ACI Groupe, ou les mystères d’un industriel glouton
L’ETI lyonnaise ACI Groupe poursuit depuis six ans une stratégie « d’ultra-croissance » en intégrant une PME tous les deux mois. Mais fournisseurs, clients et industriels s’inquiètent pour l’avenir de ce jeune groupe qui pèse déjà 1.600 salariés. L’administration surveille le sujet de près.
Par Guillaume Guichard, Anne Dri Publié le 23 juin 2025
« Quand j’ai dit, il y a cinq ans, que je voulais créer une ETI industrielle de rang 1 en France, tout le monde s’est moqué de moi », explique aux « Echos » Philippe Rivière, son médiatique dirigeant. « Aujourd’hui, plus personne ne rigole. » En cinq ans, ACI Groupe a grossi au point de réaliser 200 millions d’euros de chiffre d’affaires et d’employer 1.400 personnes en France, ainsi que 200 à l’étranger.
Au printemps, elle a levé 82 millions d’euros auprès d’un fonds américano-singapourien. La semaine dernière au Salon du Bourget, elle a annoncé sa volonté d’entrer en Bourse d’ici la fin de l’année.
« C’est presque trop beau pour être vrai, s’étonne un patron respecté d’une PME de la mécanique. Est-ce la naissance d’un beau groupe de sous-traitance stratégique de rang 2 ou bien de la cavalerie à la Madoff et Cie ? » La question taraude dans le secteur.
Patron médiatique
À la tête d’ACI Groupe, Philippe Rivière est partout. Cet homme vibrionnant, et de l’avis de beaucoup brillant, est un des porte-paroles mis en avant par les défenseurs du made in France. Il multiplie les mandats dans les organisations professionnelles et les associations d’entrepreneurs, donne des conférences dans des grandes écoles de commerce.
Première question quand on se penche sur son CV : se présentant comme « Gadzart », il ne figure pas dans le registre des Arts et Métiers. Qu’importe. « Quand il faut trouver un repreneur à une société, Bercy m’appelle », se félicite Philippe Rivière. Le projet de consolider le tissu de sous-traitants pour créer une ETI séduit à Bercy et au ministère des Armées, où l’on rêve d’un Mittelstand à la française.
Ce qui n’empêche pas la vigilance. La Direction générale de l’armement suit le dossier de près. Certaines des sociétés d’ACI sont parties prenantes de la base industrielle et technique de l’industrie de défense.
Car des doutes émergent sur ce qu’il se passe réellement derrière la façade flamboyante de ce nouveau champion du made in France. Des clients se montrent méfiants, voire désabusés. Dans la défense, KNDS a placé ACI Groupe « sous surveillance, du fait de performances qui ne sont pas au rendez-vous ». Certains acheteurs de Thales boycottent des sociétés du groupe.
Déficits en série
Des fournisseurs sont eux aussi échaudés. Faute d’avoir été payés dans les temps, plusieurs d’entre eux ont décidé de ne livrer les commandes qu’après avoir été réglés, a-t-on appris auprès des intéressés.
« Philippe Rivière fait du ‘build up’ pour cumuler du chiffre d’affaires et valoriser ainsi sa société, décortique un autre industriel. Mais il faut générer de la marge opérationnelle pour survivre. Et ça, il n’a pas encore prouvé qu’il savait faire. » Depuis la publication des premiers comptes en 2021, le groupe n’a pas été une seule fois dans le vert au niveau opérationnel. Entre septembre 2023 et septembre 2024, le groupe a multiplié son déficit d’exploitation par deux et demi, de -2 à – 5,6 millions d’euros. Dans le même temps, le chiffre d’affaires a crû de 20 %, atteignant 91 millions d’euros à fin septembre 2024.
Pas de quoi couper l’appétit du patron lyonnais de 46 ans. Depuis la clôture des comptes fin septembre 2024, le groupe a repris quatre sociétés, pesant au total plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires et employant plus de 400 personnes.
La société a recours à de la dette pour se financer. A fin septembre, derniers chiffres audités à date, il avait contracté des dettes financières à hauteur de 38 millions d’euros (obligations subordonnées incluses).
