Outre la perte de souveraineté économique et technologique, la cohésion territoriale du pays a pâti de la vision postindustrielle de notre économie. Outre-Rhin, la présence d’usines à proximité des villes, petites et moyennes, a permis une répartition de la richesse, là où, en France et en Angleterre, sa création se concentrait dans les métropoles, via les services à valeur ajoutée. Le sentiment de déclassement de nos villes intermédiaires fut l’une des principales causes du mouvement des Gilets jaunes.
Les gouvernements récents ont pris le sujet à bras-le-corps et décidé de mettre en place des politiques de l’offre. Des paramètres de compétitivité fiscale ont été ajoutés, des schémas de subventionnement massif sont envisagés… Mais cela ne suffira pas ! Et seule une action minutieuse et locale pourra reconstruire ce que quatre décennies ont détruit.
Les projets de développement industriel et leurs écosystèmes s’ancrent dans les territoires. Pour longtemps encore, c’est là que se croisent l’envie d’entreprendre, l’envie d’industrie, et ses premiers leviers de succès : salaires à l’abri des tensions des marchés du travail métropolitains, disponibilité du foncier, moindres contraintes logistiques, etc. Or, l’ingénierie de projet et certaines compétences qui sont nécessaires pour un indispensable soutien se sont concentrées dans les métropoles. C’est là un nœud de notre reconquête industrielle : savoir reconnecter des moyens centralisés avec les acteurs de terrain.
Il convient donc de clarifier les rôles respectifs des acteurs locaux et centraux et surtout sortir de cette culture d’infantilisation et de déresponsabilisation qui prévaut parfois entre nos échelons administratifs et politiques
Long processus. Il n’y aura pas de grand soir de la réindustrialisation mais un long processus, une somme de milliers d’initiatives locales. Cela supposera d’accepter le temps long et la continuité de l’action, d’éviter les effets de manches du jeu politique trop court-termiste, et surtout de faire confiance aux acteurs locaux, d’être au plus près du « terrain » : élus des communautés de communes, dirigeants de PMI et d’ETI, directeurs de site de grands groupes, animateurs de clubs locaux de chefs d’entreprise…
Cette confiance se construira par un dialogue simple : à l’Etat et aux Régions de mettre à la disposition des porteurs de projets des outils simples, accessibles, opérationnels, d’éviter les ribambelles de critères contreproductifs et les procédures interminables qui, en fait, masquent un manque de confiance. Aux territoires et à leurs entreprises de se doter des compétences pour porter leurs ambitions, sans attendre des projets tout ficelés tombés de Paris, de la capitale régionale ou du siège du groupe.
Tout projet exige de l’appropriation locale, de la force de conviction, cela se prépare, se monte, se construit sur place… Il convient donc de clarifier les rôles respectifs des acteurs locaux et centraux et surtout sortir de cette culture d’infantilisation et de déresponsabilisation qui prévaut parfois entre nos échelons administratifs et politiques. C’est un pacte de confiance qu’il faut nouer, un pacte qui doit accepter les échecs et les succès, qui doit transcender les divergences politiques et privilégier les réalisations concrètes aux effets d’annonces.
Bertrand Mabille, associé EPSA, et Olivier Lluansi, auteur de Vers la renaissance industrielle (Editions Marie B. 2020), Associé PwC Strat&