Les Echos –
La croissance française est atone, et cela risque fort de durer. Les derniers indicateurs publiés vendredi matin ne sont pas rassurants. La production industrielle a certes progressé en juin, mais pas de quoi compenser la chute des deux mois précédents. Cela augure d’une faible progression du PIB au deuxième trimestre, dont l’Insee donnera une première évaluation jeudi prochain.
Les compétences professionnelles,
moteur de la croissance
croissance
Extrait d’un article de Francis Mer, ancien ministre, président d’honneur de Safran et président de la Fondation Condorcet, publié initialement dans la Revue RH&M. Compétences et croissance : voilà un binôme qui ne devrait pas faire débat.
Car aujourd’hui ce n’est plus seulement la capacité d’exécuter qui est recherchée, mais au moins autant l’aptitude interne à générer des progrès permanents dans tous les domaines.
Dans ce contexte, la capacité à développer et tirer le meilleur parti de la compétence des salariés et agents publics et à la transformer en performance devient un élément clé de compétitivité et notre principale ressource en termes de réactivité et d’innovation.
Pourtant cet « alliage » ne s’est pas encore imposé dans notre culture collective, et nous payons aujourd’hui, au plan économique et social, notre difficulté à reconnaître et à développer concrètement le potentiel humain pour en faire un levier de croissance.
Nous devons donc changer de modèle, faire évoluer la culture d’entreprise.
L’enjeu est majeur. Ce gisement de croissance génère par la motivation a en effet la particularité d’être « durable » et « soutenable » car il se renouvelle dans le temps, en adéquation avec le potentiel énorme des progrès technologiques en cours, dont il faut savoir mieux tirer parti. À la lumière de ma propre expérience de dirigeant dans l’industrie et de mes observations des nombreux succès d’entreprises engagées dans cette voie, j’estime que l’on peut gagner jusqu’à 25 % de productivité par une meilleure mobilisation du facteur humain. Ce qui revient à générer un potentiel de croissance supplémentaire de 1 % par an pendant longtemps si l’on sait parallèlement investir ce supplément de performance en recherche et innovation.
Pour se concrétiser, ce changement nécessite une souplesse de l’organisation, la recherche en temps réel de solutions adaptées aux exigences des marchés et donc la mobilisation permanente de toutes les ressources du personnel.
Changer de modèle
De façon générale, les managers des entreprises françaises sous-estiment le potentiel de leur personnel, trop souvent perçu anonymement comme un coût, une charge, à travers le prisme réducteur de la masse salariale. La faute en revient, il est vrai, aux références qui leur ont été données dans leur propre formation, alors que nos voisins d’outre Rhin, au-delà la maîtrise de leurs coûts salariaux en temps de crise, ont su culturellement capitaliser sur la valeur de l’homme dans l’entreprise et le dynamisme des territoires, avec les effets bénéfiques que l’on voit aujourd’hui.
Dans notre pays, les modèles de management le plus souvent appliqués continuent principalement à viser la réduction des coûts par la production de masse, la réduction des aléas et la rationalisation des procédures ; ils s’inscrivent encore trop souvent dans un cadre taylorien où l’optimisation du poste de travail dans une organisation rigide prime sur la recherche de l’efficacité personnelle de chaque salarié dans une organisation adaptable.
A tort car, derrière la notion comptable de masse salariale, il y a en fait une communauté de personnes qui, quel que soit leur niveau d’éducation, ont des connaissances, réfléchissent et ont envie assez naturellement « de bien faire » si, et quand, elles peuvent participer pleinement à leur devenir collectif.
Dans les trente dernières années, le niveau de compétence, d’instruction et d’autonomie de chacun a beaucoup progressé. Des moyens considérables ont été mobilisés au titre de la formation professionnelle, tandis que l’irruption d’Internet et des réseaux sociaux a développé des facultés d’ouverture sur le monde tout à fait remarquables, notamment pour les jeunes générations.
Malheureusement, cette richesse nouvelle à portée de main est loin d’être pleinement utilisée dans nos entreprises et administrations, qui n’ont guère évolué quant au regard porté sur leurs collaborateurs. Beaucoup de ces derniers ont ainsi le sentiment d’être sous utilisés dans leur travail, et ils déploient leur sens de l’initiative ailleurs, au sein des multiples fenêtres qu’offre la société contemporaine. Alors que nous disposons de salariés et d’agents publics mieux formés et plus compétents que par le passé, nous ne leur demandons pas suffisamment ce qu’ils pensent de l’organisation dans laquelle ils évoluent et comment l’améliorer : c’est un gâchis certain et une source de démotivation palpable.
Recréer cette volonté de bien faire de chacun en étant pleinement reconnu comme un acteur au sein de l’entreprise, doit constituer un défi stimulant pour tout responsable.
Il s’agit de faire de l’entreprise un espace où chaque salarié a conscience, au-delà de son diplôme initial, de son potentiel et du capital humain qu’il représente, de sa responsabilité à le faire fructifier pour le bien-être de tous, a confiance dans la volonté de sa hiérarchie d’en tirer pleinement parti et où chaque directeur, cadre, manager, a conscience du rôle fondamental qu’il doit jouer dans l’évolution des capacités de tous les collaborateurs.
Comment ?
Cette évolution ne peut se réaliser sans une profonde transformation interne à l’entreprise ; la motivation, l’implication, l’appel à l’initiative et à l’inventivité de chacun dans un cadre d’équipe implique en effet un effort d’adaptation continue des compétences, ainsi qu’une gestion des carrières prenant appui sur les capacités maitrisées et les résultats atteints, plutôt que s’inscrivant dans des filières de progression traditionnelles ou catégorielles.
En clair elle implique de dépasser la « logique de poste » qui étouffe les possibilités de progression des personnes, au profit d’une logique s’appuyant sur les compétences existantes, et bien sûr en évolution en fonction de l’enrichissement de chacun et du renouvellement des équipes. Ce sujet est essentiel et stratégique. Il ne ressort pas d’une boite à outil « ressources humaines » mais doit partir d’une forte conviction et impulsion du dirigeant car, pour mobiliser le potentiel de connaissances, d’interactions, de découvertes et d’engagements de toutes les personnes qui se trouvent travailler ensemble dans une entreprise ou dans une administration, il doit savoir leur accorder l’autonomie dont elles ont besoin pour assumer leurs initiatives et prendre leurs responsabilités dans un environnement de travail qu’elles s’approprient.
Dans ce cadre :
Le développement des compétences professionnelles de chaque collaborateur doit devenir un élément majeur de la stratégie des dirigeants, comme facteur clef de la performance collective, dans le secteur privé comme dans le secteur public ;
Aucun dispositif ne saurait se substituer à la responsabilité de chaque personne dans la gestion de son propre capital compétence, gage de sa liberté et de son employabilité ;
Les hiérarchies intermédiaires doivent être repositionnées dans un rôle d’accompagnement du changement et de la prise d’initiative de chacun.
Via focusrh.fr