Par Jean Luc Brillanceau, Directeur Général des Fondeurs de France.
« D’un coté les fondeurs et les forgerons du passé et l’accumulation de leurs connaissances empiriques, de l’autre une activité industrielle intense qui en France représentait encore il y a peu près de 1 800 000 emplois dans 45 000 entreprises environ ».
Nos professions de la forge et de la fonderie se seraient bien passées de l’image peu flatteuse ainsi donnée de leur histoire, dès la troisième ligne de l’introduction du rapport intitulé « La métallurgie / science et ingénierie » issu des travaux de l’Académie des Sciences et de celle des Technologies.
Alors certes, s’il est un énième rapport passé relativement inaperçu au début de l’année 2011, dans le prolongement de tous ceux inspirés par les Etats Généraux de l’Industrie de mars 2010, c’est bien celui-là et l’on pourrait donc s’en féliciter. Reste que ce serait bien dommage car il oblige, par ailleurs, à la réflexion prospective.
Il est juste, lucide, dérangeant voire alarmant… argumenté, chiffré… Et même si, comme l’illustre le rappel historique précité, le trait peut parfois paraître forcé, il a non seulement le mérite d’être un long (127 pages du rapport hors annexes) cri d’alarme mais encore d’esquisser quelques solutions… car il n’est jamais trop tard pour se reprendre.
Que dit ce rapport dans ses grandes lignes ?
Des effectifs qui régressent, une production au mieux stable, donc en décroissance en termes relatifs, des centres de gravité et de décision qui se sont éloignés de la France, une image passéiste de l’élaboration et de la transformation de la fonte, de l’acier, des métaux en général, parfois au bénéfice de celle perçue comme plus dynamique, par référence à ses prouesses technologiques, de la mécanique.
Même si elle demeure sympathique dans l’inconscient collectif, la métallurgie véhicule encore, pour beaucoup, l’image des hauts fourneaux et, plus généralement, le cortège de celles, peu flatteuses, attachées aux mots « révolution industrielle » et ce, quel qu’ait pu être le chemin parcouru depuis lors… Et le rapport de souligner que le ressenti est évidemment différent dans nombre de pays aux économies émergentes…
Rien d’étonnant alors que là où d’autres poussent les feux, nous éteignions les nôtres, et pas seulement en production ? Mais n’est-ce pas aussi la tendance en matière de recherche tant publique que privée ?
Un effort universitaire qui s’émiette et un enseignement qui s’affaisse. Les jeunes chercheurs et ingénieurs font déjà cruellement défaut et la perte de compétences est collective. Le rapport rappelle « que les filières d’enseignement, naguère nombreuses, dynamiques et attractives, se sont raréfiées ». L’enseignement de la métallurgie a été réduit à la portion congrue dans de nombreuses écoles d’ingénieurs et, insigne signe, a même disparu à Polytechnique !
L’ESFF, notre Ecole Supérieure de Fonderie et de Forge, fait presque figure d’exception dans ce paysage, mais pour combien de temps encore ?
Et que dire de la Recherche et Développement ? Une recherche technique essentiellement privée qui tente de résister et des centres techniques sectoriels en quelque sorte contraints à la quadrature du cercle : servir le collectif en défrichant de nouveaux champs d’application afin de tirer les professions vers le haut tout en étant contraints de faire porter leur effort sur le lucratif, serait-il hors champ par rapport à leur vocation technique, via des prestations individualisées … qu’en réalité, seuls les financements mutualisés sur fonds publics rendent possibles !
Inutile de rechercher tel ou tel responsable de cette situation.
La métallurgie est une science à part entière « aux frontières du savoir et au cœur du produire », et le rapport met en exergue, à juste titre, son apport fondamental comme « mère de la science des matériaux, comme source de progrès et réservoir d’emplois ».
La métallurgie est aussi une industrie en pleine mutation et le pays risquerait certainement l’épuisement, comme le souligne le rapport des deux académies, à vouloir reprendre des tonnages partis sous d’autres cieux ; cela étant, l’intérêt du rapport est aussi de montrer « qu’il faut du temps pour construire les compétences indispensables et qu’un rien suffit à les détruire », que « Sous-traiter ou externaliser l’expertise en métallurgie crée une dépendance dans des domaines stratégiques et se paie cher à terme ».
Il n’est peut-être pas trop tard mais encore faut-il y croire !
Nous serons tous collectivement responsables si nous n’avons pas à notre niveau la volonté de réagir et si nous ne nous donnons pas les moyens d’insuffler de l’ambition et de l’attractivité à ces « vieux » métiers de la forge et de la fonderie, piliers de la métallurgie et surtout de l’industrie.
Il n’y a plus qu’un mot à dire après ce faire-part de décès (annonçé) : R.I.P!!
que signifie R.I.P ?
@Lucien : RIP : Rest In Peace (repose en paix)
et à l’origine: »requiescat in pace »!
Bravo Monsieur « GAFFIOT » (du nom du plus célèbre dictionnaire Latin-Français)
RIP veut bien dire « requiescat in pace » (repose en paix) même dans les pays anglo-saxons qui n’en ont pas oublié l’origine.
Comme quoi on peut être fondeur et avoir des lettres.
Et on pourra, au passage, enlever la cédille à « annoncé » pour faire plaisir à notre Bébert. 😉
@ Mékilékon : Nous n’avons pas du lire la même prose, notamment le dernier paragraphe.
Concernant ce dernier paragraphe, il n’est sans doute pas trop tard mais je trouve un peu simpliste de vouloir dénoncer une responsabilité collective. Quel bilan positif peut-on tirer des actions menées ces dernières années? Chacun prêche dans son petit désert et il n’y a personne pour canaliser les « bonnes énergies ». En ce moment c’est, plus que la concurrence des pays Low-Cost, une certaine concurrence Franco-Française qui ne va pas dans le bons sens…
Tout à fait d’accord avec Anonyme de 11:43.
L’un n’empêche pas l’autre : la concurrence (pas toujours loyale et respectueuse des lois) des pays low-cost (appuyée par les grands donneurs d’ordre apatrides) et celle fratricide entre les quelques fondeurs restants en France.
Ces derniers peuvent constituer des task-force (plutôt des G.I.E., en français) pour avoir plus de puissance financière et économique. Mais que feront-ils s’il n’y a plus de formation scientifique et technique dans leur domaine, si mème les autorités (in)compétentes ne leur donnent pas un coup de main, etc.
Sachez que je ne prêche pas. J’observe, je lis, j’écoute, je m’informe et j’essaie de comprendre. Pas facile. Mais dans l’état actuel des choses (et qui ne devraient pas s’améliorer avec la hausse des matières), je ne vois pas beaucoup de solutions à terme pour la métallurgie dans nos pays européens. Nous avons atteint, à mon avis, un point de non-retour. Il y a encore 10-20 ans, un sursaut aurait été possible. Mais nous, collectivement, n’avons mème plus cette orgueil de mourir en combattant. Nous faisons partie d’un secteur d’activité sur le décclin, décrié, jugé obsolète et non-porteur d’avenir. La messe est dite. Ce n’est que mon avis, bien sûr.
Le secteur de la métallurgie est relancé depuis ces dernières années et connaît un besoins en recrutement très importants (estimés entre 115 000 et 128 000 par an d’ici 2020) mais qui a du mal à attirer des candidats.