Cette entreprise qui récupère les métaux dans les cendres des incinérateurs
Grâce à ses technologies innovantes et à son modèle inédit basé sur des usines mobiles, Cyclamen a recyclé des milliers de tonnes d’aluminium et de cuivre perdues parmi les déchets ménagers brûlés. Elle affiche une croissance de plus de 400 % sur trois ans.
Par Pierre Fortin Publié le 5 avr. 2025
C’est l‘histoire peu banale de trois anciens cadres d’entreprises prospères qui se métamorphosent en prospecteurs des temps modernes, avides de métaux. Ils découvrent un nouveau filon, qu’ils parviennent à exploiter pour en tirer non pas de l’or ou de l’argent, mais de l’aluminium, du cuivre ou du zinc pour lesquels la demande ne cesse de croître.
Rembobinons en 2012, lorsque ces trois ingénieurs de formation décident de quitter leur travail pour monter une entreprise qui « ait du sens », si possible dans la transition écologique. Jusque-là, une histoire plutôt classique dans le monde des start-up. Oui mais… Adrien Antenen, Michel Delain et Arnaud Chaulet créent la société Cyclamen avant même de savoir à quoi elle sera dédiée ! Seul l’objectif environnemental compte.
Dans un premier temps, le trio lance une activité pour recycler les terres rares dans les aimants permanents, et une autre pour récupérer les métaux précieux dans les résidus. C’est un double échec, qui ne décourage pas ces entrepreneurs. « Nous n’avions plus d’argent et nous nous sommes retrouvés à faire du négoce de matières indésirables, que nous rachetions et que nous expédions en Allemagne et en Angleterre pour traitement, raconte Arnaud Chaulet. C’est alors que Veolia nous a parlé du problème des métaux présents dans les cendres d’incinérateurs de déchets ménagers, qui posaient des problèmes pour requalifier ensuite ces cendres en gravats de construction de route. »
Emballages, déchets électroniques ou opercules de yaourts mal triés…, de nombreux métaux non ferreux parfaitement recyclables se retrouvent dans l’incinérateur avec le tout-venant, sans toutefois brûler. Et contrairement aux métaux ferreux faciles à retirer grâce à un aimant, l’aluminium, le cuivre ou autre zinc sont pénibles à extraire. « Certains opérateurs enlèvent ces métaux sans les valoriser car ils gênent la transformation du mâchefer en gravats, d’autres le laissent au risque de les voir s’oxyder dans les gravats et déformer les routes », explique Arnaud Chaulet. En étudiant le sujet en partenariat avec l’éco-organisme Citeo, l’équipe de Cyclamen découvre que ce gisement dans le mâchefer – ce qui reste de l’incinération – pourrait atteindre 50.000 tonnes en France et plus du double en Allemagne ! Le trio y voit une opportunité et une manne pour augmenter le taux de recyclage des métaux tout en contribuant à la souveraineté du pays en matières premières.
Usines sur roues et rayons X
Après plusieurs années de R&D, Cyclamen met en place un modèle innovant pour exploiter ces richesses noyées dans les déchets reposant sur deux activités distinctes : l’extraction des métaux non ferreux dans le mâchefer grâce à des usines mobiles – au nombre de trois pour le moment – se déplaçant jusqu’aux incinérateurs et une usine innovante de tri de ces métaux, située en Moselle.
Chaque usine mobile peut être transportée de site en site grâce à cinq camions. Elles sont constituées d’une chargeuse, d’un gros crible et de nombreux éléments pour mettre en place un courant de Foucault permettant d’extraire les métaux des cendres. « C’est une technologie bien connue et très ancienne, mais dont le bon réglage est très difficile à trouver, indique le directeur général de la société. En augmentant la densité des métaux non ferreux, il est possible de les séparer de la matière inerte. » De quoi permettre à Cyclamen d‘extraire 80 % des métaux non ferreux des cendres d’incinération. Le mâchefer restant est vendu sous forme de gravats à haut degré de pureté par les opérateurs des incinérateurs.
Envoyés ensuite dans l’usine de Moselle, ces métaux très hétérogènes dans leur alliage sont soumis à des rayons X qui analysent précisément leur constitution. Cyclamen a élaboré son propre logiciel, utilisant la big data, qui permet de trier précisément ces métaux selon plusieurs dizaines de scénarios élaborés, afin de les répartir en groupes les plus homogènes possibles. Et ce avec un certain succès : « Les alliages obtenus sont pour certains si purs qu’ils peuvent être utilisés directement par les fabricants, sans passer par l’étape fonderie. Ce qui est plus économique et plus écologique », se réjouit Arnaud Chaulet.
Les déchets de 12 millions de Français passés au crible
Les usines mobiles de Cyclamen traitent, depuis leur fondation, les cendres d’une vingtaine d’incinérateurs, soit l’équivalent du volume de déchets produit par environ 12 millions de Français. Par mois, l’entreprise est ainsi capable de produire environ 700 tonnes d’aluminium – qui représente 55 à 65 % des métaux non ferreux retrouvés – et 200 à 300 tonnes d’autres matériaux parmi lesquels des alliages cuivreux, de l’inox ou même quelques métaux précieux issus des déchets électroniques. De quoi dégager un chiffre d’affaires de 24 millions d’euros en 2024, après trois années d’une croissance ébouriffante estimée à plus de 400 %. Et l’entreprise n’a effectué aucune levée de fonds, les trois fondateurs détenant 100 % du capital.
Si Cyclamen fait actuellement estimer son impact environnemental, nul doute que celui-ci s’avère bénéfique. « Notre procédé est peu énergivore, nous n’avons pas de four et nous ne consommons que de l’électricité et pas d’énergie fossile, assure le directeur général de la société. En outre, l’aluminium recyclé émet 95 % de CO2 en moins que l’aluminium vierge, responsable de 8,6 kg de CO2 par kilogramme produit. » Afin de déployer plus largement son modèle, l’entreprise de cinquante salariés, déjà présente dans quelques pays européens, lorgne vers le sud du Vieux Continent. Elle cherche actuellement à implanter une nouvelle usine en France méridionale, afin de poursuivre sa quête visant à extraire de précieux matériaux des cendres de nos ordures. Jusqu’au jour encore lointain où nous apprendrons à correctement les trier.
Pierre Fortin