Boll pour Les Echos Par Bruno Trévidic
Depuis plus de vingt ans, Airbus et Boeing se partagent le fabuleux marché des avions de ligne. Leur duopole fait figure de cas d’école. Mais cet équilibre avantageux pour les deux avionneurs s’est rompu. Et tout porte à croire que cette rupture est durable, voire définitive.
Quand en 1838, Antoine-Augustin Cournot publie ses « Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses », le mathématicien français est loin de se douter que, deux siècles plus tard, sa théorie, inspirée du marché des eaux de source, s’appliquerait à deux fabricants de machines volantes.
Depuis plus de vingt ans, Airbus et Boeing cultivent en effet un parfait exemple du « duopole de Cournot ». Un modèle dans lequel deux entreprises fabriquant des produits très semblables pour un marché unique se livrent une vive concurrence, non pas sur les prix, mais sur le niveau de production. Plus elles produisent et plus leurs profits augmentent, jusqu’à atteindre un point d’équilibre correspondant à la demande du marché. De sorte que si un excédent d’offre apparaît, entraînant une baisse des prix, les deux rivaux ont naturellement intérêt à réduire la production pour retrouver une rentabilité optimale.
Bombardier et les autres s’y sont cassé les dents
Le modèle de Cournot a fait ses preuves. Vingt-cinq ans après le rachat de McDonnell Douglas par Boeing, l’américain et l’européen se partagent 99 % du marché mondial des avions de ligne de plus de 110 sièges. Un fabuleux marché de plus de 100 milliards de dollars par an, dont les besoins, pour les vingt prochaines années, sont évalués à 40.000 appareils. Leur production a triplé, passant de 528 avions par an en 1997 à 1.606 en 2018. La production d’Airbus a même été multipliée par cinq !
Et aucun nouvel acteur n’est parvenu à troubler leur tête-à-tête, la principale barrière à l’entrée étant, non de concevoir un avion de ligne, mais de le produire en quantité suffisante pour rivaliser avec eux. Le canadien Bombardier, le brésilien Embraer, le japonais Mitsubishi, le russe Soukhoï, s’y sont essayés en vain, sans dépasser le niveau de l’avion régional. La Chine elle-même a essuyé deux échecs.
L’aéronautique chinoise en embuscade
Pourtant, ce duopole ne durera pas deux décennies de plus. L’année 2022 devrait marquer le début de la fin. Pour la première fois, deux avions monocouloirs moyen-courriers, le C919 du chinois Comac et le MC-21 du russe Irkut, s’apprêtent à entrer en service, mettant ainsi symboliquement fin à un quart de siècle de domination des Airbus A320 et des Boeing 737.
Plus déstabilisant que Comac : le tsunami du MAX
Alors certes, il s’écoulera du temps avant que Comac soit en mesure de déstabiliser le duopole. Il a fallu trente ans à Airbus pour que ses livraisons égalent celles de Boeing. Sauf qu’un autre événement, plus déstabilisant encore que le C919, a déjà sapé ses bases : la crise du Boeing 737 MAX.
Avec l’arrêt des livraisons de MAX de 2019 à 2021, l’équilibre de production en place depuis l’an 2000 s’est brutalement rompu. En 2019, Airbus livre 863 appareils, contre 380 pour Boeing. En 2020, l’écart se creuse encore, avec 157 livraisons pour l’américain, contre 566 pour Airbus. Et si 2021 marque une nette amélioration pour Boeing, avec 340 livraisons, Airbus reste largement en tête, avec 611 livraisons.
Le 737 MAX, la plus grave erreur de Boeing
Ce déséquilibre est appelé à durer. Certes, 2022 devrait mieux se passer pour Boeing, grâce au déstockage des 445 MAX et 787, mais l’américain accuse un retard de production grandissant. Alors qu’Airbus prévoit de produire 71 monocouloirs A320 et A220 par mois début 2023, et envisage de monter à 89 par mois en 2025, Boeing viserait 32 MAX par mois en 2023 et 45 à 49 en 2025. Soit une part de marché potentielle de 63 % pour Airbus, voire 65 % en 2025.
En 2023, Airbus produira 69 % d’avions de plus que Boeing
Un rapport de force que l’on retrouve déjà dans les carnets de commandes. A fin janvier, Airbus totalisait 7.036 appareils à livrer, dont 6.274 monocouloirs, contre 4.316 pour Boeing, dont 3.441 monocouloirs. Soit une part de marché de 62 % pour Airbus tous modèles confondus et de 65 % sur les monocouloirs
Cela signifie qu’en 2023 et au-delà, Airbus produira 69 % d’avions de plus que Boeing – 80 % dans l’hypothèse maximale de 2025 -, sur le marché des monocouloirs. Un marché qui pèsera 70 % des livraisons d’avions civils sur les vingt ans à venir.
Fini le monopole de Cournot ! La nouvelle configuration est déjà celle du duopole asymétrique de Stackelberg, nettement moins avantageuse pour Boeing, obligé de compenser son déficit de production par une baisse des prix.
Boeing sera-t-il obliger de s’allier à SpaceX ?
La seule façon de sortir du piège est d’innover. Boeing va devoir lancer un nouvel avion assez innovant pour regonfler ses commandes autrement que par la baisse des prix. C’est ce qu’avait réussi à faire Airbus, il y a trente-trois ans, avec l’A320. Et c’est ce que Boeing aurait pu faire dès 2019, avec son projet de nouveau modèle milieu de gamme. Mais les crises du MAX puis du Covid lui ont provisoirement ôté les moyens de financer ce projet à plus de 10 milliards de dollars.
Et même si Boeing ressortait son projet du tiroir, le nouveau modèle n’arriverait pas avant 2030. D’ici là, Airbus aura probablement lancé, à son tour, un successeur à l’A320, voire confirmé l’arrivée d’un moyen-courrier de rupture, fonctionnant à l’hydrogène, vers 2040.
Boeing n’aura alors d’autre choix que de lancer un produit comparable à un prix inférieur, ou bien de sortir du marché des avions civils, pour se recentrer sur le militaire, en cédant Boeing Commercial Airplanes ou en nouant une alliance. Par exemple, avec SpaceX, capable de préparer le coup d’après : celui des futurs long-courriers, des avions électriques et des voyages en orbite. Mais ce sera une autre histoire.
Après deux années dans le rouge, l’avionneur européen a publié un bénéfice net record de 4,2 milliards d’euros.
Le groupe annonce encore des progrès pour 2022 et la livraison de 720 avions contre 611 en 2021. Tout cela alors que son grand rival Boeing patine.
Il ne faut pas oublier qu’avec tout cela Airbus à du provisionner les pertes émanant de l’A380 qui n’a certainement jamais du atteindre sa rentabilité c’est à dire là ou l’on a terminé de rembourser le ticket d’entrée et ou l’on commence à gagner de l’argent.
Le monde de l’aéronautique est un monde très à part mais plus pour très longtemps car effectivement dans peu de temps le gâteau va se partager à trois et les erreurs seront plus dures à éliminer.