À l’aide de bandes d’élastomère, le mouleur emmaillote méticuleusement la maquette grandeur nature du futur baptistère de Notre-Dame. « C’est une étape cruciale. L’artisan doit prendre l’empreinte exacte du modèle avec sa texture, ses cicatrices », commente le designer Guillaume Bardet. Ce matin-là, il est venu suivre à la fonderie Barthélémy Art de Crest, dans la Drôme, le travail mené sur les grandes maquettes qu’il a livrées en novembre dernier. Son atelier n’est qu’à une trentaine de kilomètres, à Dieulefit où il s’est installé en 2009, fuyant Paris. Le regard clair et la poignée de main facile, il navigue parmi les ouvriers comme chez lui.

« Cette fonderie, c’est ma famille »

Ce designer a créé ici ses premières pièces en bronze il y a près de dix ans. Des petits flacons semblables à ces modèles en cire réédités, sur lesquels il trace désormais ses initiales, avec un gros clou, à côté du poinçon apposé par le fondeur. A l’époque, ils côtoyaient tasses et carafes, qu’il finit par rassembler sur une longue table à trois pieds, entourée de treize tabourets rappelant la Cène.

» Découvrir les pensées de René GirardJ’ai osé évoquer ce repas symbolisant l’humanité perpétuelle, avec sa beauté et ses fragilités”, confie cet agnostique. L’œuvre a été exposée en 2017, pour le jour de Pâques, au couvent de la Tourette, près de Lyon, conçu par Le Corbusier. « Sans cette invitation des Dominicains et sans la confiance établie de longue date avec la fonderie Crest, qui est à l’image de ma famille, je n’aurais jamais osé concourir pour créer le mobilier liturgique de Notre-Dame »il admet.

Dans les hangars de Barthélémy Art, ses pièces massives et raffinées côtoient celles d’autres artistes, des sculptures animalières, des poulbots en bronze prisés par le marché asiatique ou encore des figures monumentales de migrants, traversées par les courants d’air, qui partiront demain chez les collectionneurs de New York. . Il savoure cet éclectisme du marché, avant d’aller saluer les grands fours où sont cuites en plusieurs morceaux les matrices à cire perdue du futur autel de Notre-Dame.

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Une des six pièces de l’autel (à gauche) avant de souder les différentes pièces (à droite). / Pierre-Olivier Deschamps/VU pour la croix l’hebdo

Dans quelques jours aura lieu la coulée du bronze incandescent, chauffé à plus de 1 100 degrés. Ensuite les pièces pesant près d’une tonne au total seront soudées pour former une demi-sphère. Avant d’être confiée aux mains expertes des patineurs, la pièce nécessitera encore près de 1 000 heures de ciselure !

Une entreprise engagée dans le développement durable

Voici Richard Chambron à l’œuvre, penché sur la future cathèdre, ce siège d’archevêché, conçu en clin d’œil à la curule, le tabouret des Romains. Le visage protégé par un masque, la main armée d’une sorte de fraise dentaire, il s’emploie à effacer les traces de soudure, à restituer une à une les rainures, la texture peignée du modèle original. «Je dois retrouver le mouvement de l’artiste. Ce doit être parfait. Cela va durer des siècles. »» raconte cet ancien ouvrier automobile, sculpteur à ses heures perdues et bien fier de faire partie des « élus chanceux » travaillant sur le mobilier de Notre-Dame.

Son patron, Guillaume Serre, qui a gravi tous les échelons de la fonderie depuis vingt ans, confirme : « Participer à ce projet, y laisser notre empreinte au même titre que les tailleurs de pierre, c’est merveilleux. » Une belle récompense pour cette entreprise de 33 salariés qui, après avoir été déstabilisée par la crise sanitaire, s’engage dans un développement plus écologique, avec des panneaux solaires, des temps de cuisson plus courts et à des températures plus basses… “Le projet du moment c’est le recyclage du plâtre, on est déjà presque à 50%”s’enthousiasme ce chef d’entreprise de 43 ans.

