La fonderie et Piwi

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Par : piwi
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dimanche 17 Sep, 2023
Catégorie : Selon la presse

Stihl, le très secret champion mondial de la tronçonneuse 

« Cette même volonté d’indépendance a conduit le groupe à se doter dès 1970 de sa propre fonderie au magnésium. »!!!

Les années Covid ont conforté le succès du champion mondial de l’outil préféré des forestiers. Une réussite emblématique de ces pépites du Mittelstand allemand. Visite dans le Bade-Wurtemberg, où bat le cœur de cette entreprise secrète et toujours contrôlée par la même famille près d’un siècle après sa fondation.

Les lames de tronçonneuses Stihl sont disponibles dans une quinzaine de tailles, de 30 cm à 1,50 m de long. Il en existe même en série limitée.
Les lames de tronçonneuses Stihl sont disponibles dans une quinzaine de tailles, de 30 cm à 1,50 m de long. Il en existe même en série limitée. (© Michael Englert pour Les Echos Week-End)

Par Florence Bauchard   LES ECHOS

Pour couper ses 30 stères de bois de chauffage annuels, Gilles Chesneau ne jure que par Stihl. « J’ai d’abord acheté un petit modèle, puis un plus gros, et cela fait quarante ans que je les utilise sans rencontrer le moindre problème », explique ce jeune sexagénaire en arpentant la forêt domaniale de Bride, réputée pour ses chênes. Et ce technicien forestier du massif mosellan d’ajouter avec conviction : « Stihl, c’est la référence en matière de tronçonneuse. »

C’est vrai pour le grand public comme pour les professionnels. Bientôt centenaire, la marque allemande a longtemps été prépondérante dans le parc d’équipements de l’ONF, avant que ce dernier ne modifie sa stratégie d’achat. « Au terme de l’appel d’offres de 2022, Stihl et le suédois Husqvarna ont été sélectionné à parts égales », précise Anthony Mercier, chef du département achats et patrimoine de l’organisme gestionnaire de la forêt publique française. A l’échelle mondiale, Stihl reste toutefois, et de loin, la marque de tronçonneuse la plus vendue depuis 1971. Et l’ un des plus spectaculaires succès de ce Mittelstand que la France envie tant à l’Allemagne.

Les années fastes du Covid

Pas étonnant au regard de la longue tradition de qualité et d’innovation entretenue avec soin depuis près d’un siècle par les Stihl, la famille fondatrice, toujours propriétaire à 100 % du capital. Sa recette pour durer ? Avoir toujours privilégié le réinvestissement des profits à de trop généreux dividendes. Les années Covid ont largement conforté ce leadership en incitant les particuliers à redécouvrir les plaisirs du jardinage à la faveur des différents confinements.

Bien connu pour ses tronçonneuses, le groupe souabe a également développé depuis les années 1980 une vaste palette d’outils d’entretien motorisés pour les jardins et autres espaces naturels, depuis la débroussailleuse jusqu’à la tondeuse en passant par le coupe-haie ou le souffleur de feuilles, avec la volonté de rendre sa marque accessible à tous.

Nikolas Stihl, président du conseil de l'entreprise et petit-fils du fondateur. 

Nikolas Stihl, président du conseil de l’entreprise et petit-fils du fondateur. © Michael Englert pour Les Echos Week-End

Résultat, « entre 2019 et 2022, les ventes ont bondi de près de 45 %, à 5,5 milliards d’euros », souligne, tout sourire, au siège de l’entreprise, à Waiblingen, au coeur des vignobles de la région de Stuttgart, Nikolas Stihl, l’actuel président du conseil. « Une croissance relativement forte dans un temps très rapide », poursuit, très affable, le petit-fils du fondateur, qui a fait ses armes sur le terrain en gérant l’intégration de la marque allemande d’outils de jardin Viking.

Un solide ancrage en Allemagne

Entretenu de longue date, ce solide ancrage local a fait sa fortune à l’export, selon une recette largement éprouvée par d’autres fleurons du Mittelstand comme Würth, le champion européen des vis et des boulons, ou Miele , la Rolls de l’électroménager. Si l’Allemagne absorbe encore un bon tiers des investissements annuels et représente plus d’un quart de ses effectifs, le marché intérieur ne contribue plus qu’à hauteur de 10 % aux ventes du groupe ! Et cette ouverture vers l’international ne date pas d’hier.

