Particulière mais surtout historique car elle peut encore faire vaciller une industrie française qui était déjà fragile. Contrairement à la crise de 2008-2009, les pouvoirs publics ont pris vite des décisions fortes, ce qui a permis d’éviter une catastrophe. La crise a affecté le tissu industriel bien sûr mais le pire est pour l’instant évité. En 2009, la situation s’était dégradée très rapidement et on sait que dans l’industrie, on peut descendre très vite et mettre beaucoup de temps à remonter.
A l’occasion de cette crise inouïe, l’industrie a prouvé qu’elle était capable de s’adapter finalement très rapidement : elle l’a fait lors du premier confinement et les leçons du premier épisode ont été tirées, ce qui a permis aux usines de continuer à tourner pendant le second confinement. Les questions sanitaires et de sécurité sont des préoccupations quotidiennes pour nous et nous avons prouvé que nous savions nous mettre en ordre de bataille. Mais surtout, cette crise a démontré à tous combien l’industrie française est essentielle à la vie de la Nation et au quotidien des Français.
On peut donc être relativement optimiste ?
Il faut surtout être vigilant et déterminé car les six mois qui viennent s’annoncent décisifs. L’important plan de relance a, pour une fois, placé l’industrie au coeur de cet effort collectif avec un tiers des 100 milliards d’euros fléché vers l’industrie. C’est la première fois depuis trente ans que l’on perçoit une telle priorité. Il était temps, car il n’y a pas d’économie forte sans industrie compétitive. A nous, industriels, de saisir maintenant les dispositifs mis à notre disposition. Nous le faisons.
L’industrie française est assez forte pour rebondir dans ce contexte difficile ?
On n’effacera pas trente ans de décisions contre-productives par un coup de baguette magique. Mais il y a incontestablement un changement d’état d’esprit. La crise a démontré que pour des questions de souveraineté, on ne pouvait plus sous-estimer l’importance de l’industrie. La perturbation des flux logistiques a mis en lumière notre fragilité. Aujourd’hui, l’industrie a retrouvé à 90 % ses niveaux de production d’avant-crise mais il existe une inconnue autour de l’évolution de la demande et nos problèmes structurels sont loin d’être tous réglés. Le plan de relance est une première étape nécessaire, mais qui en appellera d’autres
Pourquoi les six mois qui viennent sont si critiques ?
Dans l’urgence, la première obligation, c’est d’éviter les mesures néfastes aux conséquences irréversibles. On a évité cet écueil. Maintenant, la réussite va dépendre de l’exécution du plan de relance. On a fixé des grandes lignes, des priorités pour des secteurs comme l’automobile ou l’aéronautique, on a défini des axes transversaux sur le digital et le verdissement de l’économie. On va maintenant mesurer son avancement, ajuster ce qui doit l’être pour s’assurer que ce plan, bien articulé avec les priorités de nos filières, est de nature à rendre possible ce qui ne l’était pas avant.
En quoi un plan de relance peut vraiment changer la donne ?
Prenez l’exemple de la décarbonation de la production. On a tendance à l’oublier mais en trente ans, l’industrie manufacturière française, qui représente 20 % des émissions, a déjà divisé par deux ses émissions de carbone ! On doit et on peut aller plus loin, mais sans oublier que nous sommes dans une économie ouverte et que les règles doivent être alignées sur ce qui se pratique ailleurs. On ne pourra pas décarboner efficacement la production si, au final, ce que produit l’industrie française coûte plus cher au consommateur ou si cela contribue à détériorer la position compétitive de notre industrie. Qui voudrait d’un acier décarboné produit en France mais qui coûterait 60 % plus cher ?
La crise des « gilets jaunes » a démontré que ce n’est pas en se faisant les avocats d’une forme de décroissance que l’on pourra évoluer dans la bonne direction. L’industrie doit être respectueuse de l’environnement, tout en restant inscrite dans un scénario de croissance. Avec ce plan de relance qui combine priorité industrielle et décarbonation, nous avons une occasion unique de démontrer que l’industrie n’est pas le problème mais qu’au contraire elle apporte des solutions concrètes pour la transition écologique.
Les entreprises françaises sont-elles conscientes de cet enjeu ?
La France compte environ 35.000 entreprises industrielles de toutes tailles. Sur ce total, plus de 7.000 ont déjà manifesté un intérêt pour le plan de relance. C’est beaucoup. France Industrie, ses fédérations et ses entreprises se sont largement mobilisées.
Le plan est-il bien dimensionné ?
L’industrie a face à elle un plan de relance à 30-35 milliards sur deux ans. On peut toujours demander plus, mais la priorité aujourd’hui c’est de saisir les opportunités, de démontrer que l’on peut faire quelque chose avec les outils qu’on nous apporte. C’est en démontrant que nos efforts donnent des résultats que nous serons légitimes pour poursuivre avec l’Etat les réformes utiles à l’industrie. Tous les freins, tous les handicaps qui pénalisent la production en France n’ont pas été levés, loin s’en faut ! L’accumulation de mauvaises décisions prises depuis des décennies s’est sédimentée. Mais nous sommes à un moment que je pense historique. L’ambition, ce n’est pas d’arrêter notre déclin industriel, c’est de rebattre les cartes pour permettre un vrai rebond. C’est mon ambition comme président de France Industrie.
