Réarmement français : l’évidence Renault – par Philippe Fabry
Dès 1914, sous l’impulsion de son fondateur Louis Renault, l’entreprise se reconvertit massivement pour produire obus, moteurs d’avions et ambulances
Publié le 11 novembre 2025 à 11:40
Philippe Fabry
Les tanks français F17 conçus par Renault F17, ici dans l’Aisne durant la Première Guerre mondiale – MARY EVANS/SIPA/MARY EVANS/SIPA
Les faits –
Dans un contexte de tensions géopolitiques exacerbées par la guerre en Ukraine, le ministère des Armées a récemment sollicité Renault, groupe emblématique de l’automobile française, pour contribuer à l’effort de réarmement national. Annoncé en juin 2025, ce partenariat potentiel a pu surprendre, s’agissant d’un groupe depuis longtemps recentré sur les véhicules civils, mais ravive en réalité un héritage militaire forgé au cœur des conflits du XXe siècle. Cette initiative interroge les liens entre innovation civile et défense, tout en promettant des retombées économiques pour l’industrie automobile tricolore.
L’entreprise Renault, fondée en 1898 par les frères Louis, Marcel et Fernand Renault, a joué un rôle central dans l’industrie automobile française dès le début du XXe siècle, mais aussi très vite dans l’industrie militaire française, avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale.
Dès 1914, sous l’impulsion de son fondateur Louis Renault, l’entreprise se reconvertit massivement pour produire obus, moteurs d’avions et ambulances. Les célèbres « taxis de la Marne » (modèle AG1) transportent 6 000 soldats vers le front en septembre 1914, symbolisant la mobilisation nationale. Renault fournit aussi des camions, tracteurs et voitures d’état-major (comme la 6 cylindres du maréchal Joffre).
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Pionnier. Le constructeur automobile fut aussi pionnier dans le développement du véhicule blindé avec le fameux char Renault FT, le meilleur blindé français de la guerre. Imaginé en 1917 par le lieutenant-colonel Estienne, puis co-conçu par celui qui hérita du surnom de « père des chars » et Renault, qui remporta l’appel d’offres et l’industrialisa, ce blindé révolutionna la guerre mécanisée en imposant des standards encore en vigueur pour la plupart des tanks modernes : tourelle pivotante à 360 degrés, moteur arrière et chenilles débordantes pour une meilleure stabilité. Près de 3 700 exemplaires furent produits en 18 mois, principalement aux usines Billancourt, contribuant à la victoire alliée en 1918.
En 2001, Renault vend sa division Renault Trucks Defense (RTD) au suédois Volvo, marquant la fin d’une implication directe dans l’armement terrestre
Ingéniosité mécanique et production de masse, telle était l’identité industrielle de Renault au sortir du premier conflit mondial, et si l’héritage de Louis Renault fut assombri par la collaboration dont certains l’accusèrent (le débat est toujours vif sur la réalité de cette collaboration chez les historiens) avec les forces allemandes sous l’Occupation, les usines du constructeur furent nationalisées en janvier 1945 par ordonnance du général de Gaulle, transformant Renault en Régie nationale des usines Renault (RNUR) et permettant à l’entreprise de survivre aux errements prêtés à son fondateur.
Instrument de reconstruction. Renault devint dès lors un instrument de reconstruction nationale, oscillant entre productions civiles (comme l’iconique 4CV) et militaires (chars et véhicules logistiques), renforçant son rôle de pilier de l’industrie française dans l’après-guerre. La branche défense, via Renault Véhicules Industriels, demeura importante en dépit d’un développement de plus en plus tourné vers le civil sous l’égide de l’Etat.
A partir des années 2000, le groupe opte cependant pour un désengagement progressif : en 2001, Renault vend sa division Renault Trucks Defense (RTD) au suédois Volvo, marquant la fin d’une implication directe dans l’armement terrestre. RTD, rebaptisé Arquus en 2018, poursuit de façon indépendante, tandis que Renault se recentre sur l’automobile de grand public, des utilitaires et l’électrique.
