Jean-Pierre Dupire et ses publicités décalées ont fait sourire la France entière, vantant en dreadlocks ses poêles à bois au milieu de jolies courtisanes ou au guidon d’une moto. C’est plus discrètement que ce patron très atypique tire aujourd’hui sa révérence en vendant Invicta, une petite pépite ardennaise qu’il a fait grossir avec maestria depuis ces dernières années.
Le fabricant de poêles a pris la tête du marché français, doublant des acteurs historiques comme Godin. Il réalise aujourd’hui 74 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont un tiers à l’exportation, contre 55 millions il y a cinq ans. La fonderie, le siège et le centre logistique emploient plus de 280 personnes.
A plus de soixante-quatorze ans, il lui aura fallu plusieurs années pour accepter de lâcher cette société fondée par son grand-père en 1924. L’équation était compliquée. Le personnage incarne très fortement l’entreprise. Derrière la réussite industrielle de la PME, c’est aussi l’histoire douloureuse d’un chef d’entreprise qui n’a pas trouvé de successeur familial. Voilà pourquoi Jean-Pierre Dupire a préparé la transmission de son entreprise avec beaucoup de soin. Depuis un an, il a établi une relation privilégiée avec Qualium Investissement, le fonds d’investissement de la Caisse des Dépôts, avec qui il a conclu une transaction de gré à gré. Celui-ci rachète plus de 75 % des parts par effet de levier, complété par une participation du fonds Demeter Partners et une part minoritaire que conservera Jean-Pierre Dupire. La PME sera désormais dirigée par Christian Guillou, qui pilotait la filiale française du spécialiste suédois de la sécurité Gunnebo.
Invicta s’est développé sur la vague du marché des poêles à bois.
La France est ainsi devenue le premier marché du poêle à bois et autres inserts de cheminée en Europe, générant des ventes d’environ 480 millions d’euros par an. Une kyrielle de PME a prospéré sur ce segment détenu à 80 % par les constructeurs français.
Nouvelle stratégie de distribution directe
Mais Invicta est sorti du lot grâce à une fonderie très performante, qui permet de réaliser des poêles en fonte aux formes complexes et design pour un coût modéré. « La fonte permet de réaliser un appareil avec moins d’une vingtaine de pièces, alors que l’acier exige plus de 150 éléments », précise Christian Guillou. Une simplicité qui permet de raccourcir les délais de production et de satisfaire les délais de quelques jours des chaînes de bricolage comme Leroy Merlin, où ses gammes sont très bien référencées. D’autant qu’un grand centre logistique à côté de la fonderie accueille les stocks avant la saison hivernale. La communication originale de la marque et l’exploitation de l’argument made in France ont dopé la commercialisation des produits. Revers de la médaille, l’innovation régulière de la fonderie grignote la rentabilité de l’entreprise, qui consacre la moitié de son excédent brut d’exploitation à ses investissements. Jean-Pierre Dupire venait d’introduire une nouvelle stratégie de distribution directe avec une vingtaine d’Invicta Shop. Qualium compte sur le développement de cette démarche et l’exportation dans de nouveaux pays européens pour valoriser l’entreprise. Le fonds souhaite également que la PME grossisse par des acquisitions externes en Europe. Quant à l’image de l’entreprise, Christian Guillou n’a pas prévu d’adopter le look rasta de son prédécesseur. « Nous allons faire évoluer progressivement la communication de l’entreprise. »
Matthieu Quiret
