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Par : piwi
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vendredi 26 Jan, 2024
Catégorie : Actu flash

La plaque d’égout, chef-d’oeuvre en péril

Produits iconiques de Pont-à-Mousson, les plaques d’égouts Pamrex parsèment la chaussée de bien des capitales dans le monde. Mais victime d’une commande publique française en berne, la filiale de Saint-Gobain se cherche un nouveau destin.

La plaque d'égout Pamrex de Saint-Gobain Pont-à-Mousson s'est vendue dans plus de 100 pays en quarante ans.
La plaque d’égout Pamrex de Saint-Gobain Pont-à-Mousson s’est vendue dans plus de 100 pays en quarante ans. (© Sarah Aubel pour Les Echos Week-End)

Par Stefano Lupier     Publié le 25 janv.

Dans la fonderie Saint-Gobain de Pont-à-Mousson (PAM), en Lorraine, qui abrite deux des six derniers hauts-fourneaux de France, le temps semble s’être arrêté. Le décor – une forêt anarchique de coursives métalliques, de tuyauteries et autres machineries de tout acabit – n’a pas dû beaucoup changer depuis un demi-siècle. En entrant dans ce vaste complexe qui s’étale sur 3 kilomètres, on est tout de suite saisi par une forte odeur de poussière de minerai. L’environnement est noyé dans une pénombre diffuse. Le spectacle de la fonte en fusion qui sort du haut-fourneau, destinée à mouler des tuyaux d’adduction d’eau et de plaques de voirie dont le groupe est l’un des leaders mondiaux, n’en est que plus saisissant.

En ce jour pluvieux de décembre, l’une des chaînes de production de « tampons » pour la chaussée, qui existent compte près de 2.500 références, est justement dédiée au moulage d’un des produits iconiques de l’entreprise : les plaques d’égout Pamrex. « Nous avons inventé et breveté un système de charnière qui permet à l’égoutier d’ouvrir ce couvercle avec six fois moins d’efforts pour ses lombaires », souligne Arnaud Cuny, directeur du marketing de l’activité voirie.

Plaques personnalisées

Depuis quarante ans, Pont-à-Mousson en a vendu 3 millions d’exemplaires dans plus de 100 pays. Ils ne sont pas nombreux, les produits industriels français à pouvoir se prévaloir d’un tel succès planétaire ! Qui ne se dément toujours pas. « On a été souvent copiés mais jamais dépassés », assure Arnaud Cuny.

Une plaque Pamrex conçue pour le siège de l'ONU, à New York, ornée du logo de l'organisation, exposée sur le site de Saint-Gobain PAM. 

Une plaque Pamrex conçue pour le siège de l’ONU, à New York, ornée du logo de l’organisation, exposée sur le site de Saint-Gobain PAM. © Sarah Aubel pour Les Echos Week-End

Depuis quelques années, l’entreprise a même développé une offre de personnalisation. Car, d’objets fonctionnels issus de l’industrie lourde, la plaque d’égout et tous les autres tampons en fonte qui parsèment la chaussée en donnant accès à des réseaux d’eau mais aussi de gaz, électricité ou télécommunications, commencent à être considérés comme des éléments de mobilier urbain. Qui participent au cachet d’un centre-ville ou d’un lieu.

Les exemples font florès. Au Caire, Pont-à-Mousson a livré des tampons imprimés avec une palme. Autour du siège des Nations Unies, à New York, les plaques reprennent le logo de l’organisation. La ville de Lisbonne n’a pas hésité à commander une série avec les douze principaux monuments de la cité. Une autre manière de sensibiliser les habitants à l’importance de la lutte contre la pollution de l’eau.

Street art et déclinaisons de couleurs

La France n’est pas en reste. Chartres est en train d’installer des Pamrex marquées au sceau du labyrinthe de la cathédrale. Nancy a demandé, dans le cadre d’un projet de street art, à des créateurs comme Alëxone d’imaginer des tampons originaux pour le centre-ville. Particularité supplémentaire, ils arborent tous une teinte gris granite.

Les plaques sont moulées dans la fonte en fusion sortant de l'un des derniers hauts-fourneaux de France.

Les plaques sont moulées dans la fonte en fusion sortant de l’un des derniers hauts-fourneaux de France.© Sarah Aubel pour Les Echos Week-End

Car, depuis quelques années, tous ces objets sont aussi déclinables en couleurs. La commune d’Hossegor est en train d’en installer toute une collection en beige. En Ile-de-France, les exploitants de la ligne de tram T10 ont choisi le rouge. Tandis qu’à l’ONU, on a opté pour le… bleu.

