« J’ai essayé de faire un film du côté de la création. Le décor principal, pour moi, c’était l’atelier. Or l’atelier que nous avons trouvé, c’était une vieille fonderie du début du siècle dernier. Un bâtiment immense, mais avec des carreaux cassés, une absence d’isolation, des pigeons qui s’installent dans ces usines désaffectées… Ce n’est pas simple de tourner dans en décor naturel ! (rires) En même temps, esthétiquement, ce décor a été bien travaillé, la décoratrice a fait un très joli travail. Le matin, j’étais content de me retrouver là. »
Vous avez tourné également dans la vraie maison d’Auguste Rodin, à Meudon…
« Oui, il a dû l’acheter en 1893, il devait avoir 43 ans. Il l’a acheté après la séparation d’avec Camille Claudel. Il y a vécu et travaillé, tout en continuant à travailler à Paris. Il avait jusqu’à six ateliers à Paris, cela représentait beaucoup de travail. Cet homme totalement inconnu à l’âge de quarante ans et qui, à priori, n’était pas fait pour réussir, est devenu vingt ans plus tard, une espèce de célébrité internationale. A soixante ans, il s’est retrouvé à la tête d’une petite entreprise qui marchait très bien. »
Vous n’avez pas tourné un biopic classique qui suivrait l’artiste du début jusqu’à la fin de sa vie. Vous vous intéressez particulièrement à sa manière de travailler et de réfléchir sur la création. Vous montrez Rodin à une étape de sa vie, où il est déjà un artiste confirmé.
« Il commence à être connu. Le film commence à l’époque ou Rodin reçoit sa première commande (La Porte de l’Enfer, ndlr). Il l’a reçoit très tard, à quarante ans. Cela marchera très bien, il deviendra une personne célèbre comme on a du mal à imaginer aujourd’hui, mais en même temps, il sera toujours combattu, en étant trop sensuel, trop érotique. Une partie du public et de la presse conservatrice vont l’attaquer jusqu’à la fin de sa vie. Evidemment, on ne peut pas avoir tout le monde de son côté… »
Le Balzac de Rodin à Prague
« A Prague, en 1902, Rodin est porté en triomphe dans la rue ! C’est inconcevable aujourd’hui pour un artiste, même pour une rock star. On l’a un peu oublié et c’est dommage : c’est à Prague que cela s’est passé ! Il a été célèbre à partir de 1900 où, à l’Exposition universelle à Paris, il a eu l’autorisation d’installer un atelier, un petit palais d’exposition tout à la gloire de son œuvre. Cette exposition a présenté uniquement des plâtres de Rodin. Cela a augmenté encore davantage sa célébrité. En 1901, il travaille, il se promène un peu… Mais l’immense succès de Rodin arrive ici, à Prague, en 1902. L’affiche de l’exposition pragoise ne montre pas Le Penseur, elle ne montre pas non plus Le Baiser, comme d’habitude, mais elle montre le Balzac ! La Galerie nationale de Prague possède également d’un Balzac, mais il se trouve actuellement dans une remise… (Prague acquit la statue en hommage à Balzac en plâtre en 1935 ; en 1970, elle a été coulée en bronze, ndlr) A sa place, la galerie a préféré installer un vaste serpent chinois (œuvre de l’artiste Ai Weiwei, ndlr), alors qu’il suffisait de la mettre dehors, devant le musée. C’est une œuvre tellement admirable ! Elle a survécu à tout et on la remet dans une remise au moment du centenaire de la mort de Rodin. Je trouve cela assez peu aimable… »
Au départ, vous étiez censé tourner un documentaire à l’occasion, justement, du centième anniversaire de la mort du sculpteur. Comment êtes-vous arrivé à la fiction ? Votre rapport à lui, a-t-il changé au cours de la réalisation du film ?
« Oui, fondamentalement. J’avais beaucoup d’estime et d’admiration pour une très grande partie de son œuvre, mais en travaillant sur lui, je l’ai découvert davantage. A partir de là, j’ai refusé le documentaire qui ne me disait pas grand-chose et j’ai commencé à écrire des scènes, où il y a un mélange entre ce que Rodin aurait dit ou aurait vécu et des choses que je lui prête. Mais ce que je lui prête n’est pas insensé, j’ai quand même affaire à un personnage qui a existé… Je voyais un homme qui régnait sur la fin du XIXe siècle. Je voyais moins bien le fait qu’il ait été l’homme aussi qui a amené la sculpture du XXe siècle. Brancusi et les autres, ils vont lâcher le morceau et le dire : grâce à Rodin, ils ont pu avancer davantage. »
Rodin a besoin de toucher la terre comme on touche la peau d’une femme
« Puis, il y a une chose que je ne connaissais pas, qui est relativement peu connue : ses dessins qu’il fait rapidement, des dessins presque toujours érotiques, entre deux femmes ou une femme seule. Il s’agit des milliers de dessins bien rangés dans les collections du Musée Rodin de Paris. Réalisés autour de 1900, ces dessins sont d’une invention, d’une audace, d’une fantaisie absolument inouïe. Ils sont absolument inconnus à la différence de ceux de Schiele ou d’autres. Comme ils étaient très érotiques, ils étaient forcément très embarrassants. Ils le sont toujours pour pas mal de gens je crois. Par ailleurs, Rodin est quelqu’un qui travaille la terre, qui a besoin de toucher la terre comme on touche la peau d’une femme. »
Vous le montrez bien dans le film : on y voit Rodin modeler, pas vraiment sculpter.
« Oui, je voulais absolument montrer que son travail est d’une sensualité très forte. Le travail sur la pierre, sur le marbre, n’est pas pour lui. Cela ne veut pas dire qu’il ne va pas utiliser les meilleurs sculpteurs pour faire en sorte qu’on reproduise exactement ce qu’il a fabriqué avec la terre. Bref, c’est un homme qui étonne aujourd’hui encore. »