Mobilisation générale pour résoudre la pénurie de main-d’oeuvre dans l’industrie
Alors que 60.000 postes sont déjà vacants dans l’industrie, le manque de popularité du secteur auprès des jeunes générations menace les ambitions de réindustrialisation du gouvernement français. Le ministre de l’Industrie, Roland Lescure, veut changer la donne. Reportage.
Par Ninon Renaud LES ECHOS extraits
C’est l’attraction du jour pour les milliers de jeunes venus vendredi dans des cars scolaires affrétés par les rectorats de la région lyonnaise au salon des métiers WorldSkills France , qui s’est tenu à Eurexpo du 14 au 16 septembre. Le ministre de l’Industrie Roland Lescure est sur place : les manches retroussées, il arpente avec gourmandise les allées du hall 4 où 200 mètres carrés sont consacrés à la découverte des métiers industriels. « C’est quoi l’industrie ? » demande-t-il aux adolescents qu’il interpelle sur son chemin.
A l’excitation provoquée par la « coolitude » de ce ministre qui multiplie les « checks » et les selfies avec eux et leurs enseignants, succède un silence embarrassé. Roland Lescure ne se démonte pas, visiblement habitué à ce que les connaissances des jeunes se limitent aux métiers de service. Il enchaîne : « L’industrie, c’est tout ce qui fabrique quelque chose. Cela peut être ton tee-shirt, tes baskets, une voiture ou un avion. Le maillot de l’équipe de France de rugby est fabriqué en France », souligne-t-il.
Un manque de notoriété préoccupant
Ce manque de notoriété du secteur auprès des jeunes est un véritable défi au regard de l’ambition du gouvernement de réindustrialiser la France. Le pays a créé 90.000 emplois industriels entre 2017 et 2022, . Mais le nombre de postes vacants dans l’industrie a été multiplié par trois pour atteindre 60.000 au cours de la même période.
Selon une enquête de Bpifrance publiée en juin, 62 % des patrons de PME et ETI interrogés déclarent rencontrer des difficultés de recrutement. « D’ici dix ans, nous aurons besoin d’environ 1,3 million de personnes dans l’industrie », a confirmé Roland Lescure sur France Info mardi dernier.
Une carrière assurée
« Ça paie bien l’industrie ? » demande de but en blanc un collégien intrigué par les propos de Roland Lescure. « Tu peux gagner 3.000 euros par mois et bien plus parce qu’on a besoin de ces métiers dans la durée », assure le ministre en super VRP du secteur. Une carrière dans l’industrie ne s’arrête pas au bac pro.
« En France, la rémunération va de pair avec le diplôme et j’ai multiplié par deux mon salaire pour le même emploi », explique Sébastien Guittel aux « Echos ».
On a besoin de vous les filles. Vous n’occupez encore que 20 % des emplois dans l’industrie, il y a des places à prendre !
Roland Lescure Ministre de l’Industrie
Un peu plus loin, Roland Lescure s’attelle au montage chronométré d’un petit robot connecté aux côtés de sept collégiennes concentrées. « Je pensais plutôt à la pédiatrie, mais maintenant, je me dis pourquoi pas la robotique », confie Nouryatou, 14 ans, en vissant sa pièce. « C’est super, on a besoin de vous les filles. Vous n’occupez encore que 20 % des emplois dans l’industrie, il y a des places à prendre ! », encourage le ministre qui fait feu de tout bois.
60.000 postes vacants
Il rejoint ainsi les patrons de la trentaine de fédérations de France Industrie dont OPCO 21, l’organisation de promotion de l’emploi et la formation, a organisé et financé le pavillon consacré à l’industrie. « Sans vous, rien ne serait possible ! » remercie le ministre sous les applaudissements. L’énergie qu’il déploie pour mobiliser l’ensemble des acteurs, au risque d’épuiser la poignée de membres de son cabinet l’accompagnant, illustre l’urgence que représente la revalorisation de la filière industrielle.
Certains professionnels sont en effet déjà devenus des perles rares : « Nous avons besoin chaque année de 5.000 chaudronniers et autant de tuyauteurs et soudeurs alors que nous en formons moitié moins. C’est sans compter les besoins de la filière nucléaire qui vont aller croissant », indique ainsi Yolande Bufquin, secrétaire générale du Syndicat national de la chaudronnerie et tuyauterie (SNCT), tandis que Roland Lescure s’essaie à la soudure.
Un « Top chef » de l’industrie
Le salon WorldSkills France arrive à point nommé. Les multiples expositions d’objets industriels et ateliers ludiques, du soufflage du verre pour fabriquer une boule de Noël à la conduite d’une mini-pelleteuse électrique pour pêcher des canards en plastique, sont l’occasion d’aiguiser l’intérêt des jeunes. L’industrie est encore marquée par la profonde cicatrice laissée par les fermetures d’usines qui ont, au cours des années 1970, entraîné le déclassement des grands-parents d’une partie de la nouvelle génération.
Avec leurs épreuves techniques chronométrées, les compétitions qui ont opposé durant trois jours 785 jeunes de moins de 23 ans venus de toute la France, dont 213 sur une vingtaine de métiers industriels, avaient un petit air de « Top Chef » de l’industrie. « C’est une aventure humaine qui donne confiance, on dépasse nos limites », s’enthousiasme Audric, 20 ans, technicien automobile en dernière année de BTS qui participait aux épreuves.
Roland Lescure compte surfer sur cette théâtralisation en invitant à Bercy les quelque 60 champions du concours lors de la semaine de l’industrie fin novembre. Ils représenteront les couleurs de la France dans un an lors des compétitions mondiales WorldSkills qui se tiendront à Lyon, dans la foulée des Jeux Olympiques. Un timing porteur pour susciter des vocations.
Ninon Renaud (Envoyée spéciale à Lyon)