Étincelles sur la toiture de Notre-Dame : les travaux de métallurgie s’achèvent
Par Sophie Laurant
Dessinée au XIXe siècle par l’architecte Viollet-le-Duc alors qu’il restaurait Notre-Dame, la crête de faitage est composée de fleurons de plomb moulé, piqués sur une armature de fer. Chaque élément pèse environ 360kg. C’est la fonderie Lemer, experte en plomb et alliages, à Carquefou près de Nantes (LoIre-Atlantique), qui a coulé les vingt-six fleurons qui couronneront le chœur.
«On est parti d’un modèle scanné en 3D avant l’incendie et on a étudié les vestiges afin de reconstituer le moule» explique Vincent Combe, chef de projet chez UTB, l’entreprise de couvreurs qui travaille étroitement avec les fondeurs. De savants calculs ont été réalisés pour que les fleurons puissent s’aligner entiers sur le faîtage, en jouant sur les intervalles.
Le plomb en fusion à 450°C est coulé dans le moule creux en fonte et se dépose autour du «noyau», une empreinte positive en sable comprimé qui donne sa forme au fleuron.
«Une fois le fleuron refroidi et démoulé, on évide une partie du sable qu’il contient au centre, pour accueillir l’armature de fer mais on laisse le reste à l’intérieur des volutes pour garantir la tenue du métal», précise Frédéric Olivero, ancien responsable du site chez Lemer. Un ornementiste cisèle les arrêtes de chaque fleuron pour retrouver la nervosité du trait de la sculpture et pour que le pied épouse parfaitement le faîtage du toit.
La croix du chevet restaurée
Le 15 avril 2019, lors de l’incendie, la grande croix qui couronnait le faîtage de l’abside est tombée assez rapidement de quinze mètres de haut et s’est pliée en deux sur le mur-bahut (qui portait la charpente du comble). «Elle n’a pas eu trop le temps de chauffer, même sa tête a été tordue à 90°C», précise Vincent Combes.
Une fois récupérée parmi les vestiges archéologiques de la cathédrale, il a été décidé de restaurer cette croix plutôt que d’en fabriquer une restitution. «Il a fallu démonter la centaine de pièces qui la composait, soit deux tonnes de métal, explique Alexandre Gury, patron de Fer, Art, Forge, l’entreprise de ferronnerie d’art chargée de l’opération, à Saint-Aubin-des-Bois (Calvados). Nous l’avons détordue avec marteau et enclume, à la forge. Ce n’est pas évident quand certaines pièces mesurent sept mètres de long et pèsent 120 kg… On y a mis toute notre âme et on est très fiers du résultat.» «Vous êtes représentatifs de ces savoir-faire français. L’aventure de la restauration de Notre-Dame doit permettre de faire connaître ces compétences, ces gestes et de les transmettre», insiste Philippe Jost, président de l’établissement public chargé de la restauration de Notre-Dame.
L’ossature est en fer chemisée de cuivre de manière à ce que l’habillage final en plomb ne glisse pas. La croix a été dressée dans la cour de l’atelier sur une réplique de la proue de la charpente, afin de parfaire le système très précis de fixation: une «pieuvre» composée de membrures métalliques, boulonnées sur les poutres et boulonnée sur un «contre-poinçon» (sorte de mât) afin de continuer à résister à toutes les tempêtes.
Une vouivre (dragon) qui se mord la queue, sculptée en plomb en forme de cercle a été enfilée sur le pic métallique avant que la partie haute ne soit fixée. De petits décors de grelots, feuilles, sphères, fleurs martelés en plomb sont ensuite ajoutés le long du mat. Dernière étape: des doreurs viendront recouvrir les boules de feuille d’or. La croix va être acheminée entièrement montée jusqu’à Paris.
«Cette croix visible de tous les Parisiens est un signe de la restauration puisqu’elle n’a pas été définitivement abattue. Elle est aussi, avec ses bras tendus, un symbole de l’accueil de tous, chrétiens et non chrétiens», commente Mgr Olivier Ribadeau Dumas, recteur de la cathédrale, venu admirer l’ouvrage des compagnons.
Les cloches réaccordées
Les huit cloches du beffroi nord de la cathédrale ont été démontées et mises à l’abri pendant les travaux sur sa charpente. Léchées par les flammes, elles sont actuellement nettoyées dans la fonderie qui les a fabriquées, à Villedieu-les-Poêles (Manche). Le Pèlerin était déjà sur place pour assister à leur fonte en 2012, avant qu’elles ne soient installées, pour les 850 ans de Notre-Dame de Paris, en 2013.
«Nous faisons ainsi partie de la longue chaine des bâtisseurs de cathédrale», sourit à ce souvenir Paul Bergamo, directeur de la fonderie Cornille-Havard. Il explique qu’il a fallu analyser leur son, les «dégraisser et les cirer» pour restaurer l’harmonie.
Puis réviser les points de frappe des battants et toute leur mécanique et système d’attache. Ces cloches doivent en effet s’accorder au bourdon Emmanuel qui sonne un Fa# depuis le beffroi sud. «Deux d’entre elles ont eu besoin d’un traitement thermique pour leur rendre leur élasticité. On dit que l’on « détend » la cloche», ajoute Paul Bergamo.
Avec les cloches, la croix du chœur, la frise florale du faîtage, «les cicatrices de l’incendie s’effacent», conclut Philippe Villeneuve, l’architecte en chef du chantier.
Restauration de Notre-Dame : la croix du chevet et les huit cloches restaurées en Normandie
REPORTAGE. Une ferronnerie du Calvados et une fonderie de la Manche ont travaillé à la restauration de la croix du chevet et des huit cloches de la tour nord, abîmées par l’incendie, qu’elles s’apprêtent à rendre resplendissantes à la cathédrale.
Elle sera bientôt érigée, restaurée et non pas reconstruite. La croix du chevet de Notre-Dame a retrouvé toute son allure grâce au savoir-faire des forgerons. C’est dans le village de Saint-Aubin-des-Bois (Calvados) que la croix de plus de 13 mètres de haut a été soigneusement restaurée par l’atelier Fer Art Forge. Ce vendredi 3 mai, sont venus lui rendre visite l’architecte en chef des monuments historiques, Philippe Villeneuve, le recteur de la cathédrale, Monseigneur Olivier Ribadeau Dumas, et le président de l’établissement public chargé de rebâtir la cathédrale, Philippe Jost. Les élus locaux fiers de leurs artisans étaient aussi présents : « Avoir un bout de Notre-Dame dans notre commune de 230 habitants, c’est exceptionnel !», confie le maire au JDD.
« Comment travaillaient-ils à l’époque ? »
Dans cette ancienne ferme familiale transformée en atelier de ferronnerie, plus de 1 000 heures de travail ont été dédiées à la restauration de la croix par une petite équipe de cinq artisans. Les entreprises travaillant sur le chantier de Notre-Dame sont pour la plupart petites en taille « mais grandes par leurs compétences et leur dévouement », salue Charles-Henri Montaut, président du groupe UTB (Union technique du bâtiment).