Les Echos -Par Anne Feitz Publié le 24 sept. 2020
Deux ans après avoir racheté Aluminium Dunkerque, l’homme d’affaires vient de signer deux nouvelles acquisitions dans l’Hexagone, Ascoval et l’usine de rails d’Hayange. Revendiquant 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires et 35.000 salariés dans le monde, la nébuleuse qu’il est en train de bâtir dans l’industrie décarbonée comporte encore de nombreuses zones d’ombre.
Diplômé de Cambridge, Saanjeev Gupta a fait fortune dans le négoce avant de se lancer dans l’industrie, à partir de 2013.
Petit à petit, Sanjeev Gupta se forge un nom dans l’Hexagone. Le milliardaire anglo-indien vient à nouveau de frapper fort, en reprenant à la barre du Tribunal de Commerce de Strasbourg deux sociétés devenues emblématiques des efforts des pouvoirs publics pour réindustrialiser la France : l’aciérie nordiste Ascoval et l’usine de fabrication de rails d’Hayange (France Rail Industry), en Moselle. Bercy a donné son accord mi-août et les deux acquisitions devraient être finalisées dans les semaines qui viennent.
Ces reprises rallongent la liste des entreprises détenues en France par Sanjeev Gupta et sa famille, au sein de la nébuleuse GFG Alliance (Gupta Family Group). L’homme d’affaires, qui va fêter ses 49 ans dans quelques jours, s’est fait connaître dans l’Hexagone début 2018 en reprenant Aluminium Dunkerque , la plus grande fonderie d’aluminium d’Europe, un ancien fleuron de Pechiney passé ensuite dans le giron de Rio Tinto.
Depuis, il enchaîne : il a racheté deux équipementiers automobiles dans le Poitou (Saint-Jean Industries Alu et Fonderies du Poitou), un fabricant de jantes en aluminium à Châteauroux ( AR Industries ), un carrossier industriel (Durisotti). Et aujourd’hui, Ascoval et France Rail Industry, avec donc la bénédiction du gouvernement.
Bâti à marche forcée
L’Alliance GFG est pourtant loin d’avoir pignon sur rue. Constitué d’une agglomération d’entreprises indépendantes les unes des autres, sans comptes consolidés audités, le « groupe » de Sanjeev Gupta est même plutôt réputé pour son opacité .
L’empire Gupta, une nébuleuse de centaines de sociétés indépendantes
Il faut dire qu’il s’est bâti à marche forcée, en quelques années. Né dans une famille d’industriels au Pendjab dans le nord-ouest de l’Inde, le diplômé de Cambridge a fait fortune dans le négoce avant de se lancer dans l’industrie, en 2013. Après la première aciérie en difficulté, rachetée au Royaume-Uni en 2014, suivra toute une série d’acquisitions, « des centaines », affirme Sanjeev Gupta, lors d’un entretien avec « Les Echos ». Outre-Manche, mais aussi en Australie, aux Etats-Unis, en Europe. Au total, 2,5 milliards d’euros ont ainsi été investis dans des acquisitions majeures. Parfois, avec un effet de levier : l’acquisition d’Aluminium Dunkerque pour 500 millions de dollars a été financée à 80 % par endettement.
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Aujourd’hui, GFG revendique 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires dans 30 pays et 35.000 salariés, qu’il vient de structurer autour de trois marques : Liberty Steel pour l’acier, Alvance pour l’aluminium (basée à Paris) et Simec pour l’énergie – auxquelles s’ajoutent des activités dans la finance ou l’immobilier. Et ce n’est pas fini : Alvance projette par exemple de tripler de taille dans les trois ans à venir, via de nouvelles acquisitions.
Déjà un petit empire, qui conduit les observateurs à comparer Sanjeev Gupta à son aîné Lakshmi Mittal. Une comparaison qu’il récuse toutefois. « A chacun son modèle, et ses recettes. Ce que nous cherchons à faire ce n’est pas de devenir numéro un mondial, mais à créer de la valeur là où c’est possible », expliquait-il aux « Echos » il y a deux ans.
Leader de l’industrie décarbonée
« Notre stratégie est claire, dit-il aujourd’hui. Dans nos trois branches, nous voulons bâtir des filières intégrées, leaders de l’industrie décarbonée ». Dans la sidérurgie par exemple, Liberty Steel veut se concentrer sur la production d’acier à partir de matières premières recyclées, en utilisant de l’énergie verte. « Ascoval est à cet égard exemplaire, puisque son acier est produit non pas dans un haut-fourneau, mais dans un four électrique à partir de ferraille », relève Roland Junck, le président de Liberty Steel Europe.
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De même dans l’aluminium, « notre production n’émet que 2,5 kilos de CO2 par kilo produit, contre 15 à 20 en Chine et 8 en moyenne en Europe », insiste Guillaume de Goys, le COO d’Alvance, expliquant la bonne performance de l’usine de Dunkerque par le mix électrique décarboné de la France. GFG s’est fixé pour objectif d’être neutre en carbone en 2030.
