L’Echo –
Jo Van Geert, fondeur d’art (à droite) en plein coulage d’une pièce d’une statue du Chat pour Philippe Geluck
Les statues monumentales du Chat de Philippe Geluck ont été réalisées par l’équipe de la fonderie d’art de Jo Van Geert à Alost. Un artiste autant qu’un artisan.
Le creuset à taille d’homme est la pièce maîtresse de l’atelier. Équipé d’un masque et de gants renforcés, un grand gaillard perché sur une plateforme, y glisse des lingots de bronze à l’aide d’une grosse pince. Lorsqu’il en referme le couvercle, le feu du bruleur se met à ronfler, assourdissant, crachant des flammes vertes par tous les interstices. Progressivement, la chaleur va monter à près de 1.200 degrés pour transformer les barres de métal en liquide orange vif.
Il faut attendre encore une bonne heure avant que le liquide soit à température. Le temps pour Philippe Geluck, auteur du Chat de faire la visite en compagnie de Jo Van Geert, le maître-fondeur. C’est lui et son équipe qui ont réalisé les statues monumentales du Chat, exposées d’abord aux Champs-Élysées à Paris, avant de tourner à Bordeaux, Caen actuellement, puis Genève et Bruxelles dans quelques mois. Casterman vient d’éditer une version augmentée du catalogue de cette exposition qui détaille chacune de ces œuvres accompagnées de dessins de Geluck.
Financement du Musée du Chat
Une vingtaine d’œuvres de près de 2 mètres de haut que Geluck a créées pour financer une bonne partie du Musée du Chat et du dessin d’humour qui doit s’ouvrir à Bruxelles. « J’ai perdu 2 mécènes importants, qui devaient m’apporter 2,5 millions. J’ai donc pris cette option de créer et de vendre des statues de très grande taille, en bronze, pour pallier cette défection », précise le créateur.
J’ai créé ces statues de très grande taille, en bronze, pour les vendre au profit du futur Musée du Chat et du dessin d’humour -PHILIPPE GELUCK
SCULPTEUR ET DESSINATEUR DU CHAT
Mais même s’il agit en grand professionnel de la communication qu’il est, souriant et gesticulant pour la galerie, Geluck fait vite et bien comprendre que la vedette du jour, ce n’est pas lui, mais le maître fondeur Jo Van Geert qui a réussi la prouesse de réaliser ces vingt sculptures en vingt mois.
Et son travail a tout lieu d’être mis en évidence. Toute l’équipe de la fonderie alostoise était d’ailleurs présente à Paris lors du vernissage en grande pompe. Jo van Geert, les moustaches à la Lemmy Kilmister, est un homme de l’art. Formé en sculpture à l’académie, il commence à travailler chez un voisin fondeur. Il ne sortira plus de cet antre d’Aedes.
4 coulées par an
« Il faut avoir beaucoup de respect pour le feu! C’est ce qui nous permet de travailler avec un minimum de protection lorsque nous coulons les pièces. » L’atelier effectue quatre coulées par an. Et lorsque Jo appelle toute son équipe pour l’opération qui reste toujours délicate, subitement, le silence se fait dans l’atelier, brisé seulement par les grincements du pont roulant et des bras qui permettent de manipuler le seau de métal en fusion. Chacun est à son poste, attentif.
Après avoir vérifié la température et retiré quelques scories de surface, le maître d’œuvre incline doucement le gigantesque creuset pour verser le liquide incandescent dans un autre de plus petite taille. Préposée à la manœuvre du pont roulant, Tess l’amène exactement où il faut pour que Jo et Théo versent le liquide dans les moules préparés. L’œil du maître évalue la quantité nécessaire en fonction du nombre de moules à remplir. Pas question de tomber à court pendant le versement, la pièce serait perdue. Et la matière est trop chère pour la gaspiller.
« Nous sommes des artisans parce que l’on reproduit l’œuvre du créateur. Mais des artistes aussi parce qu’on doit lire et comprendre sa langue.
JO VAN GEERT -FONDEUR D’ART
La coulée est évidemment la partie la plus spectaculaire de la réalisation de l’œuvre en bronze, mais l’essentiel du travail est autant en amont qu’en aval. Philippe Geluck modèle sa sculpture en terre d’une cinquantaine centimètres de hauteur. Cette œuvre première est scannée et reproduite à la taille finale par fraisage d’un bloc de polystyrène. Elle servira à fabriquer des moules en silicone des différentes parties de la statue. À partir de ces moules, Tess recompose l’objet entier en cire creuse. Dernière étape des différents moulages, la fabrication de moules en plâtre réfractaire autour des différentes pièces de cire. Ces sarcophages de plâtres seront cuits durant 14 jours à 600° ce qui fera évaporer la cire, dite perdue.
Après le moulage viennent la soudure des différentes pièces et le ciselage qui en gomme la moindre aspérité. Le bronze brossé, poncé et poli est alors couleur d’or. Il sera patiné, en vert de gris pour les statues du Chat.
Artiste ou artisan ?
Même si ce n’est pas la première fois qu’il assiste à l’opération, Geluck ne cache pas son émotion chaque fois renouvelée. « Je cherchais un fondeur dans le nord de l’Italie, où il y en a de très bons. Et puis Delphine Bo…, pardon de Saxe-Cobourg, m’a renseigné Jo Van Geert. Je suis ravi de cette rencontre. C’est un artiste autant que je peux l’être », assure Geluck.
Mises à prix à 250.000 euros au départ, les statues monumentales du Chat de Geluck cotent déjà à 380.000 euros.
Artiste ou artisan d’art? « L’artiste crée. Il a sa vision de l’objet. Nous sommes des artisans parce que l’on reproduit son œuvre. Mais des artistes aussi parce qu’on doit lire et comprendre la langue du créateur, l’interpréter, se mettre dans sa peau. De ce point de vue, nous sommes des artistes. Mais je dois dire que Philippe a cette humilité de reconnaître notre travail de création. Tous les artistes ne l’ont pas », témoigne Van Geert.
La collection de 20 statues monumentales, qui se complètera bientôt de quatre nouveaux modèles, s’accompagne aussi de modèles de plus petites tailles, tous en nombre limité. Deux pour les grands modèles, 8 pour les moyens et jusqu’à 50 pour les plus petits, en plus des exemplaires réservés l’artiste. « Certains sculpteurs, comme Rodin par exemple, multipliaient les formats pour vendre plus d’originaux dans un but un peu mercantile. Mais je ne veux pas dire du mal des absents », glisse Geluck.
Le pari qu’il s’est lancé de récolter quelque 2,5 millions d’euros en vendant ces statues est en passe de réussir. « Quand on a lancé la production des statues, nous étions dans l’inconnu. Mais le marché a répondu », confie Geluck soulagé. Après l’énorme succès de l’exposition à Paris (8 millions de visiteurs, malgré les mesures sanitaires), vingt-et-un exemplaires ont été vendus. Prix de base 250.000 euros, fixé par l’artiste en fonction du coût de fabrication assez élevé et de la marge escomptée. « J’ai tapé un peu haut puisque c’est intégralement pour financer le musée », reconnaît Geluck. Entre-temps, la cote s’est déjà envolée et les derniers modèles ou les plus élaborés sont partis à 380.000 euros.
BANDE DESSINÉES
«Le Chat déambule»
Série: Le Chat – Hors série Par Philippe Geluck – Édité par Casterman 168p. – 25€
Merci à Geluck de mettre une petite partie de ses gains en fonderie…