La fonderie et Piwi

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Par : Nicolas
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lundi 22 Juin, 2020
Catégorie : Economie

Dialogue social: le retour au premier plan de la métallurgie

Le 26 mai, Emmanuel Macron reçoit les représentants de la filière automobile à l’Elysée avant d’annoncer un plan de soutien sectoriel l’après-midi. Le syndicaliste Frédéric Homez fait partie des invités et, devant le président de la République, parle du texte que la branche de la métallurgie vient d’adopter. Emmanuel Macron, qui ne découvre pas le sujet, salue la qualité du dialogue social dans cette branche et rêve à voix haute que l’exemple soit imité.

Frédéric Homez, secrétaire général de la Fédération métallurgie de Force ouvrière (FO), est l’un des signataires du texte, avec la CFDT et la CFE-CGC, côté salariés ; l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), côté employeur. Le dispositif plaît tellement au pouvoir exécutif que celui-ci en reprend l’essentiel dans une loi qui vient d’être votée. Les détails doivent être précisés par décret.

L’idée est de permettre aux entreprises dont l’activité est durablement touchée par la crise de réduire le temps de travail de leurs salariés, donc leurs salaires, la différence de rémunération étant prise en charge par l’Etat et/ou l’Unedic pour un montant à préciser. En contrepartie, l’employeur s’engage à ne pas licencier durant l’application du dispositif qui devra être adopté par accord avec les syndicats.

Signé le 18 mai, le document de la métallurgie a nécessité seulement trois réunions de travail. Depuis le début de la crise sanitaire, c’est le troisième texte que le patronat de ce secteur signe avec ses syndicats représentatifs. A l’exception de la CGT, premier syndicat du secteur, qui n’en a validé aucun.

Exemple allemand. Pourtant, c’est au sein du patronat que la réflexion s’organise en premier, très peu de temps après le début du confinement. Au sein de France industrie, puissant outil de lobbying du secteur, Philippe Varin (président) et Philippe Darmayan (président de l’UIMM) demandent à Alexandre Saubot, vice-président de France Industrie, de créer un groupe de travail, début avril. Il réunit différentes branches (textile, agroalimentaire, chimie et métallurgie) et plusieurs DRH de grosses entreprises. L’idée est de s’inspirer de l’exemple allemand, arbitrer en faveur du maintien dans l’emploi plutôt que du niveau des salaires, alors que traditionnellement, la France fait le choix contraire.

« Nous avons tous été marqués par la crise de 2008, ses fermetures de sites, ses faillites. Nous avons vécu la double peine des suppressions d’emploi et des disparitions de compétences. Un chaudronnier ou un soudeur ne se forment pas en quelques semaines. Nous avons mis 10 ans pour retrouver un niveau normal d’activité », rappelle Hubert Mongon, délégué général de l’UIMM.

Les syndicats ignorent l’existence du groupe de travail de France industrie. Quand ce groupe patronal adopte un schéma de chômage partiel longue durée, il sait que ce dispositif aura plus de poids s’il est adoubé de manière paritaire. Et la métallurgie paraît la mieux placée pour négocier avec ses syndicats : elle emploie la moitié des effectifs de l’industrie, et elle a une tradition de dialogue social.

Les organisations de salariés ont-elles été instrumentalisées ? Gabriel Artero, le président de la fédération métallurgie CFE-CGC, s’en défend : « Que le patronat ait travaillé le sujet en amont de son côté ne me choque pas. Mais cela ne pouvait aboutir que s’il y avait un texte paritaire, et c’est dans notre branche qu’il était le plus probable. De toute façon, nous, syndicats, avions commencé une discussion de notre côté et nous avons trouvé intérêt à agir. »

Imagination. « Dès le 25 février, FO métaux adresse une première lettre à l’UIMM pour imaginer une boîte à outils face à la crise, puis de nouveau le 14 avril», confirme Frédéric Homez. Les syndicalistes fouillent leur mémoire et y retrouvent cette APLD, allocation partielle de longue durée créée en 2008, et même le TRILD (temps réduit indemnisé longue durée), datant de 1993. Cette fois le nouveau dispositif est baptisé ARME (activité réduite pour le maintien en emploi) par l’administration, toujours imaginative en matière d’acronymes.

