« Un quart des jeunes employés se considèrent comme déclassés par rapport à leurs parents.
Toute entrée dans la vie active devrait avoir eu pour préalable un passage en formation professionnelle initiale. Cela exige que l’on ait le courage de redéfinir la grille d’analyse des métiers héritée du fordisme.
Jean-Jacques Dijoux est directeur général de LFD conseil.
Il n’y a pas d’enjeu aussi majeur que l’enseignement professionnel, avec une vraie vision et une dynamique nouvelle. Prenons l’exemple de l’Autriche, où l’enseignement professionnel était jusqu’ici la voie royale, notamment sous la forme d’une alternance assez proche du système dual allemand. Les besoins en main-d’œuvre opérationnelle importants à la fin du XIXe siècle et au début du XXe , les relations de « cousinage » avec l’empire prussien, ont conduit dès le tout début du XX° siècle à la mise en place de formations pour les jeunes ouvriers pour qu’ils aient les moyens d’exécuter les tâches confiées. Le système, qui a évolué avec le temps, reste avec pour principal objectif cette capacité à exercer les activités professionnelles dès la sortie de la formation.
En France, pays de l’encyclopédie, où l’éducation est plus un objet de liberté individuelle et de capacité à exercer son rôle de citoyen, l’accent a été mis au cours de l’histoire sur les connaissances nécessaires à cet exercice.
Les deux exemples, choisis parmi d’autres, illustrent le poids de l’économie et de l’histoire dans l’approche que les citoyens d’un pays ont du rôle du système éducatif et des politiques publiques en la matière.
Alors qu’un quart des jeunes employés se considèrent comme déclassés par rapport à leurs parents et que près de 20 % sont sans emploi, une réflexion approfondie autour du rôle de l’enseignement professionnel, au lycée professionnel comme en apprentissage, est absolument nécessaire.
Les acteurs de cette formation initiale sont-ils prêts à se poser les questions nécessaires pour que la voie professionnelle soit enfin reconnue et qu’elle dispose des moyens de son adaptation aux défis que pose la quatrième révolution industrielle que nous sommes en train de vivre, celle de l’intelligence artificielle et des enjeux climatiques qui s’organise autour des trois défis : numérique, énergétique et écologique ?
Les trois défis à poser à la formation professionnelle initiale sont les mêmes que ceux lancés à l’économie en général.
Premier point, l’enseignement professionnel concerne tout le monde, il se devrait de regrouper l’enseignement tant secondaire que supérieur.
Toute entrée dans la vie active, passe, au risque d’un chômage de longue durée, par un passage par la formation professionnelle initiale, indépendamment des modalités juridiques et pédagogiques d’exercice.
Deuxième point, il nous faut réviser notre conception même de la formation professionnelle initiale. Il s’agit aujourd’hui, au-delà de l’apprentissage des pratiques professionnelles de la mise en valeur de quatre cultures générales, en préalable à l’exercice même des métiers comme support aux pratiques professionnelles. Il s’agit d’un préalable, ce qui ne signifie pas un décalage dans le temps nécessairement, mais plutôt une acquisition suffisante et diversifiée de ces cultures générales. Il s’agit bien évidemment des cultures générales économique et citoyenne, écologique, énergétique et numérique.
Troisième point, on ne peut plus penser les métiers et leur enseignement comme en 1960 ou même comme en 2000. Plutôt que de se concentrer sur les gestes professionnels et les technologies qui les accompagnent, il devient urgent de penser l’enseignement au travers des facteurs communs de pratiques professionnelles et d’y adjoindre les compétences qui émergent comme relevant de telle ou telle pratique professionnelle.
Cette notion a été travaillée par une équipe d’ethnologues qui ont fait émerger la notion de « palétuvier des compétences ». L’enseignement professionnel porterait sur un nombre d’apprentissages communs à un groupe de métiers en s’appuyant sur les cultures générales explicitées auparavant. Cela exige que l’on ait le courage de redéfinir la grille d’analyse des métiers héritée du fordisme et de la remplacer par une autre grille, fondée sur les trois enjeux et les pratiques professionnelles et qui n’ait pas d’autre ambition que de faire le tour des possibles, laissant le certain aux réalités évolutives des pratiques professionnelles.
Cette vision d’une nouvelle formation professionnelle initiale pourrait s’inscrire dans un nouveau contrat éducatif pour la formation professionnelle initiale qui ne laisserait pas la responsabilité aux seuls Etat et régions, mais qui la partagerait avec l’ensemble des professions représentées par les organisations interprofessionnelles territoriales, un peu comme nos amis allemands le font aujourd’hui.
Qui relève le défi ?