Marc Roussel, forgeron patenté et trouveur de solutions
« Vous ne tiendrez pas deux mois ». Telle fut la sentence de la banque lorsque Marc Roussel reprit l’entreprise, en 1988. La prévision était un tantinet pessimiste : il est toujours là. C’est de ce parcours emblématique du Bassin de Nogent, d’un forgeron de Nogent, dont il est question ici. Mais notre récit prend racine en Haute-Marne bien plus tôt. Car l’entreprise a été créée en… 1924. Voilà un siècle ! Cette entreprise typiquement nogentaise s’appelait la Société nogentaise d’instruments de chirurgie (SNIC). Celle-ci créera les Forges du Champ de mars.
Un peu plus près du centre-ville, un certain Serge Roussel montait comme tant d’autres des ciseaux. Il travaillait dans sa cuisine. Comme il était adroit, travailleur (déjà) il a développé son activité et embauché quelques compagnons. Tout ce monde-là s’est vite retrouvé à l’étroit, ce qui a incité Serge Roussel à acheter en 1967 un terrain disponible, rue Félix-Grelot, afin d’y bâtir sa coutellerie.
Deux ans plus tard, il agrandit le terrain en se portant acquéreur de la forge voisine, les Forges du Champ de mars héritées de la fameuse SNIC à l’activité “forge” désormais centenaire. Ainsi équipé, Serge Roussel dirige une entreprise qui compte à Nogent, avec 50 salariés en coutellerie et 35 à la forge. À cette époque-là, l’usine produisait 2 000 paires de ciseaux par jour. Las, la concurrence pakistanaise eut ici le même effet qu’ailleurs : la partie coutellerie dépose le bilan en 1984. Marc Roussel avait alors une vingtaine d’années .
Il présentait un profil très intéressant : il avait d’abord appris les métiers de la mécanique générale, tourneur, fraiseur, ajusteur et acquis de très solides notions d’électricité. Dans la foulée, il était parti à Creil passer un bac “Forge”. Les adolescents commençaient alors par un marteau, une enclume, un bout de métal. Et ils tapaient ; ils tapaient ; jusqu’à comprendre, jusqu’à sentir pourquoi et comment le métal se transformait. Ils devenaient forgerons dans leurs tripes. C’est donc un Marc Roussel encore très jeune (20 ans) mais terriblement polyvalent qui revenait à Nogent pour reprendre et sauver l’affaire. Il s’entourait d’une dizaine de salariés, jusqu’au crépuscule du siècle dernier.
Aujourd’hui, ils ne sont plus que trois à travailler dans le vaste édifice entouré de verdure. Ils frappent de préférence l’aluminium, l’inox, le laiton, métaux dont le travail apporte davantage de valeur ajoutée. L’outillage est varié et complémentaire : trois pilons, six presses à découper, deux cisailles, des grenailleuses etc. Car Marc Roussel a tiré profit de ses compétences aux multiples facettes : il achetait des machines que leurs propriétaires renonçaient à réparer, faute de pièces ou de connaissances, et lui les remettait en état, patiemment, pour leur donner une nouvelle et longue vie dans son usine de Nogent. Une usine qui s’appelle “Les Forges haut-marnaises”.
On peut confondre avec une bergerie, tant en sortent de moutons… à cinq pattes ! Vous savez : ces pièces improbables, tellement compliquées qu’elles paraissent irréalisables. Sauf pour Marc Roussel, Monsieur Marc, qui devine, qui trouve des solutions pour contraindre le vil métal à devenir objet de luxe, pièce aux courbes tourmentées.
Monsieur Marc est donc naisseur de moutons à cinq pattes : de panneaux en laiton finement ouvragés pour portes d’ascenseur dans un hôtel 5 étoiles des Caraïbes à des pièces pour sacs Hermès en passant par son célèbre fer à cheval en alu (donc très léger) pour des chevaux de compétition de niveau mondial. Il fut le premier à réussir de telles pièces en estampage. Puis il fut copié… Monsieur Marc, forgeron patenté, a donc toujours été trouveur de solutions. Pas seulement en forge. Il fut un des premiers à faire figurer son entreprise sur… le Minitel. Il fut le premier à acheter et à exploiter le nom de domaine “forge- estampage.com” lorsqu’Internet frémissait. C’est ainsi que ses clients le dénichèrent au fin fond de Nogent.