Il n’est pas trop tard ?
Le moment est crucial, nous sommes à l’heure des choix : soit nous engageons une véritable dynamique de réindustrialisation du pays, soit nous décrochons de façon inéluctable. Mais il n’y a pas de fatalité. Surtout que nous sommes à un tournant technologique majeur. Le digital rend possible une forme de nouveau départ dans bien des secteurs. Si nous n’agissons pas, nous tomberons dans une spirale négative dont il sera peut-être impossible de sortir car nos concurrents internationaux sont eux aussi en mouvement. La Chine, en particulier, a déjà redémarré et la vitesse de leur rebond est impressionnante. Ils sont repartis et vont se montrer très offensifs dans tous les domaines.
La réindustrialisation est-elle possible ?
Il s’agit surtout d’industrialiser, de localiser. Réindustrialiser, ce n’est pas tant faire revenir les usines qui sont parties qu’attirer les activités industrielles de demain. On peut investir en France sur de nouveaux secteurs, il faut déterminer les bons segments et créer les conditions de compétitivité. Le quotidien d’un industriel, c’est de s’adapter à une somme de contraintes. Pendant trop longtemps, les contraintes n’ont fait que s’accumuler. On a aujourd’hui, à tous les niveaux du pays, une envie de faire mieux collectivement. Personne ne fera le travail à la place des entrepreneurs mais un changement d’état d’esprit et de politique, c’est déjà beaucoup.
Sur un plan réglementaire, qu’attendez-vous de l’Europe ?
On attend surtout que l’Europe gagne en vitesse d’adaptation. Depuis l’entrée de la Chine dans l’Organisation du Commerce il y a vingt ans, le monde économique a considérablement changé. Mais nos règles sont restées les mêmes. Le monde s’est accéléré et nous restons parfois prisonniers d’une Europe qui est passée de 9 à 27 et dans laquelle il est forcément difficile de prendre des décisions rapidement. Enfin, on doit aussi prendre mieux en compte le fait que la Chine n’est pas une économie de marché et que cela a forcément des conséquences.
Que change la révolution digitale pour l’industrie ?
A nous, déjà, de démontrer que l’industrie n’appartient pas au passé mais s’inscrit totalement dans cette révolution numérique, ce qui est le cas. Depuis des années, nous intégrons le digital dans la transformation de nos méthodes de conception et de production. L’image de l’usine, vieille et sale, appartient au passé. Encore faut-il mieux le faire savoir. Mais la prochaine révolution digitale des usages qui est devant nous est tout aussi cruciale. On peut inventer une nouvelle voiture électrique et connectée, on peut apprendre à la produire autrement, mais il faudra aussi de plus en plus apprendre à la vendre autrement. Demain, on n’achètera peut-être plus une voiture mais une capacité de transport. Quels seront le rôle et la place de l’industriel dans ce nouvel environnement ? La France dispose des acteurs industriels et des compétences pour faire face à ces défis. A nous maintenant de faire les bons choix pour saisir les nombreuses opportunités qui s’offrent à nous. Choisissons nos combats, les secteurs dans lesquels nous avons des chances de nous imposer.
Vous dirigez une ETI. Faut-il regretter que la France en manque ?
La majorité des entrepreneurs veulent croître et cherchent des moyens de développer leur activité. Mais quand on dirige une entreprise, on doit toujours se demander, avant de prendre un risque pour tenter d’aller saisir une opportunité, si on peut se payer le risque d’un échec. Et la réalité, c’est que plus on est gros, plus on a la capacité de courir ces risques sans mettre en péril son entreprise. C’est pour ça qu’il est essentiel d’avoir des PMI qui deviennent des ETI. Il y a un lien direct entre la taille et la capacité à croître dans la durée. Il faut faire grandir nos entreprises pour enclencher le cercle vertueux de la croissance.
Comment expliquer notre faiblesse sur ce front ?
Dans les années 1980, la France avait à peu près autant d’ETI que l’Allemagne. Aujourd’hui, nous en avons deux fois moins et un tiers de moins qu’en Italie. Ce n’est pas une question de caractère, c’est la conséquence des règles que nous nous sommes imposées ! Quand on oblige une entreprise qui dépasse les 50 salariés à assumer les mêmes contraintes qu’une entreprise de 5.000 employés, on crée une forme d’inhibition. Quand on a une fiscalité qui pèse sur les marges, on freine aussi la croissance car pour se développer il faut investir. Le premier carburant des fonds propres ce sont les profits des années précédentes. Les sujets sociaux, réglementaires comme fiscaux, ont tous une incidence directe sur la compétitivité et l’attractivité du site France. Mais pour les ETI comme pour les PME et toutes les entreprises, nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins. Nous devons retrouver collectivement le chemin de la croissance.
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