Ce retrait n’efface pas le savoir-faire en ingénierie adaptable – modularité des chaînes de production, matériaux composites, systèmes embarqués – prêt à être réactivé pour d’autres défis, comme la mobilité autonome des voitures-robots.
Réarmement. Aujourd’hui, le passé resurgit dans un contexte de réarmement accéléré. En réponse à l’invasion russe de l’Ukraine en 2022, le gouvernement français a dévoilé en 2023 la loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, dotée de 413 milliards d’euros – un tiers de plus que la précédente LPM –, pour moderniser les armées face à un environnement sécuritaire dégradé.
Ce budget, en hausse de 7,5 % annuel en moyenne, vise à doubler les capacités en drones, munitions et cyberdéfense, tout en favorisant des partenariats industriels pour une « souveraineté stratégique ». L’Europe, elle, mobilise 800 milliards d’euros via des initiatives comme ReArm Europe, pour combler les retards face à un allié américain devenu imprévisible.
Les nouveaux véhicules GRIFFON et JAGUAR, dans le nouveau paradigme de la guerre de haute intensité telle qu’observée en Ukraine, pourraient avoir un rôle aussi novateur que les premiers chars en 1917
Drones. Les discussions entre Renault et le gouvernement ont pris corps en juin 2025, lorsque le ministre des Armées (alors Sébastien Lecornu) annonce un « partenariat inédit » impliquant une « grande entreprise produisant des voitures françaises » pour assembler des drones, en alliance avec une PME de défense. Renault a confirmé le contact le 8 juin, sans décision ferme, précisant que toute production se ferait « sous égide du ministère » et uniquement en France. A ce stade, le groupe n’a pas officialisé de se lancer dans la fabrication de drones.
Ce projet s’inscrit dans l’effort pour réarmer l’Europe tout en préparant les forces françaises, et notre industrie de défense, aux nouveaux modes de combat apparus depuis trois ans. Le genre de mutation que Renault a déjà su conduire : on a évoqué la révolution du FT-17 jadis, aujourd’hui Arquus, ex-Renault Trucks Defense, est encore à la pointe de l’innovation en matière de cavalerie blindée avec les nouveaux véhicules GRIFFON et JAGUAR, qui dans le nouveau paradigme de la guerre de haute intensité telle qu’observée en Ukraine pourraient avoir un rôle aussi novateur que les premiers chars en 1917, notamment avec le retour aux roues, plus faciles à changer que les chenilles, la mobilité étant redevenue une priorité dans les environnements très dangereux, saturés de drones.
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Virage. Ce virage promet des transferts de technologies bénéfiques dans le domaine civil. Les avancées en drones (autonomie, IA embarquée, capteurs), si Renault en confirmait la production, pourraient irriguer les véhicules civils, améliorant la navigation et la sécurité des modèles futurs.
Cela pourrait permettre à Renault de rattraper ses concurrents, transformant l’effort militaire en levier d’innovation civile, comme cela a pu être le cas par le passé. Economiquement, cette diversification stabiliserait les revenus de Renault face à la transition électrique et autonome, qui nécessite des investissements massifs.
Des partenariats avec la DGA pourraient générer des commandes sécurisées, offrant des emplois qualifiés en ingénierie et assemblage pour 2026-2030, avec des relocalisations dans les usines françaises comme Flins ou Douai
Des partenariats avec la DGA pourraient générer des commandes sécurisées, offrant des emplois qualifiés en ingénierie et assemblage pour 2026-2030, avec des relocalisations dans les usines françaises comme Flins ou Douai.
En soutenant l’industrie duale civile et militaire, Renault honorerait son héritage et renforcerait la souveraineté française, par le maintien dans la course technologique et la préparation aux nouveaux défis en matière de défense. Et rappellerait qu’en matière industrielle, la France n’a pas dit son dernier mot.
Philippe Fabry est un historien, avocat, essayiste et romancier français.



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