Les défis ne manquent pas. Ainsi, pour l’ouverture du tabernacle, sa fonderie a dû faire appel à une entreprise locale, spécialisée en mécanique de précision. « Il n’était pas question d’y mettre de l’électronique. Il fallait trouver un système simple, rempli de bon sens, que les générations futures pourraient réviser. », explique le designer Guillaume Bardet, devant le modèle en forme de petite tente. Il sourit :  Ce tabernacleJ’ai dû le refaire quatre fois pour trouver la bonne échelle, adaptée à la cathédrale… »

A l’atelier, les modèles reposent comme du bon pain

De retour à Dieulefit, après des virages bucoliques dans les préalpes, une surprise nous attend à l’atelier du créateur, installé dans une ancienne écurie. Les modèles encore provisoires de toute la vaisselle liturgique destinée à Notre-Dame sont exposés sur une petite table, tel un paysage mystérieux. De nouvelles créations qui se sont ajoutées à la commande initiale, à la demande de l’archidiocèse en décembre 2023. « Le souci était, je crois, d’unifier des plats qui autrement risquaient de paraître trop disparates »explique Guillaume Bardet.

Quatorze nouvelles pièces plus petites lui furent commandées, allant du crucifix d’autel au calice, en passant par la patène, l’aiguière, le ciboire et sept chandeliers. Avec humilité, le dessinateur a ensuite parcouru le dictionnaire des arts liturgiques. Il se fit soigneusement expliquer chaque geste du rituel pour tenter d’en retrouver la forme. « juste nécessaire ». « Et puis je laisse ma main, mon désir faire son œuvre », glisse cet intuitif en montrant ses premiers modèles dessinés au crayon sur papier arch. Les modèles naissent alors, modelés en cire, sur des formes découpées dans du polystyrène.

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Essais pour choisir l’arrière de la cathédrale après l’étape de sablage qui consiste à effacer les cicatrices de soudure et de ciselage. / Pierre-Olivier Deschamps/VU pour la croix l’hebdo

Il dévoile le bain-marie qui chauffe en permanence ses petits pains de cire, tièdes et prêts à l’emploi. L’artiste les réalise lui-même, avec cette couleur marron foncé qu’il affectionne, dans des moules à financiers, comme une gourmandise. Sur les étagères, de minuscules modèles dorment. «Ils doivent se reposer, puis parfois ça grossit»continue-t-il en reprenant la métaphore du boulanger.

Le petit modèle du baptistère, conçu en forme de calice surmonté d’une croix, a ainsi inspiré à son tour la nouvelle coupe de l’Eucharistie. L’aiguière, quant à elle, évoque un pichet dépouillé, l’encensoir sphérique, percé de petites croix, les pommes sucrées qu’on portait autrefois autour du cou… Quant au crucifix d’autel, seule une fine incision dans les montants de la croix permettra rappeler l’empreinte du corps du Christ. Il sera coulé en bronze, comme les bougeoirs et le vase colonne prévus pour orner le pied de la statue médiévale de la Vierge.

La vaisselle liturgique est destinée à être sculptée dans de l’argent plus clair. Avec juste une dorure à l’intérieur du ciboire, du calice ou de la patène accueillant la présence du corps et du sang du Christ. L’archidiocèse sollicite désormais le patronage d’un grand orfèvre pour créer ces arts de la table qui pourraient être inaugurés, avec le nouveau mobilier liturgique de Notre-Dame, lors de la célébration marquant la réouverture de la cathédrale, le 8 décembre.

Juchées sur leurs stands, deux grosses motos piaffent déjà dans l’atelier Dieulefit. “Quand j’aurai fini ce projet pour Notre-Dame, j’ai prévu de m’évader pour un grand voyage”, soupire Guillaume Bardet, heureux et épuisé à la fois. En attendant, il va courir trois fois par semaine dans les collines environnantes, histoire de garder les pieds sur terre.