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Par : piwi
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dimanche 25 Fév, 2024
Catégorie : Selon la presse

Branle-bas de combat à Bergerac pour fournir plus de munitions

 

Guerre en Ukraine : Branle-bas de combat à Bergerac pour fournir plus de munitions

Une course contre la montre est engagée pour fournir à l’Ukraine les munitions qui lui manquent. Avec un goulot d’étranglement : le manque de poudre. Le français Eurenco se retrouve au coeur de la remontée en puissance de l’industrie munitionnaire européenne. L’industriel, qui vivait caché, se prépare à une croissance de start-up.

La Poudrerie de Bergerac, où sont fabriquées les charges modulaires des obus, est en pleine renaissance.

La Poudrerie de Bergerac, où sont fabriquées les charges modulaires des obus, est en pleine renaissance. (Eurenco)

Par Anne Bauer (Envoyée spéciale à Bergerac)   LES ECHOS 

 Depuis septembre, on estime que les artilleurs ukrainiens détiennent huit fois moins de munitions que les forces russes . Les Russes, également à court de stock au premier semestre 2023, ont regagné du volume, en partie grâce à la livraison cet été de plus d’un million d’obus nord-coréens. « Impossible de tenir un front de 1.200 km avec 1.200 obus tirés par jour », résume le lieutenant-colonel Olivier Entraygues, chercheur associé au CNAM.

Goulots d’étranglement

Reste que la pénurie ne vient pas du seul blocage des « Trumpistes ». En vérité, toute l’industrie, des deux côtés de l’Atlantique, a du mal à suivre la demande mondiale. Comme l’a abruptement résumé le général belge Marc Thys : « Nous sommes dans une merde profonde ». Et d’expliquer, « notre base industrielle de défense en Europe n’est pas assez forte pour soutenir l’Ukraine ».

Un fonds européen d’urgence de 500 millions d’euros a été créé l’an dernier pour aider les entreprises munitionnaires européennes à monter en cadence. Le cap fixé à Bruxelles est de livrer un million de munitions au printemps… Un délai intenable, mais un but atteignable.

« La filière munitionnaire européenne a la capacité de produire ce million d’obus et même bien davantage, si elle parvient à surmonter le goulot d’étranglement posé par la fabrication de poudre et d’explosif. Alors que les besoins explosent, on constate un manque de poudre généralisé dans tout le camp occidental », constate Léo Péria-Peigné, chercheur à l’IFRI.

A Bergerac, une usine d’Eurenco aux premières loges

Loin de ce pessimisme, l’effervescence est à son comble chez Eurenco, société détenue à 100 % par l’Etat français, héritière de la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE), qui se présente comme le leader européen des « matériaux énergétiques » : explosifs, propulseurs et combustibles militaires. 

Des sites industriels longtemps endormis se réveillent, comme à Karlskoga en Suède , la ville de naissance de l’inventeur de la dynamite Alfred Nobel, ou à Bergerac, où Eurenco va poser en mars la première pierre d’une nouvelle ligne de production de poudres pour gros calibre.

Remontons la chaîne : pas de canons sans obus ; pas d’obus sans charges modulaires pour le propulser, et pas de charges modulaires sans nitrocellulose énergétique, la matière première des dynamites et poudres de chasse et de guerre. Ce qui mène à… Bergerac, où l’on ne parle guère d’Eurenco mais de « La Poudrerie ». Le long de la Dordogne, la route longe de hauts murs sans âme. Personne ne soupçonnerait aujourd’hui qu’ils abritent un haut lieu de « l’économie de guerre » !

Née en 1915, la Poudrerie a employé jusqu’à 25.000 personnes pendant la Première Guerre mondiale ! Réquisitionnées dans tout l’empire colonial. Les Indochinois étaient alors les plus nombreux, raconte-t-on. A partir de coton-poudre, on y fabrique la nitrocellulose, la base des poudres militaires.

Aujourd’hui, il est bien difficile d’imaginer cette époque, mais une petite musique d’économie de guerre se remet à sonner, après des décennies de décroissance, qui ont culminé par un plan social de 500 licenciements en 1992 et le transfert d’une partie des activités en Suède en 2007. A Bergerac, moins de 200 salariés maintenaient une petite production pour des besoins de souveraineté.

