LES ECHOS
En dépit de l’accord entre EDF et l’Etat sur la régulation du nucléaire, les industriels restent dans le flou sur l’évolution de leur facture après 2025. En cause : des négociations avec EDF qui vont prendre du temps, et aussi des divergences de vues entre l’énergéticien et l’Etat qui subsistent.
Par Sharon Wajsbrot
Les industriels français auront-ils accès à une électricité compétitive, abondante à des prix connus à l’avance ? Alors que l’Etat et EDF se sont mis d’accord sur un nouveau mécanisme pour encadrer les prix de vente de l’électricité nucléaire d’EDF à partir de 2026 et que s’achevait la semaine dernière la consultation publique sur la mise en oeuvre de cet outil très complexe, le flou demeure.
« Nous avons fait le tour de nos adhérents et nous constatons que beaucoup d’entre eux s’inquiètent car ils ne voient pas encore comment ils vont avoir accès à de l’électricité abondante à un prix prévisible et compétitif », reconnaît Alexandre Saubot, le président de France Industrie qui pointe un « changement de monde » à venir, avec une régulation qui repose désormais d’abord « sur la politique commerciale d’EDF ».
Un « nouveau monde » pour l’industrie
Jusqu’ici, les entreprises pouvaient faire baisser le prix moyen de leur facture grâce à l’accès aux quotas de nucléaire achetés à EDF à prix fixé par l’Etat, dans le cadre du mécanisme « Arenh ».
Demain, pour avoir des prix attractifs, elles devront négocier en gré à gré avec EDF. Pour les industriels qui peuvent verser une avance financière importante et supporter des livraisons variables en fonction de la production nucléaire, ils pourront signer des « contrats d’allocation de production nucléaire » à tarifs très préférentiels. Les autres négocieront des contrats de fourniture à cinq ans « classiques ».
Les premiers contacts commerciaux ont été pris entre EDF et les industriels, mais beaucoup d’incertitudes demeurent. Quelles seront les quantités d’électricité disponibles via ces contrats ? Pour les entreprises moins solides mais qui consomment beaucoup d’électricité (dans la chimie, la métallurgie, etc.), y aura-t-il un mécanisme d’achats groupés afin qu’elles bénéficient aussi de tarifs avantageux, sans avoir à verser une avance financière ?
Enfin, y aura-t-il – comme l’a évoqué le ministre de l’Economie Bruno Le Maire – un nouveau contrat de vente d’électricité avec le consortium Exeltium . Constitué en 2010 par une vingtaine de grands industriels, celui-ci visait précisément à leur offrir des prix proches des coûts de production du parc nucléaire.
EDF absent à Bercy
Au sein de l’industrie, le manque de clarté agace, d’autant qu’EDF ne s’est pas présenté à la réunion organisée par les pouvoirs publics avec les fédérations professionnelles à Bercy mi-décembre. « C’est la politique de la chaise vide et c’est assez mal vu, on craint qu’ils ne veuillent s’asseoir sur certains de leurs engagements », pointe un acteur industriel.
Chez EDF, on explique que participer à de telles réunions est délicat vis-à-vis des règles de la concurrence, « cela peut donner l’impression que l’Etat fixe les prix » et on met aussi en avant la priorité d’être « sur le terrain » pour déployer des contrats à long terme sur le marché. A ce jour, le groupe revendique trois signatures de contrats portant sur des horizons de couverture à 2028.
En réalité, en dépit de l’accord passé en novembre, il subsiste ente EDF et l’Etat de nombreux désaccords . Si les pouvoirs publics aimeraient voir se concrétiser une deuxième phase de vente d’électricité au consortium Exeltium pour donner un gage de compétitivité à l’industrie française, EDF traîne des pieds.
L’énergéticien met en avant un outil daté, conçu il y a quinze ans, dont les dates d’utilisation validées par la Commission européenne sont échues et qui repose sur la production d’électricité de l’EPR de Flamanville, dont les coûts ont explosé…
Un partage du risque
EDF préférerait un mécanisme de vente d’électricité qui lui permettrait de faire varier les volumes livrés en fonction de sa production, de façon à transférer une partie du risque industriel à ses clients. A la manière, en quelque sorte, de ce que proposent les acteurs des énergies renouvelables lorsqu’ils vendent des contrats à long terme (« PPA »), qui fournissent de l’électricité quand le soleil brille ou que le vent souffle.
L’autre désaccord entre l’Etat et EDF porte sur les volumes qui seront vendus dans les contrats aux prix les plus attractifs. Si le gouvernement cible la consommation totale des hyper-électro-intensifs, EDF pointe la nécessité de ne surtout pas dépasser la moitié des besoins de ce marché, soit 20 TWh par an environ. Là encore, pour éviter de voir le mécanisme retoqué par Bruxelles.
Un projet de loi à la rentrée
Si le sujet n’est en rien urgent – les volumes proposés par EDF sont loin d’être épuisés – le débat renforce l’idée, dans l’esprit des industriels, que ce nouveau mécanisme de régulation est fragile. « Ce qui m’inquiète c’est de signer des contrats qui risquent d’être invalidés par Bruxelles pour des motifs de droit de la concurrence », explique l’un d’eux.
Or, le temps court. Pour faire des budgets, répondre à des appels d’offres ou prendre des décisions d’investissements, les industriels français demandent de la visibilité sur les prix de l’électricité début 2026.
« L’Etat a choisi un cadre de régulation qu’on se doit de faire fonctionner. On voit bien comment il fonctionnera pour les finances de l’Etat et pour EDF mais il reste à construire la compétitivité pour l’industrie. Il faut que tout le monde ait pleinement conscience que le calendrier est serré », pointe Alexandre Saubot chez France Industrie.
Un projet de loi doit être présenté en conseil des ministres courant janvier ou début février, pour graver cette réforme dans le marbre. Reste à savoir si cela permettra de lever toutes les inconnues.