Vienne : il a été l’agent de sécurité des Fonderies du Poitou pendant 25 ans
Agent de sécurité aux Fonderies du Poitou, Bruno Pinaud prend sa retraite après avoir veillé pendant 25 ans sur le site industriel d’Ingrandes. Où il y a tout connu, de l’apogée de l’usine au grand vide après la fermeture en 2022.
Il n’a jamais été un employé des Fonderies du Poitou et, pourtant, il « fait partie des meubles ».
Salarié de la société Securitas, Bruno Pinaud a assuré la sécurité de l’emblématique site industriel d’Ingrandes-sur-Vienne pendant 25 ans. Jeudi 21 mars 2024, il a occupé une dernière fois son bureau, dans la guérite d’entrée. À 61 ans, l’heure de la retraite a sonné.
« On pensait cette boîte éternelle »
L’émotion est palpable : « Depuis 25 ans, de l’ouvrier de base au PDG, j’ai connu tous ceux qui ont travaillé ici et inversement. J’ai toujours eu des relations très cordiales avec tout le monde. Cette boîte avait une âme. Les fondeurs – malgré un métier très difficile – avaient une grande conscience professionnelle, le souci de transmettre leur savoir-faire. On pensait cette entreprise éternelle… »
Originaire de Châtellerault et domicilié à Lencloître, l’ancien sous-officier de l’armée de terre se souvient de son entrée en 1999 après 17 ans de carrière militaire. « Je lis dans le journal une annonce : cherche agent de surveillance pour site industriel. J’ai envoyé un CV, Securitas m’a rappelé, me proposant ce poste aux Fonderies du Poitou. »
Merci « Monsieur Monory »
L’usine employait alors plus de 1.000 salariés. « Elle avait une notoriété internationale », témoigne-t-il, remerciant « Monsieur Monory » d’avoir fait ce cadeau à la région la fin des années 1970.
Parmi les faits qui l’ont marqué, il évoque « l’incendie de janvier 2005 à la Fonte ». « Les fours étaient hors service pendant des mois. Jean-Marie Gabaud, le directeur général, avait vite mis en place une organisation qui avait permis de sauver l’usine : les noyaux étaient fabriqués ici puis envoyés par camion au Portugal pour la cuisson. »
« Jamais un débordement ! »
Il cite aussi « le très grave accident du travail d’un salarié 2015 ». « C’était le choc ! L’hélicoptère du Samu s’était posé à l’intérieur du site. Le gars était resté longtemps dans le coma. »
Depuis son bureau, l’agent de sécurité a été le témoin privilégié de toute la vie du site. Il a assisté à « la valse des patrons à l’Alu », a ouvert les grilles à de nombreux politiques (le président Sarkozy et Mélenchon en tête), a été le premier spectateur des mouvements sociaux. Une culture de la lutte portée par la CGT et symbolisée par la longue grève de 2011, à l’Aluminium, pour faire plier le patron, Montupet, qui voulait réduire les salaires de 25 %.
« Il y a toujours eu des bons chefs syndicaux, des gars qui savaient mener leurs troupes. Jamais un débordement ! Jacquelin à la Fonte, Mochon à l’Alu, Bailly… Jusqu’aux deux derniers, Juin et Delaveau, qui ont mené le dernier combat, celui de la fermeture, avec dignité, sans violence. Chapeau ! Car on pouvait craindre des dérapages, les gars n’avaient plus rien à perdre. Même si, finalement, beaucoup étaient soulagés en apprenant la fin. Ils étaient fatigués. »
Le « jour terrible » du 30 juin 2022
De tous ses souvenirs, celui de la dernière coulée de la fonderie Alu, le 30 juin 2022, point final de 41 ans d’épopée industrielle sur le site, est le plus douloureux. « C’était terrible ! Après ça, il y a eu le grand vide. Pendant des semaines, jusqu’au démantèlement, je faisais mes rondes dans ces immenses bâtiments sans croiser personne. »
Depuis 18 mois, Bruno Pinaud côtoyait les équipes de la société Chabimmo, chargée de démanteler le site. « Ils ont remis un peu de vie. Mais ça fait mal de voir tous ces amas de ferraille ! »
Amateur de vélo, le néo-retraité promet de repasser régulièrement devant l’usine à l’occasion de ses sorties sportives.
« J’ai rapporté une photo de vue aérienne du site que je vais accrocher chez moi. En la regardant, je me dirai : j’ai travaillé dans cette belle usine ! », conclut-il dans un mélange de sourires et de larmes.