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Par : piwi
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mercredi 18 Oct, 2023
Catégorie : Actu flash

Le stoïcisme, philosophie pour notre temps

 Face à la multiplication des conflits, au retour des attentats, le stoïcisme nous enseigne tout à la fois à cultiver son moi profond, tout en continuant le cours de ses actions sans céder à la terreur, analyse Gaspard Koenig.

Marc Aurèle, l'empereur philosophe, recommandait de bâtir une « citadelle intérieure » où se réfugier des attaques, d'accepter la fatalité des événements et de s'ouvrir au temps présent.
Marc Aurèle, l’empereur philosophe, recommandait de bâtir une « citadelle intérieure » où se réfugier des attaques, d’accepter la fatalité des événements et de s’ouvrir au temps présent. (iStock)

Par Gaspard Koenig (philosophe)

Face à la noria sans fin d’informations accablantes, guerres, massacres, attentats et fonte accélérée de la banquise, on est en droit de se demander quelle philosophie morale adopter. Faut-il se révolter, s’engager, se détourner, se désespérer ? Dans la « Phénoménologie de l’esprit », Hegel identifie une doctrine particulièrement appropriée à « un temps d’universelle crainte et servitude » : le stoïcisme, voie d’accès à une liberté qui « provient toujours immédiatement d’elle-même et revient dans la pure universalité de la pensée ». C’est-à-dire une liberté indépendante des circonstances extérieures.

L’histoire semble donner raison à Hegel. Marc Aurèle, l’empereur philosophe, passa le plus clair de son règne sur le champ de bataille pour protéger Rome des envahisseurs. Il recommandait, en connaissance de cause, de bâtir une « citadelle intérieure » où se réfugier des attaques, d’accepter la fatalité des événements et de s’ouvrir au temps présent, le seul qui existe véritablement.

Un asile intérieur

Montaigne se fit l’héritier des stoïciens romains dans un XVIe siècle déchiré par les guerres civiles et ravagé par la peste ; là encore, l’objectif était de s’aménager une « arrière-boutique » où l’on puisse cultiver son moi profond. Et ce n’est pas un hasard si Stefan Zweig consacra sa toute dernière biographie à Montaigne ; exilé au Brésil, ravagé par une Seconde Guerre mondiale qui le conduira au suicide, Zweig se cherchait à son tour un asile intérieur « en des temps où les masses sont prises de folie ».

Ce retour sur soi, cette mise à distance des passions n’impliquent pourtant pas un retrait hors du monde, comme dans le bouddhisme ou l’épicurisme. Marc Aurèle repoussa les Parthes et les Marcomans, Montaigne devint maire de Bordeaux et Zweig poussa dans ses Mémoires, « Le Monde d’hier », un poignant cri de rage contre la barbarie. Analysant le stoïcisme, Michel Foucault a ainsi montré comment le « souci de soi », en établissant la souveraineté de l’individu sur lui-même, formait le citoyen. Maîtriser ses affects et ses pensées, s’abstenir de tweeter ses réactions à chaud, ruminer ses jugements sont autant de conditions pour conserver la tête claire et agir dignement dans la cité.

« Life must go on, as usual »

Toute cette philosophie, dira-t-on, nous laisse bien dépourvus face à l’embrasement du Proche-Orient ou aux islamistes semant la mort dans les écoles. Voire. Le stoïcisme est une école de pensée éminemment concrète, riche de conseils pratiques qu’il appartient à chacun d’entre nous d’actualiser. Voici trois exemples.

Il faut transformer nos âmes en citadelles pour éviter de transformer nos écoles en bunkers.

Comment réagir face à un acte terroriste ? En continuant à vivre exactement comme avant, répondra le stoïcien. En n’accordant pas au criminel l’honneur de bouleverser notre mode de vie ni de pervertir nos valeurs. De ce point de vue, la réaction politique la plus stoïcienne que je connaisse face au terrorisme est celle de Margaret Thatcher après l’attentat à la bombe de l’IRA dans son hôtel de Brighton, en octobre 1984. Alors que l’on dénombre des victimes parmi ses proches et que la Dame de fer elle-même n’a réchappé que de peu à la mort, elle se plante en pleine nuit devant un journaliste de la BBC, les cheveux encore ébouriffés, la voix émue, et assure que le congrès prévu le lendemain se tiendra comme prévu car « life must go on, as usual ». La vie doit continuer, comme toujours. C’est le même raisonnement qu’ont suivi le maire d’Arras en maintenant le marché du samedi, les restaurateurs de la ville en restant ouverts et les enseignants en retournant assurer leurs cours. Espérons que le gouvernement central prendra exemple sur eux et ne cédera pas à la facilité politique des « mesures d’urgence ». Il faut transformer nos âmes en citadelles pour éviter de transformer nos écoles en bunkers.

La prière du matin

Quelle attitude adopter quand reprennent les guerres d’extermination ? Refuser de choisir un camp de manière absolue et définitive. Ne jamais réduire les individus à un peuple en leur assignant une responsabilité collective . Résister à la loi du talion. Mes amis israéliens comme mes amis pro-palestiniens me demandent de défendre leur cause. Je n’ai qu’une cause à défendre, celle de l’humanité.

Comment suivre les infos quand chaque dépêche semble réserver un nouvel effroi ? Montaigne déplorait déjà notre « passion avide et gourmande de nouvelles ». Pour la discipliner, il faut renoncer aux chaînes d’info en continu, aux fils d’actu et aux réseaux sociaux, pour mieux consacrer une plage de temps définie aux misères du monde, en diversifiant autant que possible les points de vue. Hegel faisait de la lecture des journaux sa « prière du matin réaliste ». Voilà bien la seule prière qui, aujourd’hui, pourrait nous venir en aide.

Gaspard Koenig est philosophe. dans LES ECHOS

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