 1543.

Saint-Michel, dans l’Aisne. C’est dans ce village situé à quelques kilomètres à l’est d’Hirson, en pleine Thiérache, entre ses forêts et ses pâtures verdoyantes où broutent les vaches dont le lait sert à fabriquer le fameux fromage Maroilles, qu’ont été fondées au XVIe siècle les Fonderies de Sougland. En empruntant la petite route qui longe le Gland, ce ruisseau qui a donné son nom au lieu-dit et à l’entreprise multicentenaire, on aperçoit encore quelques vestiges des bâtiments originaux, faits de briques rouges, comme c’est d’usage dans cette partie du nord de la France. Un peu plus loin, les entrepôts de l’usine – construits au début du XXe siècle – tranchent avec le paysage bucolique. En effet, quand on pénètre dans l’usine aux toits en « Shed », cette forme typique en dents de scie développée au moment de la seconde révolution industrielle, le chant des oiseaux et le soleil laissent place à un univers sombre au bruit étourdissant.

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Tout cela s’accompagne d’une chaleur suffocante mêlée d’éclairs et d’étincelles, provoqués par le métal en fusion qu’un opérateur, habillé en combinaison argentée ignifugée de la tête aux pieds, casque et lunettes de protection vissées sur la tête, verse dans une poche – un récipient en forme de grand seau – depuis le four qui chauffe à 1 700 °C. Le spectacle est digne de la mythologie ou de la science-fiction.

480 ans d’histoire

« On travaille le métal ici depuis près de cinq siècles ! » fait remarquer, non sans fierté, Yves Noirot, directeur général de l’entreprise. C’est ici en effet qu’au milieu du XVIe siècle, un certain Thomas de Canone crée la première forge pour travailler le métal. « Les terres appartenaient à l’abbaye de Saint-Michel, située à quelques kilomètres, explique Martine Martin, chargée de communication et des visites de l’entreprise. Les bâtiments du monastère avaient subi un incendie et les moines avaient besoin de liquidités pour réparer. Le père-abbé, Jean Charpentier, a donc passé un bail de 99 ans, pour deux terrains au lieu-dit de « Sougland », à charge pour lui d’y bâtir une forge et un fourneau. » Il faut dire que l’endroit est idéal pour implanter une telle activité : le sous-sol de la région est riche en minerais de fer, la forêt attenante sert au combustible du four, tandis que la force du courant du ruisseau permet d’entraîner les soufflets de forge.

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L’atelier produit alors des outils en fer forgé, mais aussi des armes. Il faut dire que la région est régulièrement visée par des attaques ou subit le passage de troupes. « Nous sommes ici en Thiérache, où se trouvent de nombreuses églises fortifiées, argumente Yves Noirot. C’est le seul territoire de France où l’on trouve de tels édifices. Tout simplement parce que c’est un lieu de passage pendant les guerres. » L’entreprise fournit notamment les armées royales de Henri IV puis de Louis XIII. En 1641, c’est d’ailleurs le Cardinal de Richelieu en personne qui confirme le bail emphytéotique à Jean Pètre, homme d’armes au service du Prince de Condé et nouveau propriétaire de l’entreprise.

Une entreprise qui a su s’adapter

Au cours des siècles, les fonderies connaissent plusieurs fois les destructions. En 1940, l’usine est même pillée par l’armée allemande, qui embarque toutes les machines pour les envoyer outre-Rhin.

« L’usine a connu bien des malheurs au cours de son existence, mais a toujours su s’en remettre, grâce à la résilience et une capacité de transformation extraordinaire », rappelle Yves Noirot. L’entreprise s’adapte à son époque, comme le prouvent les choix stratégiques de son histoire. Au milieu du XIXe siècle, la famille Dormoy, une dynastie de Maîtres de forges, devient propriétaire de la fonderie et développe la fabrication de cuisinières et poêles en fonte émaillée. Une activité prospère qui emploiera jusqu’à 1000 personnes, femmes et enfants compris, comme cela se fait à cette époque.

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Sur les panneaux explicatifs qui jalonnent le parcours des visiteurs, au cœur de l’usine, on voit également des images d’archives, et notamment une reproduction d’un diplôme d’honneur de l’Exposition universelle de 1900. « C’est l’une des fiertés de l’entreprise, reconnaît Martine Martin. Le patron de l’époque, Edmond Dormoy, avait déposé un brevet pour une machine à émailler. Avant ça, l’émaillage des pièces en fonte se faisait à la main, dans un bain d’émail. Mais les vapeurs étaient très toxiques, notamment à cause du plomb. Il y avait des problèmes de maladie et de mortalité chez les ouvriers. Edmond Dormoy a inventé une machine qui permettait de faire passer les pièces dans un bain d’émail mais dans une atmosphère plus confinée. Son invention a été récompensée lors de l’Exposition universelle car elle améliorait les conditions de travail et la sécurité des travailleurs. »

De la cuisine à l’industrie de pointe

Au cours du XXe siècle, les fonderies de Sougland se spécialisent dans l’univers de la cuisine. En plus des poêles et cuisinières en fonte puis en tôle émaillée, l’entreprise propose aussi des cuisines aménagées. À la fin des années 1960, le nouveau propriétaire, François Lang, opère un changement stratégique important, en abandonnant cette production.

« Nous produisions des cuisinières fonctionnant au bois et au charbon, alors que le gaz et l’électricité n’allaient pas tarder à se démocratiser dans les foyers de l’Hexagone, note Yves Noirot. À cette période, le Formica s’est également généralisé, et l’entreprise risquait d’être en décalage avec ces évolutions. François Lang a décidé de changer l’activité en la positionnant sur la fabrication de pièces techniques pour l’industrie. »

Aujourd’hui, les Fonderies de Sougland travaillent pour des clients en France et en Europe, mais aussi dans des pays comme les États-Unis et l’Afrique du Sud et fabriquent des pièces pour le ferroviaire, la sidérurgie, l’automobile, l’agriculture ou la robinetterie. Un large panel en termes de taille et de poids, les plus petites pièces ne pesant que quelques grammes et les plus grosses pouvant aller jusqu’à 2,5 tonnes, par exemple pour des éléments conçus pour un moteur destiné notamment aux navires de l’US Navy, la Marine américaine.

Recyclage et semaine de quatre jours

Malgré son histoire pluriséculaire, les Fonderies de Sougland sont résolument tournées vers l’avenir et ne cessent d’innover. Au-delà de son activité manufacturière, l’entreprise s’est dotée d’un bureau d’études et d’un service Recherche et développement dédiés à ses clients. « Nous avons le label d’entreprise du patrimoine vivant, ce qui ne nous empêche pas d’être aussi Vitrine Industrie du futur ! », rappelle Yves Noirot.

Depuis l’an dernier, l’usine a généralisé le rachat des pièces usagées de ses partenaires, afin de recycler et réutiliser le métal ; une manière d’être compétitive face à la concurrence et de s’inscrire dans le cercle vertueux de l’économie circulaire.

Face à la montée des prix de l’énergie – il en faut pour chauffer des fours à induction qui doivent atteindre des températures de plus de 1 700 °C –, les fonderies ont mis en place la semaine de quatre jours pour économiser une journée d’allumage hebdomadaire. Autant d’efforts en termes de transition écologique et d’innovation verte qui leur a ouvert les portes de la Communauté du Coq vert, regroupant et fédérant – sous l’égide de l’Ademe et du Ministère de la Transition écologique –, des entreprises engagées. Autant d’éléments qui font la singularité des Fonderies de Sougland…

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