« Fabriquer français, innover, protéger la planète » : la plus vieille fonderie de France transforme l’écologie en moteur de croissance
INTERVIEW – Les fonderies de Sougland ont une longévité impressionnante. A près de 500 ans, cette PME, reconnue entreprise du patrimoine vivant, est la plus vieille entreprise des Hauts-de-France encore en activité, mais aussi labellisée industrie du futur. L’innovation et la transition écologique sont devenues ses piliers.
Les fonderies de Sougland dans l’Aisne ont beau avoir plus de 480 ans, l’innovation et l’industrie du futur font partie de son ADN. Cette PME de 50 salariés et 5 millions d’euros de chiffre d’affaires, la plus vieille encore en activité des Hauts-de-France, a toujours su s’adapter, par l’innovation. Il y a un peu plus d’un siècle, elle fabriquait des cuisinières en fonte émaillée. Elle avait à l’époque inventé une machine à émailler permettant de mieux préserver la santé des ouvriers et l’environnement, qui lui avait valu l’un des premiers prix à l’exposition universelle de 1900. L’entreprise a ensuite fait de la tôle émaillée dans les années 50-60, avant de pivoter vers des pièces très techniques quand le formica est arrivé. Elle travaille aujourd’hui l’acier et la fonte pour les secteurs de la construction navale, la sidérurgie, le nucléaire, la défense, le ferroviaire, ou pour des moteurs de l’US Navy. Que des pièces unitaires, ou en petite et moyenne série, à forte valeur ajoutée, avec trois convictions : fabriquer français, innover, et protéger la planète.
Une stratégie qui s’avère payante sur le plan économique, et qui attire l’attention, les Fonderies de Sougland viennent d’être rachetées par le groupe ACI, pour monter un « pôle chaud » rassemblant trois entreprises, Sougland, Hachette et Driout et la forge de Monplaisir, 45 millions d’euros de chiffre d’affaires et 350 personnes au total. Le directeur de Sougland, Yves Noirot en a pris la direction. Son objectif : diffuser les bonnes pratiques pionnières de son entreprise et mutualiser les moyens d’investissement pour aller encore plus loin. Interview.
Challenges – Quel a été votre déclic pour vous engager dans la transition écologique ?
Yves Noirot – Les Fonderies de Sougland ont toujours su s’adapter à l’époque et aux événements, grâce à l’innovation. Nous sommes labellisés ISO 14 001 depuis 25 ans, notre défense de l’environnement est une conviction profonde, pas un opportunisme. Les Fonderies ont aussi longtemps appartenu et été sous la présidence d’une femme (Florence Lang, ndlr), depuis la fin des années 1998, jusqu’au rachat par ACI en janvier 2025, ce qui a sans doute eu un effet sur l’attention portée à la RSE (responsabilité sociale des entreprises). Mais le vrai déclic a été l’explosion des coûts de l’énergie après le Covid, puis l’explosion des prix des matières premières.
Comment avez-vous réagi ?
Il y a environ 5 ans, nous avons embauché l’un des premiers VTE verts (volontariat territorial en entreprise). Grâce à lui nous avons obtenu le label ISO 50 001 sur le management de l’énergie. Depuis 3 ans, nous sommes passés à la semaine de 36,5 heures en quatre jours. Cela nous permet de n’allumer nos fours que quatre jours, pendant 10 heures au lieu de 8, or ce qui consomme le plus est leur allumage et leur montée en température. Après un diagnostic avec la BPI, nous avons aussi installé un système de capteurs et d’automatisation, pour maximiser nos consommations d’électricité, de gaz, d’air comprimé. Résultat, nous avons économisé 20 % d’énergie.
