Relocalisation, décarbonation : « Le gouvernement ne fait pas de chèque en blanc aux industriels » déclare le ministre de l’Industrie
Le ministre de l’Industrie, Roland Lescure, pointe dans une interview aux « Echos » les risques qui pèsent sur la réindustrialisation en France, et proclame la poursuite de l’accompagnement de l’Etat dans la stratégie de décarbonation des entreprises et le prochain projet de loi Industrie verte.
Par Ninon Renaud, Marie Bellan – LES ECHOS
Reconduit au gouvernement avec un portefeuille élargi à la tête du ministère de l’Industrie et de l’Energie, Roland Lescure affirme être plus que jamais décidé à accélérer le tempo de la réindustrialisation. Malgré les vents contraires.
Vous entamez un nouveau mandat à la tête du ministère de l’Industrie dans une période moins euphorique pour le secteur qu’il y a deux ans. La réindustrialisation est-elle menacée ?
Le ralentissement est indéniable mais nous ne sommes pas à l’arrêt, il y a toujours plus d’ouvertures que de fermetures d’usines. Il y a eu 200 créations nettes d’usines en 2021 et 2022. Paris est devenu un point de passage obligé pour les dirigeants d’entreprises étrangères en quête de nouvelles implantations.
Aujourd’hui, 37 % des projets de construction d’usine sont des projets d’industrie verte. Autrement dit, la transition écologique est aussi synonyme de réindustrialisation. En revanche, le ralentissement est indéniable et la conjoncture ne nous facilite pas les choses. J’entends les inquiétudes des industriels, mais cette inquiétude doit être source de détermination et non de défaitisme. La révolution verte et industrielle est en marche.
Le sauvetage récent du groupe ferroviaire Valdunes est symbolique de votre action ces dernières semaines. Vous agissez davantage en pompier qu’en architecte de la réindustrialisation…
Nous avons trouvé un repreneur pour Valdunes et nous n’aurions pas mis 14 millions dans la balance si nous n’avions pas confiance dans la viabilité du projet de son repreneur. En parallèle, quand nous nous mobilisons aux côtés d ‘Arcelor à Dunkerque ou dernièrement pour soutenir la construction d’un électrolyseur au Havre afin de décarboner le producteur d’engrais Yara à l’origine de 1 % des émissions de gaz à effet de serre de la France, nous accélérons le mouvement d’une réindustrialisation décarbonée.
Il y a une industrie à deux vitesses en France, avec des secteurs comme la chimie qui souffrent et d’autres comme l’aéronautique qui sont en plein boom. Nous sommes attentifs à ces deux ensembles, nous n’oublions personne.
Les entreprises demandent plus de moyens pour tenir le tempo de la décarbonation. La chasse aux dépenses budgétaires va-t-elle au contraire réduire les soutiens publics ?
La baisse de la fiscalité des entreprises est la garantie de leur compétitivité et les 54 milliards d’euros de France 2030 sont de l’investissement. Ce qu’il va falloir réduire, ce sont les dépenses. Le président de la République s’est en outre engagé en novembre 2022 à doubler l’enveloppe consacrée à la décarbonation des 50 sites les plus émetteurs de gaz à effet de serre si ces derniers parvenaient à réduire de 50 % leurs émissions. On est ici dans le domaine de l’existentiel, pas du conjoncturel : ces sites représentent 60 % des gaz à effet de serre en France, il faut le faire mais c’est du donnant-donnant avec les entreprises.
Que voulez-vous dire ?
On ne réussira pas la réindustrialisation sans les industriels, nous n’abandonnerons personne mais nous ne faisons pas de chèque en blanc non plus. Il n’y a pas d’effet d’aubaine avec France 2030, tout est négocié rigoureusement et validé par la Commission européenne. Conditionner les aides à la réalisation des investissements et des objectifs de décarbonation est d’autant plus logique que nous maîtrisons les technologies nécessaires.
Ces technologies sont souvent onéreuses et les taux élevés…
Décarboner l’industrie n’est pas cher, cela correspond à 30 à 40 euros par tonne de carbone évitée, contre 350 à 400 euros par tonne dans le logement. Le modèle de contractualisation que nous avons déployé sur les 50 sites les plus émetteurs , nous le répliquons à d’autres domaines. C’est le cas pour l’eau , le plastique mais aussi le foncier avec les sites clés en main dont nous publierons une liste dans les prochaines semaines.
Les entreprises sont devenues très sensibles à propos de leur facture d’électricité. Face à la baisse sensible des prix de marché, ne faut-il pas déjà modifier le mécanisme sur le nucléaire régulé négocié avec EDF fin 2023 ?
Au contraire, je veux dire aux industriels : saisissez-vous de ce mécanisme qui va vous permettre d’avoir une visibilité à long terme sur les prix ! Ne pas le faire, c’est avoir la mémoire courte. La crise énergétique a montré combien les prix peuvent s’envoler. Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras et j’engage aussi EDF à accélérer la cadence pour signer ces contrats.
Être chef d’entreprise, c’est prendre du risque et l’Etat ne peut l’évacuer mais nous avons posé le cadre pour garantir qu’il y aura de l’électricité à des prix acceptables.
Les industriels manquent aussi de visibilité sur la tarification de la tonne de carbone pour investir…
J’en suis conscient et nous allons publier notre stratégie sur l’hydrogène et la capture de carbone avant l’été. L’impatience des entreprises est un bon signal, elle montre qu’elles vont plus vite que nous. Air Liquide est en train notamment de devenir un champion mondial de l’hydrogène et de la capture de CO2, c’est exceptionnel. La lame de fond est à l’oeuvre et elle va payer.
Les entreprises se plaignent aussi de la surcharge administrative que font peser certaines réglementations, comme le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) ou la nouvelle CSRD… Que leur répondez-vous ?
Le MACF rajoute plutôt de la justice dans la compétition internationale mais il faut en effet le compléter en élargissant son champ d’application. Je suis aussi conscient de la lourdeur des tâches administratives, nous allons les alléger. Nous travaillons sur la loi « industrie verte » II afin de simplifier les accès aux aides, raccourcir les délais et accompagner davantage les acteurs dans leurs décisions d’investissement quelle que soit leur taille. Rome ne s’est pas fait en un jour et la révolution industrielle en cours non plus, mais je suis confiant.