Piwi vous propose ce texte d’Anaud Conchin ancien élève de Licence Fonderie à Lyon, diplôme qui vient de fêter ses 20 ans.
Place à ce joyeux délire poétique.
Quel ne fut pas l’étonnement des premiers humains devant cette sérendipité orange. Coincés entre deux morceaux de roches insipides, ils extirpèrent avec leurs outils primaires « l’ichor caillé de Gaïa » ; tout d’abord pour en faire des outils agricoles puis, comme rattrapés par leur nature, des outils léthifères. Légèrement déçus par sa malléabilité, la nouvelle découverte aurait bien pu être renfouie dans les veines de notre mère, au profit déjà connu de la pierre, bien dure mais malgré tout bien trop cassante. Pourtant ! tenaces, certains d’entre eux, épris de ce matériau, commencèrent à mélanger leur nouveau brimborion avec d’autres de même consistance pour le faire durcir. Ainsi, grâce à la curiosité de ce métal, naquit le tout premier alliage et les prémices de la métallurgie.
Au fur et à mesure de siècles, de nouveaux frères et sœurs furent trouvés, de toutes les couleurs et de toutes propriétés. Les alchimistes les étudièrent pour comprendre la magie qui pouvait en découler. Tous ont rêvé de transmuter le plomb en or, caressé l’idée de devenir immortels, créer des petits êtres animés. Beaucoup ont échoué tandis que certains élus sont eux, dans le folklore, parvenus à toucher ce rêve disruptif ; des noms comme Flamel ou Saint Germain ont permis grâce à leur recherche sibylline, à faire évoluer un arcane qui à mesure du temps est devenu science.
Lorsque la vapeur se mit à déplacer les hommes, le règne de l’acier vint sillonner nos terres, franchir nos fleuves et nous porter du ciel
jusqu’aux étoiles. Ces prouesses technologiques furent possibles en partie grâce à l’énergie du pu noir raffiné de mère Terre mais surtout
grâce aux hommes qui, poussés par leur curiosité, leur désir de comprendre, leur appétence devers la noblesse du métal à toujours
vouloir améliorer sa technique pour dompter ces cristaux agencés de toutes les manières et améliorer ses propriétés mécaniques.
En ce monde, personne ne peut demeurer indifférent durant une coulée de métal.
De loin on commence à voir le creuset bouillonnant sortir doucement de la gueule du dragon qui, durant plusieurs heures l’a léchée de ses
flammes. Le maître fondeur au plus proche du sang en fusion plonge sa sonde dans une girandole d’étincelles pour contrôler sa température. *
Une fois le bon niveau de mercure atteint, il jette un flux mystique, ignoré par le commun des mortels mais bien connu des fils et filles du feu, qui au contact du bouillon crépite à sa surface. Il plonge ensuite sa poêle percée, appelée « écrémoir », remue et agite sa préparation pour retirer les scories captées par la poudre rose.
Le bain bien propre, le moule en face du bec verseur, le seigneur du métal presse le bouton pour actionner le mouvement du four.
Les badauds loin de la géhenne ressentent la terrible chaleur les saisir, et tout en ayant la traquette, observent l’homme impavide concentré à côté sans prendre feu. Comme si la terre elle-même voulait voir couler le précieux métal, elle se met à tirer de toute sa gravité les premières gouttes vers le sable tassé. Enfin le métal glisse le long du graphite pour plonger dans le canal de coulée.
L’amant d’Anchiale observe la nymphe véhémente se déverser dans son moule, il contrôle de son pouce le débit et la vitesse d’écoulement ; s‘il est trop timoré il risque de vexer la belle et la faire se figer de déplaisir ; s’il est trop hâtif alors le magma après avoir rempli le moule s’échappera de sa prison pour se rependre au sol et avaler tout ce qui se mettra à sa portée. Enfermée dans son écrin de silice, la belle s’organise en son sein en petit cubes de particules primaires ; ces cristaux s’agencent en une forêt de dendrites aux fruits gorgés d’intermétallique ; la pièce coagulée encore chaude est libérée au bout de quelques secondes, heure ou même semaine si elle est imposante.
Dans le panache de gaz irritant qui la dissimule encore à l’ouverture, le fondeur reste de marbre ; au fond il a confiance en ses tirées d’air, à la dimension de ces masselottes qu’il a calculées, à la composition chimique de son sable. Néanmoins, il connait cette infime possibilité de la formation d’un défaut dans sa pièce, la vérité sera révélée une fois le moule détruit.
Pléthore d’ignorants à ce métier se demandent comment des gens pouvaient aimer cette profession si dangereuse. Ils sont nombreux, à
être tombés pour finir en plaques d’égouts. Ici la connaissance ne s’apprend qu’au contact du cautère didactique et non en tournant
des pages ; on ne peut finir une journée les mains soyeuses et le teint clair, le danger même apprivoisé reste embûché pour venir à tout
instant goûter votre chair ou votre vie. C’est pourquoi les braves composants ce métier ne peuvent qu’être épris de passion pour le
métal en fusion, il est leur odieuse maitresse. Ces argonautes de tous les jours fatigués par des heures sous 35 à 40°C gardent pourtant le
sourire et continuent la lutte pour garder leurs beaux gestes acquis ; ce sont des artistes silencieux, des poètes de l’industrie alliés de
ténacité, trempés au courage et durcis par leur pugnacité.
Le monde de la métallurgie est un univers disruptif qui ne peut être pratiqué sans dulie, soit elle brûle en vous soit elle ne s’allume pas
dans tous les cas, elle ne peut vivre qu’avec l’énergie de la passion.
Quel texte quel verbe pour expliquer notre métier passion
Ce texte mérite des commentaires.et nécessite un dictionnaire.
Bravo Arnaud, Héphaïstos peut être fier de ses héritiers
PIWI : serenpidité, lethifère, brimborian, arcane (masculin !) pu, devers girandole, gehenne, traquette, anchiole,dulie…. autant de mots que j’utilise tous les jours, Pas vous ?
Effectivement ce sont de très jolis mots que nous utilisons quotidiennement, d’ailleurs j’en parle souvent à mon chien pour le cultiver.
Lol !
Ce texte est un voyage pendant lequel on s’identifie instantanément, tant les réflexions et les doutes de chacun d’entre nous sont si justement décrits .
Bravo à l’auteur ,c’est un régal !