Crédit-bail et argent frais
Pour grossir au rythme d’une acquisition tous les deux mois, ACI Groupe fait aussi remonter la trésorerie de sociétés tout juste rachetées, décrivent plusieurs sources familières des pratiques de l’ETI. Il n’y a souvent pas grand-chose à soutirer. Un tiers des rachats d’ACI ont été réalisés à la barre du tribunal.
Alors, pour gratter encore un peu de cash, ACI vend les machines de ses sociétés en crédit-bail. L’argent frais remonte à la holding. Les charges d’exploitation de la filiale se trouvent plombées par de nouveaux coûts de location des machines. Certes, d’autres entrepreneurs le font, mais c’est un jeu dangereux qui ne se gagne qu’en améliorant très rapidement la situation opérationnelle des entités.
« Si au bout de six mois vous ne réussissez pas à bouffer du net, vous vous plantez », assène un patron de PME du secteur de la mécanique. « Les acquisitions passées ne peuvent pas financer les rachats futurs indéfiniment », prévient un consultant qui a travaillé pour ACI Groupe. Pour survivre, il faut restructurer. Et pour restructurer, il faut investir.
Le groupe met en avant quelques exemples pour se défendre. L’arrivée d’un grand client comme OP Mobility pour une de ses filiales. La fusion de deux sociétés voisines et complémentaires, de nouveaux contrats chez le spécialiste des rouages de montre Fralsen – insuffisants pour maintenir l’emploi, selon les syndicats.
Philippe Rivière se voit en sauveur. Ses cibles le voient parfois différemment. « C’est un prédateur de petites entreprises familiales en bout de souffle ou en mal de succession, attaque le patron d’une PME approché par l’homme d’affaires. Il propose de vous racheter pour rien, en échange de l’entrée dans un grand groupe et d’une promesse de croissance. Rivière a toujours plein de bonnes idées, mais il ne met jamais un euro dans l’affaire. »
Mon modèle, c’est l’ultra-croissance. Je comprends que ça choque en France, où la mentalité c’est de ne pas prendre de risques et d’aller (trop) lentement.
Philippe Rivière, PDG d’ACI Groupe
Faute de percevoir les fruits d’une intégration plus volontariste, de nombreux industriels s’inquiètent. L’expression revient souvent dans leur bouche : ACI Groupe pourrait leur fait penser à « une pyramide de Ponzi industrielle ». Et d’ajouter que si Philippe Rivière grossit suffisamment, il pourrait devenir trop gros pour sombrer.
« Quand vous reprenez des petites sociétés qui ne valent rien, que vous promettez de préserver de l’emploi, que vous touchez pour cela des subventions et des avances remboursables, mais que vous utilisez ces moyens pour racheter d’autres sociétés, cela s’appelle de la cavalerie », tacle le patron d’un sous-traitant aéronautique.
Modèle d’« ultra-croissance »
« Cette accusation, cela fait des années que je l’entends, rétorque Philippe Rivière. Mon modèle, c’est l’ultra-croissance. Je comprends que ça choque en France, où la mentalité c’est de ne pas prendre de risques et d’aller (trop) lentement. » Pour sa défense, certains ont réussi dans ce domaine, comme Frédéric Sanchez qui a fait du groupe Fives un géant parmi les ETI.
Philippe Rivière n’en est pas à son coup d’essai. Après avoir fait ses classes chez le métallurgiste Aubert & Duval, il participe à l’aventure WeAre dans la deuxième moitié des années 2010. C’est, déjà, une tentative de consolidation du tissu de sous-traitance aéronautique, à la demande des grands donneurs d’ordre.
L’aventure ne durera que cinq ans. Elle se termine par une explosion en pleine ascension en 2019, à la suite d’un violent conflit entre Philippe Rivière et Pascal Farella, l’héritier d’une famille d’industriels de Montauban. Des patrons de PME, approchés à l’époque par Rivière pour des rachats, reçoivent la visite des huissiers et de la brigade financière après une plainte déposée par Pascal Farella. Téléphones et ordinateurs sont saisis sans ménagement, parfois devant des clients. Quant à WeAre, il fusionne avec Mecachrome.