L’Airbus de la poudre

Dans les années 2000, la demande était devenue si faible, que le propriétaire de l’époque, la SNPE, s’est associé avec le suédois Saab et le finlandais Patria pour marier leurs poudres et explosifs et spécialiser leurs sites. Devenue Eurenco, la société a survécu dans l’ombre, en misant sur des diversifications pour les marchés civils. Aujourd’hui, elle ouvre à nouveau grand les portes de Bergerac, où elle fête une renaissance.

Directeur général délégué de l’entreprise, Yves Traissac explique qu’Eurenco fournit aujourd’hui tous les munitionnaires d’Europe : le français Nexter, l’allemand Rheinmetall, le suédois Saab, le britannique BAE Systems, le tchèque CSG, etc. Sous les radars, bien avant les discours sur la nécessité de bâtir une défense européenne, les restructurations entraînées par la réduction continue du format des armées après la guerre froide, ont conduit Eurenco à construire une sorte d’Airbus de la poudre. Mais, « en mode défensif », note Yves Traissac.

Eurenco a ainsi hérité et spécialisé quatre sites de production, tous nés pendant la Première Guerre mondiale. A Karlskoga en Suède, Eurenco fabrique la poudre propulsive. A Bergerac, la société réalise les charges modulaires pour l’artillerie lourde et moyenne, sachant que pour chaque obus tiré, il faut jusqu’à six charges modulaires en fonction de la distance à atteindre. Soit 40 kilomètres pour les canons automoteurs Caesar, envoyés par la France en Ukraine. A Sorgues, dans le Vaucluse, Eurenco s’occupe de la phase de détonation, avec les mélanges explosifs adaptés à la diversité des missiles ou des bombes. Enfin le site le plus ancien, celui de Clermont, près de Liège en Belgique, est spécialisé dans la poudre de petit calibre.

Toutes ces usines manient l’art de la pyrotechnie et de la chimie et réclament des sites industriels très étendus, classés au seuil maximum de l’échelle des risques des sites Seveso. Ce qui explique pourquoi la création de nouvelles usines ex nihilo est très difficile en Europe. Et pourquoi la PME Eurenco est soudain devenue un des noeuds stratégiques de la remontée en puissance de l’industrie munitionnaire européenne.

Un milliard de commandes en six mois

En pleine transformation, la société « est devenue une société intermédiaire avec une croissance de start-up », s’amuse Yves Traissac, et d’ajouter « le concept d’économie de guerre pour Eurenco est réel ». Avec 1.250 salariés fin 2023, l’entreprise publique a doublé son chiffre d’affaires entre 2019 et 2023 à 353 millions d’euros, dont les deux tiers à l’exportation. Elle mise sur 500 millions d’euros d’activités cette année, dont 80 % à l’exportation et parie sur le milliard à la fin de la décennie.

Notre carnet de commandes est plein jusqu’à 2028 et commence déjà à se remplir pour 2030 !

Yves Traissac Directeur général délégué d’Eurenco

Eurenco croule sous les commandes : « On n’a pas le choix, au cours des six derniers mois, on a reçu pour un milliard de commandes. Et on en attend encore autant au cours des six prochains mois. Notre carnet de commandes est plein jusqu’à 2028 et commence déjà à se remplir pour 2030 ! ».

Tous les fabricants de munitions européens et même américains sont dans la file d’attente. Les stocks anciens ont été vidés pour l’Ukraine. « Faites le compte, à raison de 5.000 obus par jour tirés pendant 365 jours, cela représente environ 1,8 million d’obus et près de 8 millions de charges modulaires ! Tous les pays ont vidé leurs stocks et ont besoin de les reconstituer. De quoi tourner à plein régime pour dix ans », évalue Yves Traissac.

Dernière commande en date : la Pologne, qui a passé pour 500 millions d’euros de commandes sur cinq ans. Pour répondre, le groupe a programmé 500 millions d’euros d’investissements afin de doubler sa production dans tous ses sites de production dans les deux ans à venir. Il a déposé pas moins de sept dossiers de demande de subventions à Bruxelles.

