Voiture électrique : les gagnants et les perdants du changement de cap de l’Europe
La révision des objectifs d’émissions de CO2 annoncée ce mardi accorde un peu de répit aux constructeurs, mais ne satisfait pleinement personne. Bras de fer franco-allemand, positionnement des constructeurs : décryptage de ceux qui ont marqué des points.
Par Yann Duvert, Thibaut Madelin, Fabienne Schmitt
Le totem est tombé. Comme attendu, la Commission européenne a annoncé, mardi, l’assouplissement des règles sur les émissions de CO2 de l’industrie automobile. Jusqu’au bout, constructeurs, équipementiers et gouvernements ont essayé d’obtenir des arbitrages en leur faveur. Le détail des mesures annoncées, et ceux qui pourraient a priori en bénéficier.
· Loin du triomphe attendu pour l’Allemagne
A première vue, le nouveau plan de la Commission européenne répond parfaitement aux demandes allemandes : neutralité technologique, autorisation des ventes de voitures à essence au-delà de 2035 et compensation des émissions avec de l’acier vert. Le chancelier Friedrich Merz estime que la Commission est « sur le bon chemin ». Volkswagen a immédiatement salué une décision « pragmatique » dans un communiqué.
Mais une partie de l’industrie automobile allemande se montre déçue par le paquet automobile de Bruxelles. « Nous espérions une remise à plat du système et voyons tout au plus quelques impulsions positives », se plaint une source industrielle allemande.
Parmi les ombres au tableau : les 10 % de souplesse en matière d’émissions devront être compensés par l’utilisation d’acier à faible teneur en carbone produit dans l’Union ou par des biocarburants. « On devra prouver la provenance de l’acier », grince une source allemande. Ce compromis avait pourtant été proposé en octobre par les Länder de Bavière et de Basse-Saxe. Enfin, l’Allemagne a perdu la bataille du calcul des émissions CO2 des hybrides rechargeables.
· Assouplissement des objectifs 2030 : soulagement général
Prenant acte du retard des ventes de véhicules électriques, un autre assouplissement a été consenti par Bruxelles : les constructeurs pourront lisser leurs objectifs de réduction d’émissions à partir de 2030. A cette échéance, le taux de réduction a été maintenu à -55 % pour les voitures, mais il devra être atteint en moyenne sur trois ans et non plus dès 2030. Un dispositif similaire est déjà en place pour les règles applicables en 2025, que les industriels peuvent lisser jusqu’en 2027.
Un soulagement pour les constructeurs : « Plus que 2035, ce qui nous intéresse, c’est 2026 pour les utilitaires et les objectifs 2030 », confiait l’un d’eux quelques heures avant la décision de Bruxelles. Façon de dire que l’urgence est là.
· Contenu local : la crainte d’une défaite française
Le gouvernement français aura poussé jusqu’au bout pour imposer un taux minimum (75 %) de contenu fabriqué en Europe, afin de défendre le Vieux Continent face à la vague d’importations chinoises. Ce chiffre ne figure pas dans les propositions de Bruxelles, qui a renvoyé la question à une communication ultérieure. Dans le rapport de force en cours, « on saura qui sont les vainqueurs le 28 janvier », résume Jean-Michel Pinto, associé chez Roland Berger. La Commission présentera à cette date sa « loi d’accélération industrielle » qui doit favoriser le made in Europe.
A ce stade, seuls l’octroi de supercrédits pour les petits véhicules made in Europe, la valorisation de l’acier bas carbone européen pour avoir un objectif CO2 moins contraignant, et l’obligation d’un contenu local pour les flottes d’entreprises qui bénéficient de subventions, ont été mentionnés. Et ce, sans fixer de taux minimal de contenu local. Un moindre mal pour les équipementiers tricolores, qui devront néanmoins prendre leur mal en patience. C’est aussi une défaite pour le gouvernement français, qui avait conditionné toute flexibilité à l’exigence d’un contenu local.
· Les petites voitures, un bon point pour Renault et Stellantis
Une nouvelle sous-catégorie de voitures va être créée : la « M1e », qui comprendra les « petits véhicules électriques européens », de moins de 4,20 mètres. Sur ce nouveau segment, Bruxelles s’est engagé mardi à « réduire au maximum » l’introduction de nouvelles obligations réglementaires pendant dix ans.
Autre avantage : si un certain pourcentage de leur contenu est européen, un « super-bonus », avec a priori un multiplicateur de 1,3 (elles seront chacune comptabilisées dans les ventes comme 1,3 voiture), sera accordé aux constructeurs dans le calcul des émissions de CO2, jusqu’en 2034. D’autres incitations (parkings, péages, recharges à tarifs réduits) seront laissées à la discrétion de chaque Etat membre.
Cette annonce est une bonne nouvelle pour les constructeurs français, qui sont les spécialistes des petites citadines, et qui réclament de longue date la création d’une catégorie spécifique dotée de contraintes réglementaires allégées. Sur le papier, cela permettrait d’en abaisser significativement le coût, et donc le prix de vente, et participerait à tenir les objectifs de réduction de CO2 d’ici à 2035.
Au vu de la définition minimaliste retenue seulement basée sur la longueur du véhicule, Renault et Stellantis ont tous deux de nombreux modèles à proposer dans ce nouveau segment de marché. Renault pourra y faire entrer la R5, mais aussi la R4 et même la Megane électrique, qui mesure tout juste 4,20 mètres. Stellantis pourra compter de son côté avec la Fiat Grande Panda, la Citroën ë-C3 et très probablement les futures Peugeot e208 et Opel Corsa. En revanche, Volkswagen ne peut pas y glisser son blockbuster ID.3 long de 4,26 mètres.
· Véhicules utilitaires : victoire en demi-teinte
Dans une interview aux « Echos », le patron de Stellantis, Antonio Filosa, avait décrit un marché des utilitaires « en extrême souffrance », et réclamait des « décisions urgentes » de Bruxelles. Le dirigeant semble avoir été en partie entendu, puisqu’une trajectoire spécifique a été décidée pour ce segment.
Initialement fixé à 50 %, l’objectif de réduction des émissions a été abaissé à 40 % pour 2030 alors que les constructeurs, Stellantis en tête, visaient plutôt 30 %. Actuellement, 80 % des véhicules utilitaires légers (VUL) vendus en Europe sont toujours des diesels et l’électrification du parc atteint péniblement les 8,6 %, alors que les règles de l’UE prévoient une réduction des émissions de 15 % cette année. Les constructeurs réclamaient également un lissage des amendes sur cinq ans, mais ce point n’a pas été évoqué mardi. Le paquet proposé par la Commission « ne fournit pas de trajectoire viable pour le segment des véhicules utilitaires légers », a d’ailleurs estimé Stellantis mardi soir.
· Flottes d’entreprise : les petits pays mieux lotis
Bruxelles veut encourager le verdissement des flottes d’entreprise en fixant des objectifs chiffrés à l’horizon 2030 et 2035. Ces derniers seront calculés pour chaque pays, en fonction du PIB par habitant et devraient concerner les entreprises de plus de 250 employés et réalisant plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Selon « Bild », qui cite un document de la Commission, il résulterait du système envisagé que les grandes entreprises allemandes ne pourront acquérir que des véhicules électriques à partir de 2035. A titre de comparaison : le quota est de 66 % pour l’Espagne et de seulement 32 % pour la Bulgarie, indique le quotidien populaire. « Nous continuons de rejeter tout nouveau quota légal de types de véhicules dans les flottes de véhicules d’entreprise », a prévenu Friedrich Merz.
Yann Duvert, Thibaut Madelin, Fabienne Schmidtt

