Soupçons de malversations et d’escroquerie : la chute du serial repreneur ACI Groupe
La holding industrielle active dans la défense, l’aéronautique et le nucléaire, a été reprise en main par des administrateurs judiciaires vendredi. L’aventure de l’entrepreneur Philippe Rivière, qui devait redonner vie à la petite industrie française, se termine dans une atmosphère de scandale.
Par Guillaume Guichard LES ECHOS
Autoproclamée championne de l’hypercroissance, la serial repreneuse a fini sa course, vendredi matin, dans le lieu même où elle a attrapé nombre de ses proies, au tribunal de commerce.
Elle a été reprise en main par les administrateurs judiciaires, après avoir été placée en redressement le 24 septembre.
Le fracas provoqué dans le secteur industriel et dans le milieu lyonnais des affaires par ce crash dépasse de loin ce qu’on pouvait attendre de la désintégration en vol d’une petite ETI de sous-traitance industrielle.
La chute d’ACI Groupe relèverait de l’effondrement d’une pyramide de Ponzi, avec tous les dégâts collatéraux imaginables. Y compris stratégiques. Une dizaine de ses filiales fournissent les grands noms de l’aéronautique, du nucléaire civil et de la défense. Le ministère des Armées a suivi la situation heure par heure.
Plainte pour escroquerie
Mais ce n’est pas tout. Le dossier recèle deux plaintes au pénal déposées par ACI Groupe. La première pour abus de biens sociaux vise son charismatique président, cofondateur et actionnaire majoritaire, Philippe Rivière. La seconde pour escroquerie, faux et usage de faux, a été déposée à l’encontre du mystérieux fonds d’investissement Fortuna, qui devait apporter 82 millions d’euros à la société. « Chaque élément et infraction, pris isolément, sont d’une triste banalité dans le monde des affaires, mais leur concentration dans un seul et même dossier est proprement sidérante », s’étonne encore un proche d’ACI.
C’est Patrice Rives, le directeur général, coactionnaire et cofondateur d’ACI, qui a pris la lourde décision de placer l’entreprise en redressement judiciaire. Il n’avait guère le choix. « J’ai pris ma responsabilité de dirigeant, nous avions des besoins de trésorerie que nous ne pouvions pas honorer et nous n’avions pas de plan B », se justifie-t-il. Un audit, commandé en juillet par le fonds nancéen GEI (29,9 % du capital), a dévoilé début septembre une situation catastrophique.
Virement inexpliqué de 900.000 euros
Devant les juges du tribunal de commerce, accompagnés de la substitut du procureur de Lyon, le 25 septembre, Patrice Rives se montre plus précis. Il dévoile, raconte le compte rendu de séance obtenu par « Les Echos », « la survenance d’une fraude dans le cadre du processus de levée de fonds », qui « a privé la société des ressources attendues ». Voilà la plainte pour escroquerie. Il ajoute « qu’il semble que des abus et détournements ont été commis par le président et ont absorbé la trésorerie disponible du groupe, conduisant ainsi à un état de cessation des paiements de la société ». Voilà la plainte pour abus de bien social, déposée au nom d’ACI Groupe dans la foulée.
Plusieurs sources, contactées par « Les Echos », signalent par exemple un virement qui serait inexpliqué, réalisé cet été, de 900.000 euros vers Capart, la société personnelle de Philippe Rivière. Les montants anormaux totaux seraient cependant beaucoup plus élevés. Contacté, Philippe Rivière n’a pas donné suite aux sollicitations des « Echos ».
Patrice Rives sera démis de ses fonctions de DG quelques jours plus tard par un président qui crie à la trahison. Ce dernier résume l’affaire à un conflit d’actionnaires. Il reprend seul le contrôle de sa société, clame qu’il fait appel du placement en redressement judiciaire. En réalité, cela lui est juridiquement impossible.
Effet domino
Pour beaucoup, Philippe Rivière refuse de voir la gravité de la situation. «Je réfute la situation de cessation de paiements, (…) nous avons des solutions de financement de court terme, il n’y a pas le feu», indique-t-il lorsque les « Echos » révèlent le redressement d’ACI Groupe.
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Quelques jours plus tard, c’est le début de l’effet domino. Quatre sociétés d’ACI Groupe se trouvent incapables de verser les salaires de septembre des employés. Huit autres filiales devraient basculer ces prochains jours en redressement, d’après un proche du dossier. En revanche, précise la même source, « entre 18 et 19 autres, sur 33, pourraient être autonomes avec un minimum d’apport ».
Pour Philippe Rivière, le retour aux réalités est brutal. Cinq jours avant que sa société ne dépose le bilan, il devisait encore avec Natacha Polony et Pierre Gattaz sur la scène de la Plage aux entrepreneurs, grand raout organisé à Arcachon par l’association Origine France Garantie dont il est l’un des piliers.
Fuite en avant
Depuis le début de 2025, le patron enchaînait les succès. En apparence. En janvier et février, il rachète coup sur coup deux fonderies, Souglandet Hachette & Driout. Puis il annonce une levée de fonds de 82 millions auprès de ce fonds présenté comme américano-singapourien, Fortuna Capital. Mi-juin, au Salon du Bourget, l’entrepreneur surprend le gratin de l’aéronautique en annonçant une prochaine introduction en Bourse. Il parle alors de quadrupler son chiffre d’affaires pour atteindre les 800 millions d’euros.
Philippe Rivière voit alors plus grand que jamais. Mais en coulisse, certains s’inquiètent. Depuis plusieurs mois, des clients majeurs ont placé des filiales mauvaises payeuses sous surveillance. Au printemps, le ministère des Armées lui conseille fermement de lever le pied sur la croissance, pour prendre le temps de consolider son groupe. Lui continue d’écumer en juillet les tribunaux de commerce pour rafler des PME et ETI à la barre.