Dès 1931, Andreas Stihl part prospecter le marché russe. Et sept ans plus tard, l’Amérique du Nord, où il écoule sans problème toute sa cargaison avant même la fin de son voyage. « La petite histoire raconte qu’il n’a pas hésité à revenir sur la côte Est récupérer une machine déjà vendue pour la rapporter à un client californien qui ne pouvait pas attendre », raconte, le regard amusé, son petit-fils de 62 ans. La guerre va brutalement mettre un terme aux ambitions de son aïeul, qui fera même de la prison de 1945 à 1948 en raison de ses liens étroits avec le régime hitlérien (1). C’est sous la houlette de ses enfants, Hans Peter et Eva, qu’il appelle à ses côtés à partir de 1960, que l’internationalisation s’accélère. Avec pour fer de lance le lancement en 1959 de la Contra, une tronçonneuse sans engrenage, donc plus légère, plus efficace et utilisable dans toutes les positions sans réglage manuel.

Le défi de la transition énergétique

Le lien fort avec l’Allemagne reste toutefois un atout maître dans une bataille à la fois technologique et d’image. Dernier exemple en date, un investissement de pas moins de 100 millions d’euros dans le Stihl Brand World, à l’entrée du siège, au bord de la paisible et ombragée rivière Rems. Bardé de lattes sombres, l’immeuble abrite à la fois un centre de réception et un musée retraçant les grandes étapes de l’histoire de l’entreprise depuis la première tronçonneuse près de deux fois plus légère que la concurrence conçue par Andreas Stihl, sans oublier la brève diversification dans les tracteurs dans les années 1950 ou encore le karting et ses petits moteurs dans les années 1970. Jusqu’à la dernière génération de batteries portables… « Un écrin pour recevoir dignement deux jours chaque année 2000 de nos revendeurs », souligne Nikolas Stihl.

Sur une ligne d'assemblage des tronçonneuses.

Sur une ligne d’assemblage des tronçonneuses.© Michael Englert pour Les Echos Week-End

Si la fin de la pandémie s’est accompagnée de la reprise des loisirs hors domicile et de tensions inflationnistes, 2023 s’annonce comme « un nouvel exercice record après les chiffres du premier semestre, avec l’achat par la clientèle professionnelle de produits à plus forte valeur ajoutée », indique Nikolas Stihl. A raison de 400 millions d’euros, les investissements seront du même ordre que l’année précédente, l’entreprise veillant à conserver sa prééminence avec de nouvelles capacités de production et de distribution, tout en relevant le défi du changement climatique. Car, comme bien des secteurs, l’industrie de l’outillage portatif, qui pèse quelque 25 milliards d’euros de ventes l’an dans le monde, est sérieusement bousculée par la transition énergétique.

A l’instar de l’automobile, Stihl et ses pairs ont largement entamé leur mue vers l’électrique depuis une quinzaine d’années. Mais, contrairement à ses rivaux, le numéro 1 mondial de la tronçonneuse a choisi d’emblée d’intégrer l’assemblage des batteries plutôt que de dépendre de fournisseurs extérieurs. Dans l’optique de mieux contrôler qualité et fiabilité. Un véritable leitmotiv de l’entreprise depuis sa création en 1926 dans le Bade-Wurtemberg. Cette même volonté d’indépendance a conduit le groupe à se doter dès 1970 de sa propre fonderie au magnésium ou encore à consacrer 40 millions d’euros à la construction d’un centre d’ingénierie pour développer ses propres machines-outils, raconte le journaliste Waldemar Schäfer (1).

Accompagner l’essor des outils à batterie

A Waiblingen, où l’entreprise s’est relocalisée en 1944 après le bombardement de son site historique voisin de Bad Cannstatt, une nouvelle ligne de production de batteries portables est en phase de tests. Pour y accéder, il faut équiper ses chaussures de languettes antistatiques et retirer tout bijou métallique afin d’éviter les risques de courts-circuits. Derrière une paroi vitrée, des piles plates de 10 cm de long sur 2,5 cm de large défilent rapidement sur un convoyeur avant d’être regroupées par paquet de 20 et placées dans un coffret portable de 2 à 5 kg, le tout avec le concours de cinq robots collaboratifs. L’automatisation des tâches de l’usine, qui assemble depuis 2019 des packs de piles cylindriques, n’empêche pas la vérification manuelle et visuelle à intervalles réguliers le long de la chaîne. Cette ligne complète des capacités existantes non seulement en Allemagne, mais également dans le Tyrol et aux Etats-Unis.

Assemblage de batteries électriques. 

