prévient la patronne d’Eramet dans LES ECHOS –
Nous allons consommer de plus en plus de métaux critiques dans les décennies à venir. Pour être maîtres de son destin, l’Europe, qui ambitionne de se réindustrialiser, doit sécuriser son approvisionnement en minerais.
Ces deux crises, le Covid et l’Ukraine, ont révélé la grande fragilité de nos chaînes de valeur en Europe et notre dépendance en termes d’approvisionnement sur certains matériaux critiques et même de composants industriels au sens large, comme les semi-conducteurs .
Nous avons compris que notre souveraineté est en jeu. On peut commencer par rapatrier certaines activités en réindustrialisant, là où nous sommes compétitifs.
Nous avons, par exemple, lancé la construction de gigafactories pour la fabrication de batteries. Mais ce n’est qu’un premier pas. Nos usines ne pourront pas tourner si nous manquons de matières premières.
Nous n’avons, par exemple, quasiment pas de nickel en Europe. Et compte tenu de la faible teneur en minerais extraits, la logique économique et écologique est de faire la première étape de transformation près des lieux d’extraction.
Pour d’autres minerais, Il y a, par exemple, un peu de lithium en Europe, du lithium rocheux au Portugal, dans les saumures géothermales en France et en Allemagne. Au mieux, cela ne couvrira que 20 à 25 % de nos besoins de l’Europe mais c’est déjà mieux que rien.
Sécuriser nos approvisionnements restera donc crucial ?
Il faut faire ce que font les autres. Les Chinois ont une vision beaucoup plus long terme que nous. Ils ont bien compris qu’on allait passer d’une ère du pétrole à une ère des métaux et qu’il fallait sécuriser les métaux critiques. Ils n’ont pas plus de pétrole que nous et la Chine n’est pas plus riche que nous en métaux. Elle n’a que très peu de lithium, pas de nickel et pas de cobalt, mais elle a compris très vite ses besoins et achète des mines et construit des usines de première transformation dans les pays disposant de ressources. Aujourd’hui, les deux tiers du lithium raffiné dans le monde sont chinois, 60 % du cobalt, 40 à 50 % du nickel aussi. Et presque tous les nouveaux projets d’usines de nickel pour batteries en Indonésie sont chinois. Ils se sont rendus incontournables là où se trouvent les gisements.
Il faut du financement mais il faut une véritable implication des pouvoirs publics. Il nous faut une vraie diplomatie économique européenne sur ce front. Les ambassadeurs anglais ou américains en Afrique ne font pas de politique, ils vont assister aux conférences minières et font du lobbying pour aider leurs entreprises à obtenir des concessions. En respectant les règles, et en apportant les financements nécessaires.
Ce n’est pas trop tard ?
On peut encore agir, mais il faut se dépêcher. On ne peut se satisfaire de voir que le BRGM français le Bureau de recherches géologique… est celui qui dresse la cartographie des ressources en Afrique de l’Ouest, historiquement francophone, mais que, faute de moyens, il fait financer ses travaux par la Banque mondiale, et qu’en conséquence ces données sont ouvertes à tous. Car à la fin qui récupère les concessions ? Des Américains, des Anglais, des Chinois…
Pourquoi est-ce si important ?
On ne pourra pas mener à bien la réindustrialisation souhaitée et la transition écologique qui est indispensable, si nous ne maîtrisons pas plus notre approvisionnement en minerais. C’est aussi simple que cela mais pour l’instant, nous avons fait preuve d’une bien coupable forme de naïveté.
La flambée du prix des matières premières est-elle conjoncturelle ou structurelle ?
La hausse actuelle est alimentée par des facteurs à la fois conjoncturels et structurels. Le Covid a déstructuré les chaînes logistiques et perturbé ponctuellement la production. Et la reprise plus forte que prévu de l’économie mondiale en 2021 a contribué à tirer les prix vers le haut avec notamment une importante hausse des coûts du fret et de l’énergie qui impacte notre filière.
Au-delà du gaz et du pétrole, la guerre en Ukraine et l’embargo russe, viennent encore compliquer l’approvisionnement sur le nickel, le palladium, le platine ou l’alumine . Il existe bien sûr des alternatives mais faire monter en puissance la production ailleurs prendra du temps. Ces crises interviennent alors que la tendance de fond est aussi de nature à tirer les prix vers le haut car le monde de demain sera plus vert et plus électrique et donc bien plus gourmand en cuivre, en nickel ou en cobalt. Dans les vingt à trente prochaines années, nous allons consommer plus de cuivre que ce que nous avons consommé depuis le début de l’humanité. D’ici à 2040, notre consommation de nickel va être multipliée par 3. Notre consommation de lithium par 18 . Cela va réclamer beaucoup d’investissements.
Et on va trouver assez de minerais ?
Plus on cherche, plus on trouve. On a commencé par le plus facile mais il y a encore de la ressource et des pistes de substitution. Pour certains minerais, la difficulté ne sera pas la disponibilité mais le fait que tout est concentré dans certaines zones ou difficile à exploiter. Pour le cuivre, on estime que d’ici à 2050, 60 % des ressources identifiées auront été consommées. Il va falloir trouver de nouvelles réserves mais surtout apprendre à mieux les exploiter en étant aussi bien plus respectueux de l’environnement et des collectivités locales.
Chez Eramet, nous avons la conviction que notre droit d’opérer dépend de notre capacité à apporter plus que des emplois ; nous ne voulons pas simplement être tolérés mais être « aimés » : il faut apporter de la santé, de l’éducation et contribuer à développer d’autres activités économiques qui perdureront au-delà des mines. Nous nous engageons à réhabiliter plus de terre que ce que nous défrichons et à travailler de façon frugale et respectueuse. Cela a forcément un coût mais cela peut aussi devenir un avantage compétitif. De toutes les façons, il n’y a pas de miracle. Le respect des communautés et de la planète, cela a un coût.
Dans une industrie aussi cyclique que celle du minerai et des métaux, il arrive qu’une entreprise aille mieux juste pour des raisons conjoncturelles. Mais si Eramet va bien aujourd’hui, c’est aussi parce que Christel Bories a su remettre ce groupe sur de bons rails. Elle a surmonté une crise de gouvernance sévère en 2021, réussi à céder une filiale non stratégique et lourdement déficitaire (Aubert & Duval) et à lancer des chantiers prometteurs en Argentine (lithium) comme en Indonésie (nickel). Dans cette industrie gourmande en capitaux et dominée par des géants mondiaux, le retour aux bénéfices (300 millions de résultat net pour un chiffre d’affaires de 3,7 milliards d’euros) en 2021 n’est cependant qu’un premier pas.