Esthétique et éthique, l’approche « low tech » en matière de connexion n’est pas une simple nostalgie, mais bien une proposition d’ouverture et de décroissance dans notre rapport aux technologies.
Il s’agit de faire écho au sujet des Matins, l’exposition « Noir et Blanc, une esthétique de la photographie », à la BnF. Un équivalent de cette pratique à la fois ancienne et contemporaine, dans la matière qui nous occupe, serait sans doute la « low tech ». Ainsi nommée par opposition à la high-tech.
La low-tech, c’est d’abord une esthétique. À laquelle on peut faire appel par nostalgie. Par exemple quand la firme Analogue pocket sort une console de jeu dont la forme et l’interface font objectivement penser à la Game Boy de Nintendo, la console vedette des années 90. Il y a de ça aussi quand Nokia ressort une copie de son modèle 3310 en 2017, alors qu’on est entré depuis longtemps dans l’âge des smartphones.
Le street artist Invader est aussi dans la mouvance. Invader a choisi son nom en fonction d’un jeu d’arcade des années 80, Space invaders, et sème dans les rues de Paris, d’Avignon, de Montpellier, de Los Angeles et d’ailleurs des mosaïques qui reprennent le graphisme pixélisé des personnages du jeu.
Mais derrière ce goût pour la référence et le vintage, il y a un message. La low tech, ce n’est pas que de vieilles recettes qu’on va chercher par nostalgie. Il y a dans la low tech une forme de frugalité, d’économie de moyens, d’efficacité, qui va bien avec l’exigence grandissante, y compris dans les technologies numériques, d’un mieux-disant écologique et énergétique. Et il y a aussi l’idée de la durabilité aussi : ça a été éprouvé, c’est robuste. Une anti-obsolescence programmée.
Je parlais de la réédition du Nokia 3310, qui était parmi les premiers téléphones portables. Quand cette réédition a eu lieu, c’était non seulement pour aller à contre-courant de l’hyperconnexion, mais aussi pour avoir un outil qui dure plus longtemps, dont la batterie par exemple est extrêmement performante.
Et puis dans la low-tech, il y a aussi l’idée de manipulation facile. D’ouverture du capot, en quelque sorte. C’est l’exemple des « fairphones », donc les smartphones réparables facilement, par morceaux. Certains partagent même leur code et leur plan, pour que vous puissiez vous fabriquer vous-même votre téléphone.
La low tech rapproche l’outil de l’utilisateur. La low tech est accessible. C’est aussi une histoire de rythme. On peut classer dans la low tech tout ce qui relève du « slow », du ralentissement. Par exemple, les penseurs de la ville d’aujourd’hui et du futur, évoquent volontiers la smart city, ville intelligente, optimisée, connectée, pilotée par des grilles de réseaux. Mais certains leur opposent la ville lente, la slow city. Slow City, c’est un mouvement né en Italie à la fin des années 90, et qui promeut le temps dans la ville, avec un axe clairement politique. Le temps, c’est le temps de concertation, le temps de la délibération.
La décroissance sans se débrancher
D’ailleurs, les flottes de vélo partagées (du type Vélib à Paris ou Vélov’ à Lyon), les flottes de scooters partagés, de voitures partagées, c’est aussi la logique low tech, et ça contribue à repenser la ville. Alphonse Allais disait : « On a beau dire, plus ça ira, et moins on rencontrera de gens ayant connu Napoléon« . Dans la matière qui nous occupe, on pourrait dire : « On a beau dire, plus ça ira et moins, on rencontrera de gens ayant connu les PC Thomson, la 2G, les journaux papier… »
Et ce qui est intéressant, c’est que la low-tech manifeste une connaissance ou une conscience de l' »avant » : avant l’écran dans la poche, avant l’omniprésence des réseaux, avant Google Maps pour se déplacer, avant la connexion omniprésente, avant l’abondance de l’information. Et la low tech permet encore de s’étonner de tout cela. Et de se donner finalement une possibilité de résister à l’injonction sourde « technovorace », de ne pas forcément attendre la 6G, après la 5G, et avant la 7G. On est clairement dans une forme de décroissance, mais sans se débrancher. Un rapport conscient aux objets plus ou moins connectés qui nous entourent.