Ce phénomène de personnalisation va au-delà des objectifs marketing du groupe. Désormais, certains street-artistes n’hésitent pas à s’approprier ces petits bouts de chaussée en fonte pour les customiser avec toutes sortes de motifs. Une tendance parfois accompagnée par des municipalités pas mécontentes d’égayer ainsi leurs centres (lire en encadré). Pour favoriser la diversité des demandes, Pont-à-Mousson s’est doté d’un atelier de conception assistée par ordinateur (CAO) où travaillent une dizaine de personnes. Qui aurait pu imaginer que notre champion national de la plaque d’égout allait prendre un tel virage « design » ? Obtenant même pour ces produits la certification « Origine France Garantie ».

Chute de la commande publique

Pour autant, toute cette effervescence créative masque une situation industrielle et commerciale beaucoup moins reluisante. A la fin de l’été dernier, le site de Pont-à-Mousson a même dû se mettre en chômage partiel pendant trois semaines pour faire face à une forte chute d’activité.

L'usine de Saint-Gobain Pont-à-Mousson (ici le 17 janvier 2024) emploie 2.000 personnes. 

L’usine de Saint-Gobain Pont-à-Mousson (ici le 17 janvier 2024) emploie 2.000 personnes. © Sarah Aubel pour Les Echos Week-End

Voici déjà une quinzaine d’années que cette filiale de Saint-Gobain, absorbée en 1970, est en perte de vitesse. La fabrication de couvercles de voirie n’est en effet qu’une activité secondaire pour l’entreprise, dont elle ne représente que 10 % du chiffre d’affaires total (1,2 milliard d’euros en 2022). Les deux hauts-fourneaux du site sont surtout dédiés à la production de tuyaux en fonte pour l’adduction d’eau, qui représente 70 % du business.

Mais, dans les deux cas, l’activité est dépendante de la commande publique. Qui, en France, a accusé une forte chute. « En quinze ans, les investissements dans les réseaux d’eau ont été divisés par deux », indique Jérôme Lionet, directeur général Saint-Gobain PAM. En 2008, l’entreprise tournait encore en 3×8 et produisait 850.000 tonnes de fonte. Aujourd’hui, l’un des deux hauts-fourneaux a été mis en sommeil. Et la production est tombée à 400.000 tonnes.

Concurrence asiatique

Après avoir longtemps été une source de profit pour le groupe, l’entreprise s’est peu à peu enfoncée dans le rouge. Une dérive accentuée par l’arrivée d’ une nouvelle concurrence asiatique low cost . Et un sous-investissement dans l’appareil productif.

Son sort a bien failli être réglé en 2019 par une cession à l’un de ses principaux concurrents, le chinois XinXing. « La direction cherchait un partenaire industriel plus proche de la sidérurgie et de la métallurgie », explique Jérôme Lionet. A l’époque, Bruno Le Maire n’hésite pas à dire qu’« il n’existe pas d’opposition de principe à un investisseur étranger avec un projet industriel crédible ». Mais la mobilisation locale fait capoter le plan. On ne se débarrasse pas comme ça d’un survivant de l’industrie lourde française !

Douche écossaise

Du coup, le groupe est contraint de réinvestir. Quelque « 200 millions ont déjà été injectés depuis 2018 », précise le directeur général, nommé en 2021 après avoir dirigé la branche des usines de verre en Europe. Un nouveau four électrique a notamment été mis en fonction. L’arrivée de Jérôme Lionet coïncide avec un redémarrage de l’activité après la crise du Covid : +15 % en 2021, +10 % en 2022… Les affaires semblent reparties ! PAM se remet même à embaucher.

Et puis c’est à nouveau la douche froide. La guerre en Ukraine entraîne la flambée du coût des matières premières et de l’énergie. Et celle des taux d’intérêt. « En 2023, le coût de financement d’un projet pour une collectivité a augmenté de 20 % », précise Jérôme Lionet. De fait, l’activité est à nouveau en chute de 20 %.

Sur la chaîne de production peuvent être moulées près de 2.500 références de plaques différentes.

Sur la chaîne de production peuvent être moulées près de 2.500 références de plaques différentes.© Sarah Aubel pour Les Echos Week-End

« Désormais, nous devons faire face à des cycles de plus en plus courts », souligne le dirigeant. Mais il ajoute : « Nous sommes confiants pour le futur, car les besoins de modernisation des réseaux d’eau explosent. » Encore faut-il que les investissements suivent… Alors que l’Italie et l’Espagne ont débloqué respectivement 4 milliards et 2,5 milliards d’euros, l’enveloppe du Plan eau français est estimée à 400 millions. « Aujourd’hui, la France, qui représente 50 % de notre activité, investit la moitié de ce qu’elle devrait pour maintenir le réseau en état », dénonce Jérôme Lionet.