Dans l’arrière-boutique, l’aventure ressemble de plus en plus à une fuite en avant. L’affaire du fonds Fortuna, d’abord. Lorsque Philippe Rivière annonce le « deal » en février, rien n’est en réalité encore signé. Les mois suivants, une course de lenteur s’engage. Les coactionnaires d’ACI Groupe, les fonds GEI (29,9 %) et Sopromec (2,7 %), ainsi que le directeur général Patrice Rives (12,88 %) et Philippe Rivière (53,15 %) signent bien un contrat de rachat d’actions en avril. Mais les choses traînent ensuite en longueur.
Fonds fantôme
Vérifications bancaires multiples, formalités interminables, indisponibilité des banquiers… Stéphane Vong et Matthew Franck Maurice*, présentés comme respectivement responsable de Fortuna et de sa holding de tête Wilshire Capital Funding, déploient une très large panoplie d’excuses pour ne jamais avoir à montrer les fonds. Les actionnaires s’impatientent. Ils se mettent même à douter. Le président du groupe tente de les rassurer en leur répétant qu’il connaît Stéphane Vong depuis des années.
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Ne voyant toujours rien venir, les actionnaires minoritaires passent à l’action fin juillet. Ils lancent leurs propres investigations et s’aperçoivent que l’édifice est brumeux. Ils comprennent alors « qu’ils se sont fait rouler », explique l’un d’entre eux. Un exemple ? Le banquier justifiant par e-mail un nouveau délai n’existait pas. Tout est à l’avenant.
A Paris, les autorités ont elles aussi perdu patience avec l’arrivée de l’été. La direction générale du Trésor (DGT), chargée de contrôler les investissements directs étrangers dans les entreprises sensibles veut jeter un oeil sur l’origine des fonds. Entre la fin de l’hiver et le début de l’été, elle multiplie les demandes et les rendez-vous. Jamais Stéphane Vong, et encore moins Matthew Franck Maurice, ne s’y rendra.
« ACI a contourné le contrôle » de Bercy
A l’inverse, les deux financiers se sont montrés au séminaire Top 100 d’ACI, organisé au printemps. « Ils nous ont dit qu’ils avaient été impressionnés par notre build-up et qu’ils voulaient nous aider à franchir le cap des 500 millions de chiffre d’affaires, raconte un témoin. Ils ont ajouté qu’ils visaient également le demi-milliard en Asie avec nous. Ils étaient sur le point de racheter une usine de GE à Singapour qui réalisait déjà 170 millions de business. »
Les conditions du deal ? On se croirait au pays des bisounours, elles ne sont pas crédibles.
Une source proche du dossier
Plus bizarrement, Fortuna acceptait de miser 82 millions sur ACI sans réaliser d’audit approfondi, tout en restant minoritaire. « Ils disaient qu’ils avaient été séduits par Philippe », ajoute le même témoin. « Les conditions du deal ? On se croirait au pays des bisounours, elles ne sont pas crédibles », assène aujourd’hui un proche du dossier.
Vong et Maurice se rendent également sur le stand d’ACI au Salon du Bourget, mi-juin. Dans le même temps, le Trésor s’apprête à lancer un contrôle quand soudain l’entrepreneur leur annonce que Fortuna ne prendra finalement que 24,8 % d’ACI Groupe. Une nouvelle stratégie d’évitement : sous le seuil des 25 %, Bercy n’a pas le pouvoir de contrôler une prise de participation.
« A aucun moment la DGT n’a été en contact direct avec Fortuna, à aucun moment elle n’a eu à vérifier Fortuna, parce qu’ACI a contourné le contrôle », détaille une source officielle au fait du dossier.
D’autres victimes de Fortuna
ACI Groupe n’est pas la seule victime de Fortuna. Dans une grande ville de l’Ouest de la France, un patron de PME a fait confiance au fonds « américano-singapourien » pour développer son activité. Après la signature d’un deal en début d’année, le petit patron se heurte aux excuses et retards. Début septembre, il doit placer sa PME en redressement judiciaire.
Aujourd’hui, les observateurs comme les acteurs de ce crash s’interrogent : comment ont-ils pu être bernés de si long mois par Fortuna ? Quelle était la finalité des deux « financiers » ? Philippe Rivière connaissait-il le fin mot de l’histoire ? Sollicité par « Les Echos », il a refusé de répondre à nos questions.
Des doutes sur le sérieux du fonds auraient pu émerger à la vue de l’indigente plaquette de présentation de Fortuna. Des investissements minuscules à l’échelle supposée des fonds disponibles, des informations au mieux parcellaires. Un logo copié-collé d’un site de trading brésilien. Plus problématique encore est la maison mère de Fortuna, Wilshire Capital Funding. L’entité est supposée disposer de 3,5 milliards de dollars sous gestion.
De fait, certains, dans l’entourage d’ACI Groupe, ont fini par soupçonner que derrière Matthew Franck Maurice se cacherait un individu condamné dans les années 2000 pour escroquerie. Une société au nom étrangement proche de celui de la maison-mère de Fortuna, « Wilshire Invest Development », a été créée par cet égrefin.
Quoi qu’il en soit, Philippe Rivière est désormais hors jeu.
Les administrateurs judiciaires ont maintenant le destin d’ACI en main. A ce stade, les scénarios sont encore multiples, mais un dépôt de bilan pour les filiales les plus mal en point ainsi qu’une vente par appartements n’est pas à exclure. Des ETI ont déjà exprimé leur intérêt, en coulisse, pour certaines des pépites du groupe.
*Ni Matthew Franck Maurice ni Stéphane Vong n’ont répondu aux sollicitations des « Echos ».
Guillaume Guichard
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