Sanjeev Gupta assure que cette stratégie garantit la rentabilité du groupe. « Notre modèle est profitable », insiste-t-il. Alors que dans l’acier, par exemple, les géants Tata Steel et ThyssenKrupp cherchent plutôt à se retirer d’Europe, la conversion des vieux hauts-fourneaux (via des fours électriques ou d’autres technologies comme la réduction directe) doit permettre de maintenir une activité durable. Liberty Steel, qui a racheté fin 2018 les usines dont ArcelorMittal a dû se séparer pour acquérir l’italien Ilva (Ostrava en République Tchèque, Galati en Roumanie, ou encore Liège en Belgique et Dudelange au Luxembourg), a ainsi promis de les moderniser : il a annoncé en février dernier son intention d’investir, sur dix ans, 750 millions d’euros à Ostrava ou encore 1 milliard à Galati.
Pas d’accident industriel ou financier
« Sur le papier, cette stratégie « GreenSteel » est très cohérente, d’autant que le volume de ferraille recyclable est appelé à augmenter en Europe. Plusieurs aciéries rachetées auraient dû fermer sans Gupta. Et le modèle de mini-usine électrique, comme celle d’Ascoval, est plus efficace et plus rentable », commente le consultant Marcel Genet, fondateur de Laplace Conseil. « Mais la question qui taraude tout le monde, c’est « mais comment financent-ils tout ça ? » ».
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Une question lancinante, sans réponse claire jusqu’à présent. Cela inquiète les salariés même si, pour l’instant, GFG n’a pas subi d’accident industriel ou financier majeur. « Même en cas de difficulté, nous n’abandonnons pas. Nous faisons tout pour sauver les entreprises rachetées. Même si cela prend du temps, même s’il faut changer totalement d’activité », insiste Sanjeev Gupta.
Les 300 salariés de Fonderies du Poitou sauront à la fin du mois si l’homme d’affaires dit vrai : fournisseur de Renault, l’entreprise a vu ses commandes plonger avec la crise du coronavirus et craint aujourd’hui une fermeture pure et simple. « M. Gupta nous a dit en juin à Paris qu’il n’avait jamais fermé de société, et qu’il se donnait trois mois pour trouver une solution. Nous avons dû nous prononcer sur plusieurs solutions de diversification, nous attendons maintenant le verdict, d’ici à mi-octobre », explique Serge Rioult, le délégué CFE-CGC de l’entreprise.
Dette d’acquisition
Dans le passé, GFG n’a pas toujours tenu ses promesses. Cela s’explique parfois par la conjoncture, plus mauvaise que prévu, mais pas seulement. Pour l’emporter à Dunkerque, le milliardaire avait, par exemple, mis en avant son intention d’investir 2 milliards d’euros dans l’usine : une somme comprenant, outre l’acquisition de la fonderie pour 500 millions de dollars, sa modernisation, et surtout le développement d’une filière aval via la construction d’un nouveau laminoir.
« Ces investissements majeurs n’ont pas été effectués », témoigne David Pascal, délégué CFE-CGC sur le site. Le syndicaliste reconnaît toutefois que, même si les bénéfices du site servent en grande partie au remboursement de la dette d’acquisition, « les choses se passent plutôt bien ». La société a même recruté une vingtaine de personnes depuis qu’elle a changé de mains, il y a un peu moins de deux ans. « Par ailleurs, Liberty est en train de racheter Duffel , un laminoir en Belgique, confirmant sa stratégie d’intégration aval », poursuit-il.
Une acquisition à « plusieurs centaines de millions d’euros », qui devrait être finalisée « dans les semaines à venir », confirme Guillaume de Goys. « Nous avons préféré racheter ce laminoir plutôt que d’en construire un nouveau, ce qui aurait en outre rajouté des capacités en Europe. Quant à l’usine de Dunkerque, nous y avons investi 40 millions de dollars par an, ce qui n’est pas négligeable », poursuit le dirigeant.
Sanctions administratives
Les salariés d’Ascoval, qui ont été ballottés ces dernières années, croisent les doigts. Liberty Steel doit apporter à l’aciérie les volumes supplémentaires qui lui permettront de réduire ses prix de revient et d’assurer sa survie. Et s’est engagé à investir 65 millions d’euros supplémentaires d’ici à la fin de l’année.
Les pouvoirs publics restent vigilants. « Nous avons mis des conditions à notre feu vert, sur la R & D, le plan de charge, les conditions financières. Avec des leviers juridiques pour réagir si elles ne sont pas respectées », explique la ministre de l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher, aux « Echos », évoquant notamment des cessions d’actifs ou des sanctions administratives. « GFG est un groupe qui a de grandes ambitions, c’est leur réputation qu’ils risquent s’ils ne respectent pas leurs engagements ! ».
il fallait se renseigner avant ces rachats sur les Gupta
un môme de 5 ans aurait surement eu plus de jugeotte