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Par : piwi
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vendredi 01 Juil, 2022
Catégorie : Wiki fonderie

Fin des Fonderies du Poitou : un « sacré pincement au coeur » pour Éric Bailly

La Nouvelle République

Éric Bailly a fait toute sa carrière aux Fonderies du Poitou.

Il a vécu la première coulée d’aluminium en 1981, a fait toute sa carrière aux Fonderies du Poitou, en a été le secrétaire emblématique du comité d’entreprise… A la veille de la fin du site industriel d’Ingrandes (Vienne), Éric Bailly témoigne.

La liquidation de la Fonderie du Poitou Aluminium sera officielle le 5 juillet 2002. C’est la fin des Fonderies du Poitou. Votre sentiment ?

« On disait au départ que cette entreprise était construite pour 30 ans. Ça a duré dix ans de plus mais on aurait pu aller bien plus loin. Voir cette entreprise mourir, c’est… (long silence) difficilement acceptable. Il y a beaucoup de regrets et d’amertume. »

Vous pensez vraiment que ça aurait pu se passer autrement ?

« Il y a tellement longtemps qu’on parle de besoin de diversification. Renault lui même l’avait dit en 2012, à la reprise de l’Aluminium par Saint-Jean-Industries. Il fallait a minima trois ans pour les études, la recherche d’un repreneur, de nouveaux clients et de fonds… Les discours n’ont jamais été suivis d’actes. Cette boite qu’on présentait au départ comme la plus belle fonderie d’Europe, avait encore toute sa place dans le tissu industriel français. Encore aurait-il fallu s’en donner les moyens ! »

Eric Bailly ici en novembre 2011, après la grève de huit semaines des salariés de l’Aluminium.

C’est Renault, le premier responsable ?

« Le principal oui mais pas le seul. Depuis longtemps, Renault envoyait des signaux de désengagement progressif. Ce schéma d’entreprise mono activité, mono-client, ça n’existe pratiquement plus. L’accélération de la fin des moteurs thermiques a été le coup fatal. »

Vous avez fait toute votre carrière aux Fonderies. Qu’en retenez-vous ?

« Cette entreprise m’a donné à manger, m’a permis de vivre assez correctement, d’élever mes enfants… Imaginer que ces cheminées ne fumeront plus jamais me fait un sacré pincement au cœur. »

Fondeur, c’est un métier particulier, n’est-ce-pas ?

« C’est un métier très dur mais un beau métier. Par grosse chaleur, les conditions de travail peuvent être horribles. Paradoxalement, on a l’impression dans ces moments-là d’en sortir grandis. Ça donne des équipes soudées, un élan de solidarité entre les salariés. Il faut le vivre pour le ressentir.

J’ai toujours entendu des salariés dire “c’est trop dur, je vais aller travailler ailleurs”. La plupart de ceux-là y ont finalement fait toute leur carrière. Il faut dire que les salaires étaient très corrects – même si on les juge toujours insuffisants. De ce point de vue-là, les fondeurs ont fait des envieux dans le bassin châtelleraudais. »

Le 6 janvier 1981, j’ai participé à la première coulée d’aluminium. Il y avait beaucoup de monde, les dirigeants de Renault, les caméras télé… On avait le casque, les lunettes de fondeur, les gants, les guêtres… Comme des cosmonautes. C’était un grand moment !

É​ric Bailly, « Matricule 78 », 39 ans de carrière aux Fonderies du Poitou.
Racontez-nous vos premiers pas aux Fonderies.

« J’ai été embauché le 1er décembre 1980, à la sortie de l’Armée, dans le secteur moulage où étaient les fours. Matricule 78. La production n’avait pas démarré, certains ateliers étaient encore complètement vides.

Le 6 janvier 1981, j’ai participé à la première coulée d’aluminium. Il y avait beaucoup de monde, les dirigeants de Renault, les caméras télé… On avait le casque, les lunettes de fondeur, les gants, les guêtres… Comme des cosmonautes. C’était un grand moment ! »

« La Coupe corpo du Châtelleraudais, on l’a gagnée de nombreuses fois avec les Fonderies ! »
Quelles images gardez-vous de ces 39 années ?

« Je me souviens de journées portes ouvertes avec une fréquentation phénoménale. De quelques accidents du travail marquants, aussi. On n’a pas eu de morts mais on a parfois frôlé la catastrophe.