« Golden share » et holding à Singapour
Dans le cadre de l’accord « à l’amiable » finalement trouvé entre les deux ex-amis, Philippe Rivière est contraint de signer une lettre peu flatteuse, que « Les Echos » a pu consulter : « WeAre estime que dans le cadre de ses fonctions, M. Philippe Rivière a poursuivi certains objectifs contraires à l’intérêt du groupe et à ses principes éthiques. » L’entrepreneur se relance tout de même. Tikehau Ace Capital, qui soutenait WeAre, est en revanche aux abonnés absents. Tout comme Bpifrance, qui n’a pas mis un centime dans l’affaire depuis 2019.
Aujourd’hui, le PDG fondateur se trouve seul à seul au capital d’ACI avec le fonds américano-singapourien Fortuna. Une holding de contrôle installée à Singapour doit être créée, détenue à 51 % par le fondateur et à 49 % par le fonds, moyennant 20 millions d’euros. Le patron de Fortuna a accepté de débourser, en sus, 60 millions d’euros d’obligations non convertibles.
Le Lyonnais dispose d’une « golden share », ce qui permettrait en théorie à l’opération de ne pas avoir à passer par le tamis de la procédure des investissements étrangers de la direction générale du Trésor. D’après certaines sources cependant, à Bercy l’enquête est en cours.
Les actionnaires du début, dont le bras droit du fondateur, ont profité de cette arrivée pour se désengager. Aucun des fonds français approchés depuis l’automne 2024 n’a voulu investir dans le jeune groupe. Philippe Rivière s’emporte contre la frilosité du milieu financier français.
Le ministère des Armées attentif
Les fonds français spécialisés dans le midcap contactés par « Les Echos » ne sont pas tendres en retour avec ACI Groupe. « C’est une entreprise qui va très vite, trop vite, en surfant sur les sujets du moment, critique un patron de fonds d’investissement qui a rencontré le management d’ACI. Il ne prend pas le temps de faire l’intégration humaine, financière et industrielle. » Un autre, qui a également examiné le dossier : « Le groupe n’est qu’un ensemble de toutes petites unités pas très coordonnées, un bric-à-brac. Cela ne tient pas vraiment la route. »
L’administration réserve son jugement, mais appelle à une pause dans la croissance de l’ETI. « A partir de maintenant, nous attendons ACI Groupe sur le volet des investissements dans les sociétés rachetées, prévient-on au ministère des Armées. On ne pourra juger de la solidité du projet que lorsque le plan de modernisation des sites industriels sera réalisé. Nous l’avons dit les yeux dans les yeux à Philippe Rivière. »
La course aux rachats ne semble malgré tout pas près de s’arrêter. Dans ses présentations aux investisseurs préparées fin 2024, ACI Groupe disait viser sept rachats et 300 millions de chiffre d’affaires à horizon 2030, soit 100 de plus qu’actuellement. Six mois après, riche des promesses du fonds américano-singapourien, Philippe Rivière a doublé ses ambitions. Il veut désormais atteindre les 600 millions d’euros de chiffre d’affaires dans les cinq ans.
Guillaume Guichard, avec Anne Drif
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Et oui, les méthodes d ACI et de son patron sont vrais,
Fournisseurs non payée, avec des cas de figure ou EDF coupait le courant…
Trésorie des boîtes rachetées qui sont siffoné pour rembourser les dettes..
Outil de production revendu en leasing…
Bref les entreprises sont saigné à blanc…
Aci défend le made in France et tout le comité de direction roule en mercedes audi… chercher l erreur!
J’espère pour les salariés que ça va marcher, mais ça me rappelle les rachats de TESTUT, ADAMS, LA VIE CLAIRE, etc par un certain Bernard TAPIE, et ceux de WAELES, Meung sur Loire, SEMIAC, AMC, etc par le non moins célèbre Michel COENCAS, avec le résultat que l’on connait, sans oublier que ces deux derniers se sont retrouvés dans la non moins célèbre affaire OM / VA