Port-Brillet. Raymond a été le dernier mailleur de la fonderie |
Après la dépollution de la friche industrielle, débute la destruction des structures les plus fragiles. Raymond Poupin raconte ses trente-six années passées à l’émaillage.
Portrait
Ça fait mal. J’ai fait toute ma carrière dans l’émaillage. C’est par le journal que j’ai appris que le bâtiment allait être détruit.
Ouvrier agricole de 15 ans à 22 ans, Raymond Poupin entre, en 1969, dans la fonderie qu’il ne quittera que trente-six ans plus tard, à sa retraite.
Principal employeur du canton, l’usine fait vivre des centaines de familles, à cette époque. Les salaires sont meilleurs qu’ailleurs. L’agriculture, ça ne payait pas.
La fonderie, c’est du bruit, des machines, du métal en fusion. L’impression de Raymond Poupin, c’est une couleur. « Tout est noir. Le sable est noir. » Il choisit de travailler dans le département des « Grandes cuisines. »
« C’était très dur »
Trois semaines après, il intègre l’émaillage. « Le chef d’atelier voulait des gars sortis des fermes, parce que c’étaient des bosseurs. » Ce qui le convainc d’accepter, c’est le salaire, 70 % d’augmentation. « À l’émaillage, on était payé aux pièces et on faisait les trois-huit. » Ces horaires, de 3 h à 11 h, de 11 h à 19 h et de 19 h à 3 h, il les fera pendant vingt-huit ans.
L’atelier émaille les pièces en fonte des poêles, des radiateurs ou des réchauds à lessiveuse. C’était très dur.
Mailleur est un métier pénible, la poussière d’émail, les émanations d’acide, l’exposition à la chaleur des fours, le maniement des pièces chauffées au rouge. En ouvrant la porte du bâtiment, on sentait l’air brûlant.
Dans l’atelier, les cinq fours, chauffés à 850 °C, étaient parfois tous en marche. Avant d’émailler, il fallait décaper les pièces en fonte. « On les plongeait dans des cuves remplies de 3 000 litres d’acide. Ça bouillonnait. »
« À la fin de ma carrière, j’étais tout seul »
Ensuite commençait l’émaillage. Deux ouvriers travaillaient de part et d’autre d’une table en fonte. Le pelleur mettait la pièce à émailler dans le four. Quand elle était chauffée à rouge, il la posait sur la table.
Le mailleur, en face de lui, la saupoudrait d’une poudre blanche avec un tamis très fin. La pièce repassait au four. Elle ressortait pour un nouveau saupoudrage d’émail avant d’être remise une dernière fois au four. Chaque équipe émaillait 51 poêles ou 120 réchauds à lessiveuse par jour.
Les fours ne s’arrêtaient pas en semaine. La dernière équipe fermait le four, le samedi à 3 h. On revenait l’allumer le dimanche à 16 h, pour qu’il soit chaud le lundi matin.
En 1969, l’atelier employait 30 personnes. Au fil du temps, la fonderie baisse en activité. Les cinq dernières années avant sa retraite, Raymond Poupin était l’unique mailleur. J’ouvrais l’atelier le matin et je le refermais le soir. À la fin j’étais tout seul.