Nous mobilisons aussi la recherche pour progresser sur l’économie circulaire, et intégrer de plus en plus de matière recyclée. Quand les prix des matières premières ont flambé, nous avons proposé à nos clients de racheter leurs pièces usagées, nous avons par exemple un contrat avec ArcelorMittal. Eux valorisent mieux leur déchet, et nous avons accès à une ressource moins chère. Depuis, nous avons réussi à progresser de 30 % dans l’incorporation de matière recyclée. On peut aller jusqu’à 90 % sur certaines pièces. Je crois beaucoup au rapprochement du monde de l’industrie et de la recherche, nous avons donc intégré un jeune ingénieur de Centrale Lille et des arts et métiers de Châlons pour réaliser une thèse sur le réemploi de la matière.
Quels ont été les impacts économiques ?
Alors que le travail de la forge reste un métier difficile, avec trois jours de repos par semaine, nos salariés reviennent plus reposés : ils ont gagné 3 % de productivité depuis que nous avons fait ce choix. Nous investissons chaque année entre 7 et 10 % de notre chiffre d’affaires pour l’innovation et l’environnement, qui sont intrinsèquement liés. Avec un retour sur investissement de notre stratégie très concret depuis 4 ans, nous avons plus d’une centaine de demandes de prospects par an (contre 5-6 auparavant), qui se convertissent en 25 nouveaux clients annuels. Notre triptyque fabriqué en France, R&D et planète fait concrètement grandir l’entreprise. Du point de vue de la compétitivité, la CSRD va nous aider à nous différencier, et à mettre en valeur tout le travail, les efforts et les investissements qu’on met en œuvre depuis des années.
Quelles seront les prochaines étapes, allez-vous vous passer du gaz ?
Nous sommes en train de formaliser notre feuille de route de décarbonation, pour nous donner un objectif chiffré de réduction de nos émissions de CO2. Pour l’instant, nous ne pensons pas nous passer du gaz, pour plus de sécurité. En revanche, nous réfléchissons à un moyen de récupérer notre chaleur fatale, et de régénérer 100 % de sable de fonderie, contre 80 % aujourd’hui. Pour certaines pièces que nous avons développées pour durer plus longtemps, comme les barreaux de chaudière biomasse, nous pourrions aller vers une économie de la fonctionnalité, les louer et non plus les vendre. Nous nous occuperions de la maintenance, avec une garantie plus élevée pour le client, ce qui permettrait de prolonger la durée de vie de la pièce.
Nous voulons aussi créer de nouveaux alliages avec plus de matière première recyclée, qu’on pourrait mettre sur le marché sous forme de licence. C’est un projet que va nous permettre de développer le groupe ACI. L’objectif du pôle chaud sera de pouvoir constituer un département R&D spécifique à la fonderie et à la forge pour pousser l’économie circulaire encore plus loin. La transition écologique est initiée dans les autres fonderies, nous voulons l’accélérer, avec un plan d’investissement à cette échelle demain.
🏭 Cette visite a permis de mettre en lumière le savoir-faire industriel local et l’engagement des Fonderies de Sougland en faveur d’une production française de qualité.
Fondée en 1543, l’entreprise est l’une des plus anciennes fonderies de France encore en activité. Engagée dans l’innovation et la protection de la planète, l’entreprise jouit d’un rayonnement international. Elle fabrique aujourd’hui des pièces techniques pour différents secteurs d’activité (automobile, ferroviaire, défense, agroalimentaire, etc.) et s’inscrit pleinement dans une dynamique de modernisation et d’innovation, en témoigne sa labellisation « Vitrine industrie du futur ».
✅ Les Fonderies de Sougland ont récemment obtenu la certification « Origine France Garantie » 🇫🇷, reconnaissant leur engagement en faveur de la relocalisation industrielle et de la valorisation des savoir-faire nationaux. Elles ont également participé à la dernière édition de la Grande Exposition du Fabriqué en France, organisée en octobre 2024 au Palais de l’Élysée, où elles ont représenté fièrement le département de l’Aisne.
🤝🏻 Cette visite témoigne du soutien de l’État à l’industrie locale et à la promotion du « fabriqué en France » sur le territoire.
Yves NOIROT