Les Echos –Etienne Thierry-Aymé ( )
Un mal pour un bien. Et, si après trente années de désindustrialisation, la crise du Covid-19 débouchait finalement sur sa réindustrialisation ? Lignes droites ou chemins de traverses, quelles seront les grandes voies que devra emprunter l’industrie hexagonale pour y arriver ?
Le secteur industriel représente désormais 13,5 % du PIB en France.
« La réindustrialisation s’est amorcée dès 2015 avec la politique de l’offre », se réjouit d’emblée Vincent Moulin Wright, directeur général de France Industrie, qui représente toute la filière en France. Avec la mise en place du CICE, du pacte de responsabilité… Et, l’installation du nouveau Conseil national de l’industrie, fin 2017, par le Premier ministre de l’époque Edouard Philippe.
Une pause plus qu’un retour en arrière
« Avant le Covid-19, nous sortions de trois bonnes années pour l’industrie », rappelle son représentant, qui espère aujourd’hui que cette crise s’apparente plus à une pause qu’à un retour en arrière. Même si certains secteurs sont aujourd’hui sévèrement touchés. On pense notamment à l’aéronautique ou encore l’automobile. La part de l’industrie est désormais de 13,5 % du PIB national. Et, contre toute attente, l’industrie va déjà mieux que prévu.
Un tiers du plan de relance
Mais, c’est bien pour poursuivre cet effort, que plus d’un tiers de l’enveloppe de 100 milliards d’euros du plan de relance a été, dès le départ, fléché par le gouvernement en faveur de l’industrie. Avec, annoncé début mars 2021, par le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, une rallonge de 1 milliard d’euros, comprenant 600 millions d’euros de crédits d’impôt destinés à favoriser l’investissement dans les technologies numériques, 150 millions d’euros pour agrandir les usines ; et 250 millions d’euros pour favoriser le transfert des usines en France.
Déjà, deux grands volets du plan de relance pilotés par la banque publique d’investissement, bpifrance, en faveur de l’industrie : un volet national pour les secteurs les plus touchés ; un autre pour les territoires, dans la droite ligne du dispositif « Territoires d’industrie » lancés fin 2018, et, qui, à la fin de la dernière, s’était déjà traduit par « 1.600 projets sur 148 territoires et 500 intercommunalités. »
En régions aussi…
Mais l’Etat n’est pas le seul à miser sur l’industrie. En région, aussi, les initiatives se multiplient. En Nouvelle-Aquitaine, par exemple, Alain Rousset a, depuis longtemps, fait de la réindustrialisation et de l’usine du futur ses chevaux de bataille.
Pour anticiper l’après, la région a ainsi lancé plusieurs groupes de travail sur l’électronique, les principes actifs des médicaments ou encore la diversification des activités de sous-traitance de l’aéronautique. « Il faut que nous anticipions les sauts technologiques, c’est une question de souveraineté », souligne le président de Nouvelle-Aquitaine.
Quand le fond régional entre au capital d’une entreprise, c’est alors tout de suite plus facile, pour elle, de boucler son tour de table !
Hervé Morin Président région Normandie
Et d’insister, « dans notre stratégie industrielle, je crois beaucoup à une croissance endogène sur nos territoires, un système vertueux dans lequel on accompagne les entreprises qui innovent, qui font de la R&D, qui recrutent… Nos régions sont, aujourd’hui, organisées pour créer un tel écosystème de confiance avec les entreprises. »
Même son de cloche ou presque en région Normandie, la plus industrielle de France, où son président, Hervé Morin, se réjouit « que l’hémorragie industrielle soit derrière nous. Avec de très belles perspectives ». Environ 1 milliard d’investissements sont ainsi déjà annoncés dans l’industrie normande, dont 300 millions rien que dans le secteur pharmaceutique.
Une batterie de dispositifs
Avec, en soutien de l’industrie, toute une batterie de dispositifs : un fonds régional d’investissement depuis 2016, « un formidable déclencheur », se félicite Hervé Morin. Et d’insister, « je peux vous dire que quand le fond régional entre au capital d’une entreprise, c’est alors tout de suite plus facile, pour elle, de boucler son tour de table ! » ; un autre dispositif, baptisé « A.R.M.E. », pour le redressement des entreprises, qui a déjà permis « de sauver 500 entreprises et 15.000 emplois », des prêts participatifs, etc.
La région Normandie a, par ailleurs, décidé de renforcer le nombre d’entreprises industrielles financées suite aux appels à projets nationaux du plan France Relance. Plus d’une trentaine d’entreprises supplémentaires sont ainsi accompagnées.
