Le Devoir –
La fonderie de Rouyn-Noranda (Canada )brûle environ 50 000 tonnes de déchets électroniques chaque année.
Cérium, yttrium, néodyme… Peu de gens connaissent les subtilités de ces éléments appelés « terres rares ». Ces métaux se trouvent pourtant tout autour de nous, dans nos téléphones portables, nos écrans et nos voitures. Rares dans la nature comme l’indique leur nom, ils demeurent cependant très peu recyclés. Des voix s’élèvent pour que la fonderie Horne, le plus gros recycleur de déchets électroniques en Amérique du Nord, surveille la deuxième vie de ces atomes mystérieux.
La fonderie de Rouyn-Noranda brûle environ 50 000 tonnes de déchets électroniques chaque année à Rouyn-Noranda pour en extraire les métaux déjà bien connus, comme l’or et le cuivre. Ce recyclage à près de 1200°C de cartes mères ou d’anciens téléphones libère des quantités notables de terres rares dans l’atmosphère. Ces rejets inquiètent des scientifiques.
« J’ai l’impression qu’on répète un scénario déjà vu, il y a 70-80 ans », laisse tomber Yves Grafteaux, directeur général de l’Organisme de bassin versant du Témiscamingue. « On ne les détecte pas parce qu’on ne les suit pas. Comme avec les métaux traditionnels à l’époque, on manque d’information pour exiger une norme. S’il n’y a pas de norme, il n’y a pas de suivi. S’il n’y a pas de suivi, on ne peut pas savoir s’il y a un dépassement anormal. »
Lors de l’assemblée générale annuelle de son organisme apolitique la semaine dernière, la pollution de la fonderie Horne a évidemment retenu l’attention. Une équipe de chercheurs de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) a présenté les angles morts de la pollution de l’usine détenue par Glencore.
Il y a une « contamination invisible », observe Maikel Rosabal Rodriguez, un de ces chercheurs en écotoxicologie de l’UQAM.
« Les terres rares sont des métaux lourds qui se précipitent au fond de l’eau. On en retrouve dans les sédiments, les animaux benthiques qui vivent sur ou au fond des eaux, mais très peu dans les poissons pélagiques, en suspension dans l’eau comme telle. »
Le brassage de l’eau, la remontée de ces éléments dans la chaîne alimentaire et l’accumulation de ces terres rares dans le sol abitibien pourraient peut-être nuire à court ou long terme à la santé des résidents. Mais, impossible de le prévoir, car les conséquences sur la santé humaine de ces éléments dans l’environnement n’ont fait l’objet d’aucune étude scientifique jusqu’à présent, confirme Maryse Bouchard, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les contaminants environnementaux et la santé des populations. « S’il y en a, c’est un très nouveau sujet », dit-elle.
Maikel Rosabal Rodriguez s’inquiète tout particulièrement de la concentration de ces métaux dans le lac Dufault, le réservoir d’eau potable de Rouyn-Noranda. Les données préliminaires y relèvent une concentration de contaminants plus élevée qu’ailleurs. « Il faut des données pour établir des normes environnementales rigoureuses. C’est nécessaire », insiste-t-il.
Aucun suivi chimique ne permet de tracer un lien direct entre ces échantillons et les émissions de la fonderie, mais tout pointe dans cette direction. On retrouve des traces de terres rares dans des concentrations jusqu’à 11 fois plus élevées dans un rayon de 10 km de l’usine que dans un rayon de 50 km autour du complexe métallurgique, selon l’examen de l’équipe de Maikel Rosabal Rodriguez.
Désirabilité sociale
La contamination aux terres rares n’est « pas alarmante », selon les échantillons préliminaires des chercheurs de l’UQAM, mais cette donne pourrait être appelée à changer. La fonderie souhaite augmenter la quantité de déchets électroniques recyclés dans les prochaines années.
Glencore promet cependant une rénovation « majeure » de ses installations dans les prochaines années afin de limiter les rejets polluants. Leurs ingénieurs prévoient « encapsuler toute la fonderie » Horne pour empêcher la fuite d’émissions toxiques.
Même si les émissions de terres rares dans l’atmosphère risquent d’être ainsi plafonnées, Maikel Rodriguez y voit une occasion manquée pour la fonderie, car ces terres rares finiront tout de même au rebut. « Glencore pourrait recycler les terres rares et faire un profit là-dessus », croit-il.
Yves Grafteaux y voit surtout un moyen de « passer de l’acceptabilité sociale à la désirabilité sociale ».
Le Québec possède la technologie et le savoir pour analyser « presque tous les éléments du tableau périodique des éléments ».
L’extraction et le recyclage des terres rares font également partie du Plan québécois pour la valorisation des minéraux critiques et stratégiques 2020-2025.
UNE PREMIÈRE MINE DE TERRES RARES AU CANADA
La toute première cargaison de terres rares canadiennes a été livrée sur les marchés internationaux cet été. La mine Nechalacho, située dans les Territoires du Nord-Ouest, a expédié en juin un chargement de 500 tonnes de concentré de bastnäsite. La méthode d’extraction n’utilise que « des rayons X et des jets d’air » pour séparer le bon minerai du mauvais, selon l’entreprise responsable. Plus près de nous, au Québec, l’entreprise Geomega a reçu ce printemps 400 000 $ du ministère des Ressources naturelles pour explorer un gisement de terres rares dans le Nord-du-Québec. Geomega travaille en parallèle sur une usine de recyclage des terres rares à Saint-Bruno-de-Montarville, qui pourrait devenir la première du genre en Amérique du Nord.
La Chine domine présentement le marché des terres rares et approvisionne 60 % du marché planétaire, avec l’équivalent de 140 000 tonnes par année. Les Occidentaux cherchent à diversifier leur source d’approvisionnement, car ces minéraux sont essentiels pour des produits de pointe, comme les ordinateurs, les automobiles, les éoliennes ou les avions à réaction. « Le Canada possède certaines des plus importantes réserves et ressources connues (mesurées et indiquées) de terres rares au monde, estimées à plus de 14 millions de tonnes d’oxydes de terres rares en 2021 », indique d’ailleurs le ministère fédéral des Ressources naturelles.