L’entreprise est donc obligée d’aller chercher la croissance où elle se trouve. Elle vient de remporter un marché de 600 km de tuyaux pour un aqueduc dans les Pouilles. Et se diversifie aussi vers l’industrie. PAM s’est ainsi fait certifier par EDF pour les réseaux de circulation d’eau des centrales nucléaires. Elle vient aussi d’installer le réseau de sécurité incendie de la gigafactory de Verkor à Dunkerque. Ainsi que celui, hautement sensible, de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Relais de croissance

A chaque fois que des tuyaux sont posés, il faut souvent placer des ouvertures avec des tampons pour accéder au réseau. Comme dans les nouveaux lotissements. Mais l’activité voirie bénéficie aussi d’un marché ad hoc. En particulier lorsqu’on refait la chaussée et qu’on est obligé de tout casser. « La nouvelle législation sur l’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite, qui proscrit les plaques d’évacuation d’eau de pluie avec des ouvertures supérieures à 20 mm, favorise aussi le renouvellement du matériel », indique Arnaud Cuny.

Dans l'atelier de contrôle qualité de Saint-Gobain PAM, le 17 janvier 2024. Chaque plaque Pamrex représente 55 kg de fonte.

Dans l’atelier de contrôle qualité de Saint-Gobain PAM, le 17 janvier 2024. Chaque plaque Pamrex représente 55 kg de fonte.© Sarah Aubel pour Les Echos Week-End

Pour autant, en Europe, les marchés de l’eau sont globalement matures. Pont-à-Mousson cherche donc aussi la croissance auprès des gestionnaires de réseaux télécoms, en particulier pour la fibre, qui sont aussi consommateurs de plaques d’accès. Un marché où il reste encore beaucoup d’opportunités.

Niches à valeur ajoutée

Pour faire face à la concurrence à bas coût, l’entreprise multiplie les niches à valeur ajoutée. La personnalisation des tampons n’est pas la seule option proposée. PAM a lancé il y a deux ans un modèle de plaque recouvert d’une résine antidérapante adoubé par les associations de cyclistes. La sécurité, c’est aussi la lutte contre les vols, qui se sont multipliés ces dernières années. Un simple tampon Pamrex représente en effet 55 kg de fonte. Et s’il disparaît, le trou laissé dans la chaussée devient une source potentielle d’accidents. « Nous avons conçu des systèmes de verrouillage qui servent aussi à empêcher le vol de câbles télécoms ou, encore plus sensible, l’accès à une centrale nucléaire. Un dispositif qui a été testé avec le GIGN », explique Arnaud Cuny.

Mais sans une vraie relance de l’activité en France, tous ces efforts risquent d’être vains. Et les prévisions pour 2024 ne sont pas fameuses. L’entreprise peut tout de même compter sur le soutien politique d’élus locaux comme Dominique Potier, qui était déjà en première ligne contre le projet de cession en 2019.

« Faire un choix clair »

Ce député PS a interpellé en septembre dernier Bruno Le Maire avec une liste de dix mesures à prendre pour redonner du souffle à Pont-à-Mousson et lui permettre de mieux lutter contre la concurrence asiatique. Création d’un « fonds bleu », nouveaux dispositifs de financement, conditionnement des aides à l’investissement, introduction des critères RSE dans les marchés publics, réciprocité commerciale… Il n’en faut pas moins à ses yeux pour essayer de maintenir à flot ce fleuron de « l’école française de l’eau » qui emploie 2.000 personnes et fait travailler 5.000 sous-traitants.

Dominique Potier n’épargne pas non plus la direction du groupe. « Aujourd’hui, elle doit faire un choix clair. Soit elle investit davantage dans sa filiale, soit elle procède à une recomposition capitalistique. » Pour lui, une piste serait de « passer par un fonds de modernisation de l’appareil industriel auquel pourraient participer la BPI et les autres grands acteurs français de l’eau qui ont besoin d’un socle industriel performant. » Ce n’est pas encore dans les tuyaux, mais la sauvegarde d’un champion français est sans doute à ce prix.

Plaques d’artistes

Pour fêter les deux ans de sa réouverture, le musée des Egouts de la Ville de Paris a convié en octobre dernier une street-artiste atypique. A l’inverse de ses collègues « graffiteurs » qui s’attaquent aux murs des cités, Mélanie Rostagnat a choisi de customiser des plaques de voirie. Lancé en 2016, son projet « Les Trottoirs » vise à rendre plus convivial l’espace public. Quelque 40.000 personnes la suivent sur Instagram, où elle expose toutes ses créations. La ville de Vannes, dans le Morbihan, l’a invité au printemps dernier, dans le cadre d’un projet artistique, à décorer 30 plaques du centre-ville. Par nature éphémères, les dessins restent en place entre trois semaines et un an. Emergent en France, ce mouvement est bien ancré au Japon où ces plaques personnalisées ou customisées intéressent un public de collectionneurs qui peut même profiter de ventes ad hoc.

Stefano Lupieri

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