Réindustrialisation : ce rapport qui conjure la France d’être plus réaliste
Un rapport juge irréaliste de porter de 10 % à 15 % la part de l’industrie dans le PIB d’ici à 2035. Un objectif de 12 % assurerait néanmoins encore une balance commerciale positive.
Il y a un an, l’exécutif se fixait au travers de son projet de loi industrie verte l’objectif de relever la part de l’industrie dans le produit intérieur brut (PIB) de 10 % à 15 % pour rejoindre la moyenne européenne.
« Cela prendra deux décennies, mieux vaudrait viser une balance commerciale manufacturière positive en 2035 »;
‘il n’y aura pas assez d’énergie décarbonée pour gagner 5 points de PIB en une décennie.
Il n’y aura pas non plus suffisamment de main-d’oeuvre. « Il faudrait faire basculer plusieurs centaines de milliers d’emplois du secteur tertiaire vers l’industrie », calcule Olivier Lluansi. Autrement dit, cela reviendrait à déshabiller Pierre pour habiller Paul.
Le scénario intermédiaire de 12 % ou 13 % prôné par cet expert de l’industrie n’en reste pas moins honorable puisqu’il permettrait de refaire passer en territoire positif la balance commerciale manufacturière, actuellement déficitaire de 60 milliards d’euros.
Cela représenterait aussi 50.000 emplois industriels de plus par an. Comparés aux 130.000 emplois créés dans le secteur au cours des cinq dernières années, c’est un quasi-doublement du rythme de créations.
Un défi potentiel de taille aux yeux du manque d’attractivité de l’industrie qui peine déjà à recruter. Un effort de communication s’imposerait pour reconnecter l’image de cette dernière à la réalité de ses métiers. L’expert ajoute que les modèles de management encore très verticaux dans le secteur devraient s’adapter aux aspirations des jeunes générations à plus d’autonomie.
Mais même cet objectif de 12 % ou 13 % exige une adaptation du programme actuel de réindustrialisation. « L’innovation de rupture que soutient France 2030 ne permettra d’atteindre qu’un quart à un tiers de l’objectif ». L’expert appelle l’exécutif à accompagner la densification du tissu industriel traditionnel en exploitant mieux le potentiel du « Mittelstand » français, ces PME et entreprises de taille intermédiaire installées dans les territoires.
Mobiliser l’épargne des ménages
Il faudra aussi beaucoup d’argent. L’expert calcule que relever de 2 ou 3 points la part de l’industrie dans le PIB correspondrait à un effort total de 200 milliards d’euros d’investissements de plus sur dix ans.
La rigueur budgétaire exclut toute rallonge publique mais ce montant représente moins de 3 % des 6.000 milliards d’euros de l’épargne financière des ménages français. L’argent ne manque donc pas, même si « la rentabilité d’un investissement industriel étant moindre et à plus long terme, elle nécessite une incitation fiscale ou réglementaire pour attirer cette épargne », reconnaît Olivier Lluansi.
Un dernier obstacle resterait à lever : celui de la compétitivité de l’industrie européenne, touchée de plein fouet par le renchérissement de l’énergie.
Pour l’heure, les industriels se méfient de l’administration européenne dont certaines armes comme le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) finissent par davantage pénaliser leurs produits finis que ceux de leurs concurrents. Mais « sur le modèle des batteries, des panneaux solaires ou des pompes à chaleur, on pourrait lister une centaine de produits à relocaliser pour lesquels on pourrait examiner ensemble, industriels, puissance publique et territoires comment assurer une concurrence loyale », estime l’expert. Plusieurs dizaines de milliards d’euros pourraient ainsi revenir sur le territoire.
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