Avec, enfin, un fort engagement de la région pour la formation. « C’est un facteur très important pour la réindustrialisation », insiste son président. « On a, par exemple, créé des filières pour la maintenance industrielle ou__ la formation aux métiers de l’hydrogène. »
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Transition et décarbonation
Vincent Moulin Wright de dessiner, dès lors, les chemins de l’après-crise. Un futur qui s’inscrit nécessairement dans le cadre de la transition écologique, « avec la décarbonation de nos procédés et de nos produits et de leurs usages ».
L’industrie, c’est 17 % des gaz à effet de serre. Mais c’est surtout 100 % des solutions vertes !
Vincent Moulin Wright France Industrie
Et, que le représentant de l’industrie synthétise d’une formule « L’industrie, c’est 17 % des gaz à effet de serre. Mais c’est surtout 100 % des solutions vertes ! » Vincent Charlet du think tank La Fabrique de l’Industrie, abonde, « l’industrie sera l’un des principaux leviers de la transition climatique. »
Frédéric Coirier, PDG du groupe Poujoulat, et coprésident du Meti, le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire, renchérit : « la première façon de décarboner, c’est de produire en France ! » « Quand on achète un produit qui vient de Chine ou d’Allemagne, on importe du CO2 ! »
Industrie 4.0 et innovations
Un avenir de l’industrie hexagonale qui se dessine aussi à travers l’industrie 4.0, la numérisation, l’émergence des cobots, des robots… « Il faut réaiguiller notre industrie vers l’innovation, anticipe Vincent Moulin Wright, et les marchés émergents. » Hydrogène, bioproductions, recyclage chimique des plastiques, etc., une vingtaine de pistes ont déjà été identifiées, dont certaines sont aujourd’hui encouragées par les appels à projets du programme d’investissement d’avenir.
Quid des relocalisations ?
Quant au débat sur la relocalisation ? « Ce n’est pas un terme que nous utilisons », assure le directeur général de France Industrie. « Cela ne devrait d’ailleurs concerner que quelques usines, et quelques secteurs bien spécifiques », prévient Vincent Moulin Wright, comme certains produits de santé : masques, médicaments, etc.
Et, d’insister « Plutôt que de relocaliser : ‘Réindustrialisons !‘ » Ce qui passera aussi par la diversification, la reconversion ou encore la réorientation des secteurs les plus touchés. Ce que François Pellerin, chercheur associé à la chaire « Futurs de l’Industrie et du travail » de Mines ParisTech, résume d’un trait « la priorité est d’abord de consolider ce qui reste et de développer de nouvelles activités, avant de faire revenir ce qui est parti. »
Patriotisme industriel
Frédéric Coirier du Meti, se fait, quant à lui, le chantre d’une certaine forme de patriotisme industriel. « Celui qui produit déjà en France aura autant de mérite que celui qui relocalisera. » Ce qui compte « c’est qu’on produise et qu’on consomme local, qu’on vienne remettre de la richesse dans nos territoires. » Vincent Charlet ne dit pas autre chose : « les chemins de réindustrialisation passeront forcément par le génie des territoires et leur capacité à se mobiliser ».
R&D, innovations et deeptech
Parmi les autres grands leviers envisagés par nos interlocuteurs : favoriser la R&D vers les innovations de rupture, ou encore encourager l’incubation des start-up industrielles dans les deeptechs. Avec ce signe très encourageant : « les fonds d’investissement se tournent de plus en plus vers nos start-up industrielles. Ce qui n’était pas le cas auparavant », révèle Vincent Moulin Wright.
Un capitalisme local fort
Pour Frédéric Coirier, il conviendra surtout d’éviter les erreurs de 2009, et de l’après-crise financière. « Il faut absolument réussir à stabiliser l’actionnariat dans nos entreprises pour lui permettre de s’inscrire dans la durée. Plus vous aurez un capitalisme français fort, et plus vous aurez d’industries ! »
Avec comme autre enjeu, de favoriser la transmission. Et, le coprésident du Meti de saluer, lui aussi, l’action du gouvernement depuis 2018. « La dynamique d’investissements est bonne dans nos ETI où le plan de relance est envisagé comme un tremplin pour accélérer la transition et l’innovation. »
La baisse des impôts de production est également vue d’un très bon oeil par les entreprises. Plus que les subventions ou les prêts garantis par l’Etat, « et, même si elle doit être poursuivie, elle va permettre aux entreprises d’accroître leurs marges. » Et, ainsi, favoriser leurs investissements « pour rattraper nos concurrents européens », insiste Frédéric Coirier.