La discussion au sein de l’UIMM ajoute des volets au dispositif de France industrie. Car les syndicats ne veulent pas se contenter de gérer la reprise, ils veulent parler relance. Cinq réunions sur ce thème sont prévues, la CGT y participe. Le but est de fabriquer un plan qui sera remis à l’exécutif. « Ce manifeste est vraiment un tournant, insiste Stéphane Destugues, secrétaire général de la fédération métallurgie CFDT (numéro deux du secteur), nous y abordons les questions de réindustrialisation, de verdissement, de responsabilité sociale. On n’aurait pas imaginé cela possible avant. »

« Produire de la norme sociale, nous savons le faire, cela doit rester au cœur de nos activités, mais on ne peut plus s’en contenter. A côté du maintien du dialogue social traditionnel, il faut construire des pactes sociaux, montrer notre capacité à adopter des réflexions et positions communes avec les syndicats et à les porter ensemble dans le débat public. » L’intention politique est assumée : le texte adopté le 18 mai s’appelle « manifeste ».

S’il a pu être adopté au terme de trois réunions, c’est qu’il existe une longue tradition de discussions au sein de cette branche. Pour le pire – elle a donné lieu à des soupçons de financement occulte des syndicats, en 2007, lors de l’affaire dite de l’UIMM, sans que la justice puisse les confirmer. Pour le meilleur : forte de ses 59 chambres territoriales et de ses 320 juristes, l’UIMM s’est tissé une compétence en matière de négociations sociales pour l’ensemble du patronat.

Machine de guerre. Trois hommes, dont les bureaux sont situés au même étage de l’avenue de Wagram, à Paris, en assument aujourd’hui la direction : Philippe Darmayan, président depuis avril 2018, Hubert Mongon, le délégué général depuis février 2016, et Jean-Pierre Fine, secrétaire général. A ce poste depuis janvier 2006, il incarne la continuité et sert de messager quand les syndicats notent un décalage entre les bonnes paroles de la branche et la réalité des entreprises.

L’UIMM est une machine de guerre. « Ses moyens sont totalement asymétriques avec les nôtres, estime Gabriel Artero, ils ont une capacité de lobbying considérable et nous, nous courons derrière avec nos petites baskets. » Petites, mais pas dérisoires. « L’UIMM ne pourrait pas faire sans les syndicats, souligne Bernard Vivier, directeur de l’Institut Supérieur du Travail (IST), or les fédérations salariales de la métallurgie sont puissantes au sein de leur organisation, autonomes financièrement. Elles savent travailler. Du coup, la vie sociale est mûre et réfléchie. »

Qualités nécessaires pour se lancer dans ce travail de moines copistes : la fusion de 76 conventions collectives en une seule, obligeant les protagonistes à revisiter tout le droit du travail, les salaires, l’organisation, la formation, le dialogue social, etc. Commencé en 2016, ce travail est réalisé aux deux tiers et devrait s’achever au premier semestre 2021.

Le patriotisme de branche est aussi un ciment fort. Sur le logo de FO métaux, une des premières fédérations de Force ouvrière, la mention « Notre industrie, nos emplois » en donne la mesure. Dirigé par Frédéric Homez depuis 2005, le syndicat campe sur une ligne réformiste, venue en soutien du bilan de Jean-Claude Mailly au moment de son départ de la tête de la confédération en 2018. Pour témoigner sa reconnaissance, Mailly a adhéré à FO métaux, alors qu’il a travaillé à la Sécurité sociale.

La fédération de la CFE-CGC est aussi puissante, puisqu’elle rassemble 22 % des adhérents de sa confédération, prend de plus en plus d’importance au fur et à mesure de la montée des cadres dans les effectifs. « Nous sommes les premiers aux élections chez Renault, Alstom et à la division défense et espace d’Airbus, les deuxièmes chez PSA », indique Gabriel Artero, qui dirige la fédération depuis 2006.

Nihil obstat. Désormais l’accord doit prendre forme, ce qui suscite quelques inquiétudes. Au sein du patronat, il a été validé par le Medef après qu’Alexandre Saubot et Hubert Mongon l’ont présenté aux instances dirigeantes. Mais il est très centré sur les besoins de l’industrie et n’intéresse pas beaucoup les services ou le commerce, par exemple : là, les employeurs peuvent jouer sur l’intérim, les horaires, et n’emploient pas autant de travailleurs qualifiés que dans l’industrie. Du coup, ces secteurs redoutent que l’argent donné à ARME par les pouvoirs publics soit détourné du chômage partiel traditionnel dont ils continuent d’avoir besoin.

Les syndicats, eux, savent que les PSE ne vont pas disparaître et redoutent une drôle de cohabitation : au sein d’une même entreprise, certains secteurs pourront bénéficier du dispositif ARME (par exemple les activités de production, pour protéger les compétences), mais les fonctions support pourront faire l’objet d’un PSE. Pas facile à expliquer aux salariés. Certains syndicalistes estiment aussi que l’engagement de maintien dans l’emploi n’est pas assez martelé dans la loi, qu’il va dépendre de la négociation de branche ou d’entreprise. Tous attendent les précisions du futur décret.

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