La renaissance de la Poudrerie de Bergerac

A Bergerac, pourtant, rien ne semble aujourd’hui très neuf. La cheminée en brique de la vieille chaudière inutilisée est toujours debout. Nombre d’ateliers semblent vides. Le bâtiment d’accueil ressemble davantage à un bâtiment scolaire des années 1970 qu’à une entreprise de défense high-tech. On y fabrique la matière première, la nitrocellulose.

En août 2022, une explosion avait blessé huit personnes pendant la période de maintenance, entraînant plusieurs mois d’arrêt. Aujourd’hui, la production a repris de plus belle, ce qui suppose de suivre de près une vingtaine de matières premières critique. Notamment la production d’acide nitrique, qui a été arrêtée provisoirement pendant la crise de l’énergie chez les trois chimistes européens qui en produisent.

La « Poudrerie » fabrique aussi l’enveloppe propulsive qui sert à lancer les obus, et dans ce domaine, la direction est fière d’avoir investi dès 2020 dans une automatisation complète de ses lignes de fabrication. « Nous avons une usine labellisée usine du futur 4.0, ce qui nous a permis de passer en mode de production 3×8, sept jours sur sept » explique le responsable de production, Pascal Bos. « L’armée américaine est venue nous visiter et nous a dit qu’on avait la meilleure usine du monde et qu’elle voulait la même », raconte-t-il.

Bingo, Eurenco a ainsi décroché son passeport pour les Etats-Unis. En partenariat avec le groupe américain Day and Zimmermann (D & Z), la société a gagné en octobre dernier un contrat de 966 millions de dollars auprès de l’armée américaine pour construire une usine semblable à celle de Bergerac au Texas. La future usine sera trois fois plus grande qu’à Bergerac et fournira 1,5 million de charges modulaires par an. Comme en Europe, la violence des combats en Ukraine a réveillé l’artillerie américaine, qui a décidé de multiplier par dix ses commandes.

Un décalage d’un an sur la ligne d’arrivée

A Bergerac enfin, le ministre des Armées est attendu le mois prochain pour poser la première pierre de la nouvelle ligne de production de poudre pour gros calibre, qui avait été envoyée en Suède il y a dix-sept ans. Une relocalisation qui représente un investissement de 60 millions d’euros, soutenu pour 10 millions par la Direction générale de l’armement. « Cela permettra d’alimenter la production de 150.000 obus par an. Cette usine créera 150 emplois et c’est un domaine où la France va retrouver sa pleine souveraineté », s’est félicité Sébastien Lecornu dans une interview au « Journal du Dimanche ».

Rarement un dossier industriel n’avait été bouclé aussi rapidement. Le permis de construire a été obtenu en moins d’un an et la production doit démarrer en 2025. Le goulot d’étranglement de l’industrie munitionnaire européenne devrait alors se desserrer.

Malheureusement, avec une bonne année de retard pour les forces ukrainiennes. Toutes les analyses convergent : l’armée ukrainienne doit « tenir » encore plus de douze mois face à la Russie, avant de bénéficier d’un soutien complet en armement de la part des Européens. L’année 2024 sera très difficile.

 

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2 commentaires pour : "Branle-bas de combat à Bergerac pour fournir plus de munitions"

  1. « Nos décideurs actuels sont issus d’écoles dites supérieures, où pas la moindre notion scientifique ou technique de base leur est enseignée. Ce sont de parfaits boutiquiers technocrates, totalement incultes et sûrs de leur supériorité, qui pensent que tout s’achète et ne savent pas s’entourer de gens compétents.  »

    Notre quasi total désarmement, nos capacités de production d’obus, réduites à la portion congrue en sont les preuves irréfragables.

  2. Suis en totale concordance avec le descriptif de nos actuels décideurs.
    Un des rares issu de la société civile et ingénieur de formation : Thierry Breton, actuellement à Bruxelles, fut un bon membre de notre gouvernement mais seul du genre, il fut assez vite + ou – pollué par nos politiciens technocrates.

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