Jiang Yiyan et Duan Yihong, entre polar et romance. ZOOM
En 1997, dans une ville industrielle du sud de la Chine, on chante encore les louanges de l’entreprise d’État. Mais à quelques mois de la rétrocession de Hong Kong, on les chante sous la pluie. Une pluie sans fin, comme l’indique le titre du film de Dong Yue qui cherche à plonger le spectateur dans le bain d’une Chine en pleine mutation.
Une quête obsessionnelle
Employé modèle, le chef de la sécurité de l’usine, Yu Guowei, dont le flair fait l’admiration de ses collègues et supérieurs, propose ses services à la police, quelque peu dépassée par l’affaire. Snobé par les enquêteurs patentés, il mène sa propre investigation, y sacrifiant peu à peu tout son temps libre. La fermeture brutale de la manufacture et une idylle naissante semblent le détourner pour un temps de sa quête obsessionnelle. Il n’en est rien…
Formidablement interprété par l’acteur chinois Duan Yihong, qui impose une présence d’abord physique avant de s’effacer pour devenir fantomatique, Yu est marqué par la fatalité de son destin, comme tous les héros de films noirs.
On pense à Seven, de l’Américain David Fincher, qui partage la même atmosphère poisseuse et pluvieuse, mais aussi à Memories of Murder, du Coréen Bong Joon-ho, pour l’évocation d’un pays en pleine transition politique, ou encore au film A Touch of Sin, du Chinois Jia Zhangke, dans lequel la brutalité des développements économiques renvoie à celle des actes de violence qu’ils provoquent.
« A Touch of sin », portrait d’une Chine violente
Quand la course à la productivité frappe la ville, la masse compacte de travailleurs se disloque, perdue dans le labyrinthe industriel de la manufacture. Une poursuite échevelée, séquence d’anthologie de plus de dix minutes, se déroule sur les coursives et les échelles de ce dédale de fer et de poussière. Dong Yue les cadre avec soin pour témoigner de ces lieux dont la fonction même a été oubliée. Dans un pays où l’on détruit et construit à tour de bras, les habitants perdent vite la mémoire.
Amnésie généralisée
C’est pour souligner cette amnésie généralisée que le cinéaste a conçu une structure narrative prise entre deux temporalités. Enchâssé dans un long flash-back, le récit principal ressemble a posteriori à un examen de conscience du personnage principal, revenant sur les lieux dix ans plus tard. Yu prend alors conscience qu’il a manipulé la femme qui l’aimait de la même manière que le système qu’il chérissait s’est joué de lui.
Mais la greffe de cette romance ne prend pas, le film hésitant entre les différents genres, polar, comédie sentimentale et chronique politique, sans savoir lequel choisir. Une pluie sans fin n’en reste pas moins un premier film prometteur qui s’est vu décerner le prix du Festival international du film policier de Beaune, un an après Le Caire confidentiel, polar sur la face cachée de l’Égypte prérévolutionnaire et succès surprise de l’été dernier.