Assemblage de batteries électriques. © Michael Englert pour Les Echos Week-End

Stihl fait feu de tout bois avec ses partenaires industriels et chimiques pour rester à la pointe et développer chaque année une batterie plus puissante tout en élargissant sa gamme de produits électriques. « A l’horizon de 2035, nous aurons converti 80 % de notre portefeuille », affirme Holger Lochmann, le patron de l’innovation. Un sacré bond en avant par rapport à une moyenne actuelle de 20 %. Ce score recouvre toutefois « des réalités très différentes, selon les géographies et les usages », tempère Holger Lochmann, qui a rejoint l’entreprise en 1997 et joue un rôle moteur dans la définition de la réglementation du secteur en Europe au sein de son association professionnelle. Si l’Allemagne et l’Europe en général ont déjà atteint la parité avec les moteurs à combustion, l’Amérique du Nord ou l’Amérique du Sud s’inscrivent bien en deçà. Ce décalage s’explique pour les Amériques par une part prépondérante de la clientèle professionnelle et des distances trop longues entre les lieux d’utilisation et les infrastructures de recharge des batteries disponibles.

Des moteurs thermiques plus propres

Pour satisfaire ces différents besoins, Stihl continue à investir dans des moteurs à combustion plus performants, plus propres, plus silencieux et plus ergonomiques, en attendant la mise au point de batteries plus performantes. Dans sa quête de carburants alternatifs, il se heurte toutefois à la difficulté de mise en place d’une filière suffisamment robuste. « Brevetée pour la première fois en 2007 aux Etats-Unis, en Allemagne et en France, la formulation du carburant MotoMix, composé partiellement de biomasse, a été améliorée plusieurs fois », raconte Stefan Schweiger, dans le laboratoire de chimie du centre d’innovation de Waiblingen. La version lancée en 2022 en comporte 10 %, mais encore faut-il s’assurer de la disponibilité des matières premières, issues des goudrons de la transformation du bois en papier en Scandinavie. « Il nous a fallu des années pour trouver un fournisseur capable d’assurer la livraison de volumes suffisants », explique le chercheur, en démontrant, un bécher à la main, la différence d’émissions entre ce nouveau carburant et le précédent.

Créé dès le début des années 1990, le département chimie compte aujourd’hui une dizaine de salariés sur quelque 120 personnes regroupées dans le centre d’innovation. « En 2024, 20 à 25 % de nos produits seront conçus pour fonctionner avec du MotoMix Eco, sachant que les outils existants peuvent également l’utiliser », ajoute-t-il. Avec le budget et le personnel R&D les plus conséquents de son industrie, Stihl entend bien rester le champion du secteur.

(1) Waldemar Schäfer, « Stihl. From an Idea to a World Brand », éd. Schäffer-Pöschel, 2006.

Un solide contrôle familial

Près de cent ans après sa fondation, Stihl est toujours contrôlée par la famille éponyme. En 1998, dans la perspective de son départ en retraite à 70 ans, Hans Peter Stihl a pris soin de conforter les règles régissant les intérêts du «clan», représenté au capital aujourd’hui par 22 descendants. La structure juridique de l’entreprise a été revue pour séparer le management de la propriété du capital. Seuls les descendants directs du fondateur peuvent hériter, excluant ainsi les pièces rapportées. Si l’un d’eux veut se retirer, il doit d’abord offrir ses titres aux héritiers de la même branche familiale. Une organisation inspirée de celle adoptée à l’époque par les familles Porsche et Piëch pour leur société automobile. En échange, le rôle du conseil a été renforcé. Lorsqu’il quitte ses fonctions opérationnelles en 2002 pour la présidence du conseil et du conseil de surveillance, Hans Peter Stihl les confie à un manager externe plutôt qu’à l’un des représentants de la troisième génération. Si le premier successeur désigné en interne n’a pas fait long feu – une erreur de casting -, le deuxième recrutement a été le bon. Venu de Bosch, un autre fleuron du capitalisme industriel familial allemand, l’ingénieur Bertram Kandziora a donné une tout autre envergure au roi de la tronçonneuse, triplant son chiffre d’affaires au cours de ses vingt ans de gestion. Quand il a atteint la fin de son mandat, à 66 ans, fin 2021, le passage de relais s’est effectué cette fois-ci sans heurt avec Michael Traub, mais rien n’interdisait le retour aux manettes d’un Stihl. Economiste, Michael Traub a également effectué toute une partie de sa carrière chez Bosch et à l’international. Des atouts certains pour continuer la bataille technologique et la conquête de nouveaux marchés.

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