Je me souviens aussi de conflits très sévères. Comme la fameuse grève de 2011, un moment très fort : huit semaines consécutives avec zéro euro en bas de la feuille de paie pour refuser le plan de Montupet qui prévoyait une baisse de 25 % des salaires. Ou, dans les premières années, ce jour où on a séquestré le directeur dans son bureau parce qu’il ne voulait pas les augmentations de salaires qu’on réclamait. Il avait réussi à s’enfuir par une fenêtre pendant la nuit.

Il y a aussi le foot corpo. La Coupe corpo du Châtelleraudais, on l’a gagnée de nombreuses fois avec les Fonderies ! Le palmarès vaut ce qu’il vaut (il éclate de rire) mais c’était surtout des super moments de partage. On se lâchait sur le terrain comme dans l’usine, avec quelques très longues troisièmes mi-temps… »

Depuis la reprise par Liberty, les salariés semblaient résignés.

« Les salariés ont trop vite abandonné à mon goût. Ils en avaient ras-le-bol, ça fait dix ans que l’entreprise est boiteuse. Mais voir le site s’éteindre presque sans bruit, sans tapage me laisse un goût amer. Ça n’a jamais été la culture de l’entreprise… Et ça a bien arrangé les pouvoirs publics et Renault ! »

Vous serez présent à la dernière coulée d’aluminum ce jeudi 30 juin…

« C’est un symbole fort. Je veux y aller… mais je vais y aller à reculons je pense. Dois-je vraiment voir ça ? « 

On vous sens ému…

(Long silence) « Ça secoue les tripes. Je pense à tous les copains qui vont se retrouver sur la paille. Je leur souhaite le meilleur mais certains vont souffrir, je crains. En refusant de se battre, je ne sais pas s’ils ont tous mesuré ce que seront les lendemains.

Pour ceux qui ont la chance d’avoir un CV, un métier, une formation professionnelle, dans un contexte économique favorable, je ne suis pas trop inquiet. Avec le même salaire ? C’est moins sûr. Pour ceux qui n’ont fait que brasser des culasses toute leur vie… Eux n’ont pas grand chose à faire valoir sur le marché du travail. »

Éric Bailly, 39 ans de carrière aux Fonderies du Poitou
Éric Bailly, 61 ans, est marié, père de deux garçons. Domicilié à Pleumartin dans le Châtelleraudais, il est maire de la commune depuis 2014.

Il a été salarié des Fonderies du Poitou du 1er décembre 1980 au 30 avril 2019. Il a démarré comme opérateur métrologie puis il a travaillé en maintenance, en maintenance informatique et a fini sa carrière au service qualité. Militant CGT, il a été secrétaire du CE de 1985 à 2016.

Pompier volontaire à Pleumartin pendant plus de 30 ans (1983 à 2014), il a été éducateur puis entraîneur de football pendant plus de 40 ans, au SO Châtellerault principalement.

Zone de commentaire !

2 commentaires pour : "Fin des Fonderies du Poitou : un « sacré pincement au coeur » pour Éric Bailly"

  1. Je partage assez bien ce constat mais j’émettrai trois remarques:
    – Renault à vendu ses fonderies il y a plus de vingt ans et par conséquent toutes ses anciennes filiales ont eut largement le temps pour se remettre en cause, trouver d’autres débouchés et surtout d’autres clients !
    – Ils ont peut être pour le moins laisser passer deux occasions
    Lors de leur reprise par Montupet même si celui-ci visait leur carnet de commandes, et acquérir une situation de quasi monopole vis à vis de Renault
    Et peut-être leur avenir lorsque Saint Jean Industries les ont repris, je pense que là il y avait des choses à faire pour trouver d’autres débouchés.
    Maintenant l’histoire est terminée mais mal terminée, on ne peut encore une fois que souhaiter bonne chance à tous ceux qui se retrouvent sans emploi.

     

    PIWI : vous invite à un moment d’émotion en regardant la vidéo que je viens de rajouter pour clôturer cette HISTOIRE de 40 années

  2. En lisant cet article, je suis resté perplexe du pourquoi de la fermeture de cette fonderie que par ailleurs je ne connais pas

    Deux repreneurs apres Renault, qui sont des soustraitants de renom et cette activité de fabrication de culasse et qui était dans le coeur de leur metier et qui ont jeté l’eponge.

    Les raisons ?
    Par contre, cet article presente un climat social dur : greve longue, patron séquestré qui saute par une fenêtre , (je n’aurais pas voulu être à sa place), remuneration nettement plus haute que le niveau de la region. Tous cela ne doit pas être un facteur qui stimule un investisseur à investir pour developper des nouveaux produits.

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